Sufjan Stevens - The Age Of Adz
Réaliser un chef-d’oeuvre tel qu’Illinoise n’a pas que des avantages. Cela implique notamment une énorme attente s’agissant de son successeur. Et lorsque Sufjan Stevens nous prend à contre-pied, les avis, forcément, sont partagés...
1. Futile Devices
2. Too Much
3. The Age Of Adz
4. I Walked
5. Now That I’m Older
6. Get Real Get Right
7. Bad Communication
8. Vesuvius
9. All For Myself
10. I Want To Be Well
11. Impossible Soul
Jurisprudence Thom Yorke oblige, lorsque l’an dernier, il prétendait ne plus désirer partager sa musique car "quelque chose de personnel est irrévocablement perdu dans le procédé", nous n’avions pas pris au sérieux les paroles de Sufjan Stevens. Et nous avions tort. Car s’il n’a effectivement pas tardé à redevenir productif (en nous livrant un EP et donc ce LP cette année), ses propos étaient symptomatiques de la déprime de l’Américain à cette période. Un état d’esprit dont l’influence est clairement perceptible sur The Age Of Adz.
"A un certain moment de ta vie, il faut t’engager dans l’exploration existentielle de ce que tu fais, et c’est ce que j’ai commencé à faire. J’avais jusqu’alors toujours pris le sens de mon travail pour quelque chose d’acquis". Car c’est une véritable crise qui a frappé le natif du Michigan l’an passé, ce à quoi il faut ajouter l’apparition d’une étrange maladie touchant le système nerveux et paralysant certaines de ses capacités, sans qu’aucun médecin ne soit toujours capable d’effectuer un diagnostic précis.
A partir de là, Sufjan Stevens s’isole dans son appartement de Brooklyn et compose. Même s’il a été relativement actif depuis la sortie d’ Illinois (avec notamment Run Rabbit Run, réorchestration de son premier album Enjoy Your Rabbit, et The BQE, tous deux sortis l’an dernier), rien ne nous avait véritablement emporté outre mesure. C’est alors que la machine s’emballe. Jusqu’à ce qu’en août sorte All Delighted People, excellent EP qui reprend les choses là où Illinoise les avait laissées. On retrouve un Sufjan Stevens dans un registre des plus traditionnels où, armé de son banjo, il nous propose ses ritournelles sucrées...
Quant au véritable successeur d’ Illinoise, il ne tardera pas beaucoup plus à être révélé. En effet, deux mois plus tard sort finalement The Age Of Adz. Un album qui rend hommage à Royal Robertson, peintre mais surtout prophète déclaré et schizophrène qui peignait le monde tel qu’il le voyait dans ses visions futuristes inspirées par la numérologie, la religion et la science-fiction. La pochette de la galette de Sufjan Stevens est d’ailleurs une oeuvre du fameux prophète dont l’univers a malgré tout quelques similitudes avec celui de l’auteur d’ Illinoise qui, dans son dernier opus, se plaisait à évoquer les ovnis (Concerning The UFO Sighting Near Highland, Illinois) ou quelques thèmes glauques, comme le destin d’un assassin-violeur (John Wayne Gacy Jr.). Surtout, les travaux de Royal Robertson ont un lien direct avec la notion d’isolement et la maladie. Une situation que connaissait alors celui qui semble finalement avoir renoncé à son projet de dédier un album à chaque État américain.
Mais quel est l’héritage de cette période tourmentée sur The Age Of Adz ? L’opus constitue une oeuvre labyrinthique un peu folle. Très folle même. Pourtant, Futile Devices, le premier morceau de l’album, est un classique chez l’auteur de Michigan. Il susurre ses paroles sur fond d’arpèges joués au banjo qui nous charment d’emblée. Mais il était dit qu’un virage allait être opéré sur cet album. La suite va être radicalement différente. On peut néanmoins voir ce premier morceau extrêmement classique comme un pied de nez à tous ceux qui verraient ce changement de cap comme l’aveu d’une baisse d’inspiration. Oui, Sufjan Stevens est aujourd’hui encore capable de nous charmer avec ses ritournelles au banjo. Il a simplement envie de voir plus loin, et nous avons de la chance, car le bonhomme a les moyens de ses ambitions.
