L’avenir du disque (Part 4) - On ne saurait conclure...
Oui, on ne saurait conclure sans parler d’avenir. D’ailleurs, on ne savait pas en lançant ce dossier, notre enquête, où tout ça nous mènerait. Mais comme on s’y attendait, ce qui devait arriver est arrivé : on tient là quatre articles pour que résonne un autre son de cloche aux oreilles des passionnés. Et on termine donc sans même dériver du sujet initial.
Les concerts
On entend beaucoup dire aujourd’hui (et Dmytro Fedorenko ne nous a pas dit autre chose dans l’entretien qu’il nous a accordé) que les concerts représentent aujourd’hui la principale source de revenu des artistes. Ne généralisons pas trop vite. Le tableau n’est pas si idyllique que ça car dans la grande « famille » d’artistes que nous soutenons, il y en a effectivement quelques-uns qui tirent profit de leurs prestations scéniques ; mais également des groupes comme She Demons qui nous rappelait lors de notre interview : « Pas de CD = pas de concert ... et pas de concert = pas de CD ». D’autres artistes également avec qui nous avons été en contact étaient prêts à venir jouer en France pour pas un rond, se contentant d’un simple défraiement (essence et repas). La raison l’emporte donc, on ira aux concerts et on achètera des disques encore et encore, d’autant plus si la prophétie de Black Francis "tout à 5$" se réalise.
Les accros
Rien que parmi la rédaction d’indierockmag, composée bien évidemment de gens tout qu’il y a de plus ordinaires, on a découvert une population pour le moins cernée par son addiction au disque. On ne citera pas de nom, mais les petits joueurs qui deviendront grands possèdent environ 500 albums. Vient ensuite une belle brochette de rédacteurs qui se contentent de 1 200 à 1 400 galettes quand le recordman a déclaré, lors du dernier recensement, en posséder plus de 6 000 ! Rien que ça. Y a-t-il un avenir pour le disque ? Assurément, tant qu’il y aura des accros de la sorte et de nouveaux chefs-d’œuvre qui chaque année viendront les narguer du fond des bacs de disquaires.
À la demande
L’ère industrielle de la musique semble révolue, les productions ne s’écoulant plus par centaines de milliers comme à la grande époque. Mais les nouveaux acteurs de l’industrie musicale sont déjà dans les starting-blocks. Quand, en 2005, le géant Amazon a repris les activités de CustomFlix Labs, créant ainsi une filiale nommée CreateSpace, le signal était déjà clair : le pressage des CD à la demande (les DVD et les livres aussi, d’ailleurs) allait devenir un marché important.
Si important d’ailleurs qu’EMI, Sony, Warner, Epitaph et tant d’autres ont déjà signé quelques contrats pour la résurrection « back from the vaults » de vieux albums épuisés. Si important que le phénomène Tunecore, soutenu par Trent Reznor, Keith Richards ou encore Björk, vient également de signer avec CreateSpace. Ainsi l’artiste lambda peut dès à présent être distribué sur les principales plateformes de téléchargement (iTunes...) ET vendre ses CD comme n’importe quel autre artiste via Amazon sans de lourds investissements préalables (côté distribution web, entendons-nous bien).
La longue traîne [1] semble avoir encore de beaux jours devant elle, quoi qu’on en dise.
Le retour du « Do it yourself »
L’avenir pourrait aussi passer par le rétablissement d’un lien plus direct entre l’artiste et son public. Socialement, c’est sans doute un drame – les suppressions d’emplois qui accompagnent la réduction des rayons CD dans les Fnac ne font plaisir à personne – mais artistiquement, c’est probablement une aubaine. Exeunt les intermédiaires qui se sont goinfrés pendant des décennies, retour à la tradition millénaire du troubadour qui vous tend son