Le changement devient donc effectif avec Too Much, et son introduction qui nous prend à rebrousse-poil avec ses rythmes électroniques et ses nappes malsaines. Avant que le chant de Sufjan Stevens ne vienne se marier à merveille à la quantité d’effets présents. L’arrivée d’instruments plus classiques chez l’artiste (la flûte ou le violon) en fin de morceau, mêlés aux beats électro, relève du génie. En un morceau, Sufjan Stevens a exploré davantage d’univers que bien des artistes pourtant respectables dans toute leur discographie.
Mais Too Much est également suivi de deux autres chef-d’oeuvres, The Age Of Adz, et I Walked (où l’on croirait entendre les harmonies du Mild Und Leise de Paul Lansky que Radiohead samplait il y a dix ans déjà sur Idioteque), formant avec lui un magnifique triptyque. Sans doute, avouons-le, le plus passionnant de l’album. Mais la suite pour autant sera loin d’être anecdotique. Au contraire. Now That I’m Older marque un petit arrêt dans la surenchère d’effets électroniques. Le chant de Sufjan Stevens se fait nostalgique. Et avec Get Real Get Right, le mariage entre mélodie à caractère symphonique et beats lourds fonctionne de nouveau. L’homme au banjo a trouvé une nouvelle recette, il va l’utiliser pendant tout l’album...
Et non. Après une légère transition pour se remettre de ses émotions (Bad Communication), voici qu’apparaît l’un des morceaux les plus passionnants d’un album déjà majeur. Vesuvius, tout en douceur, nous charme et nous trouble d’entrée. Une introduction au piano, sublimée par la voix de l’Américain, ouvre le morceau qui, malgré quelques délicieuses montées en puissance, est remarquable de douceur. Pas de beats lourds ici, juste une utilisation modérée des outils électroniques au service des chœurs. On tient là l’un des morceaux les plus aboutis de cette décennie naissante.
All For Myself, par la suite, met l’électronique de côté. En revanche, c’est toujours ce même esprit, propre à The Age Of Adz, qui nous tient en haleine ici, avec cette fusion de sons divers. I Want To Be Well, avec sa mélodie entraînante et ses flûtes enchantées prépare le terrain pour le dernier titre du disque, Impossible Soul, où Sufjan Stevens fait étalage de son talent sur plus de vingt cinq minutes.
Ce morceau peut se décomposer en quatre temps. Le premier s’inscrit quelque peu en rupture avec cette fin de disque, faisant de nouveau le part belle aux bidouillages électroniques (une fois passée l’introduction). Puis, sur la deuxième partie, sur fond de nappes répétitives (mais jamais lassantes), Sufjan Stevens s’essaie au vocoder. Cette utilisation choquera certainement les puristes. Mais si l’on pourrait penser que l’auteur de ce disque singe Kanye West, il n’en est rien. Ici, le vocoder n’est pas utilisé de façon prétentieuse, il est simplement un bidouillage de plus dans une somme de bruits qui forment une musique fascinante... On serait déjà impressionné par le talent du bonhomme, mais il ne résiste pas à la tentation de terminer cet album comme il l’avait commencé. La troisième partie est donc une jolie ballade au banjo, comme pour le confirmer : oui Sufjan Stevens est toujours capable de créer de jolies ballades comme celles que comportait Illinoise. Mais sa quête de nouveaux terrains nécessite qu’il mette de côté cet aspect de sa palette musicale, pour un temps du moins.
Onze morceaux critiqués, onze morceaux adulés. Difficile d’être crédible. Sauf que l’on parle là d’un chef-d’oeuvre. Un chef-d’oeuvre qu’il faut prendre le temps d’apprivoiser, puisqu’il ressemble clairement à une faute de goût aux premières écoutes...
Il y a dix ans, Radiohead effectuait un virage à 180° avec la sortie de Kid A. C’est un changement de cap du même ordre qu’effectue ici Sufjan Stevens avec un disque difficile d’accès qui, comme son aîné, est appelé à marquer sa décennie. Et sans doute davantage encore...
(Elnorton)
Déception pour beaucoup à sa sortie, ce premier véritable album en cinq ans du virtuose de Detroit a su depuis se rallier les suffrages de certains de ses fans les plus décontenancés de prime abord, et à vrai dire on se demande bien pourquoi.
Inspiré, donc, de l’oeuvre schizophrène, chargée et dans l’absolu sans grand intérêt du graphiste américain Royal Robertson, paranoïaque aigu autoproclamé prophète dans le sens biblique du terme suite à ses visions d’aliens messagers de la fin du monde et d’adultères provoquant l’Apocalypse (!), The Age Of Adz est en effet tout sauf l’album que l’on attendait de Sufjan Stevens après son superbe et gargantuesque EP All Delighted People qui reprenait en août dernier les choses là où Illinoise en 2005... ou non, plutôt The Avalanche l’année suivante, les avait laissées.
Alors certes, la grandiloquence des arrangements, la désuétude des sonorités synthétiques et autres échos prog dans les effets vocaux ou la construction de morceaux tels que The Age Of Adz ou Get Real Get Right (on passera sur l’autotune ridiculement kitsch d’Impossible Soul, interminable "odyssée" à tiroirs plombée par ses références pop envahissantes) ne doit pas éclipser la capacité d’autres titres à se révéler au fil des écoutes, à l’image d’un Too Much qui bien que portant son nom à merveille réussit avec davantage de subtilité sa transition vers une fusion maximaliste de pop lyrique et d’IDM.
Mais toute la bonne volonté des auditeurs plus naturellement réfractaires à ce virage électro pour le moins bancal ne pourra les empêcher de se demander quelle idée farfelue a bien pu mener l’auteur du fabuleux Illinoise à s’empêtrer dans une production rétro-futuriste dont la pesanteur ne réussit finalement qu’à brider les élans de ces pop songs qui ne demanderaient pas mieux que de s’envoler très haut dans la stratosphère sans tout ce traitement superflu.
Autant dire que The Age Of Adz n’a d’autre point commun avec Kid A que son ambition, et je retiendrai surtout de l’avis de mon confrère le mot "surenchère", on ne peut plus approprié à cette débauche d’effets gratuits qui ne déterminent jamais vraiment les compositions comme ce pouvait être le cas sur le chef-d’oeuvre de Radiohead, mais viennent simplement les alourdir jusqu’à les couler dans un gloubi-boulga peu ragoûtant. Parce que voilà, on s’en était douté à la découverte (tardive pour la plupart d’entre nous) de l’indigeste Enjoy Your Rabbit et on en avait eu la confirmation l’an dernier avec les poussives expérimentations électro-symphoniques de son projet instrumental The BQE, Sufjan Stevens n’a simplement aucune disposition pour les machines et sa discographie gagnerait à ce qu’il admette enfin l’évidence.
En attendant, on se gardera bien de conseiller ce nouvel opus en dehors du cercle des admirateurs de l’Américain, sans doute les plus à même de gratter le vernis en quête d’un peu de cette grâce perdue des temps bénis et pas si lointains où ses talents de songwriter mélancolique et d’arrangeur orchestral se suffisaient à eux-mêmes, de creuser patiemment sous la surface pour extraire la quintessence - réelle ou fantasmée - de chansons qui, pour certaines du moins, ont heureusement davantage à offrir que les deux ratages précédemment cités.
(RabbitInYourHeadlights)
Et pour vous faire votre propre avis, rendez-vous sur bandcamp où The Age Of Adz est disponible en libre écoute.
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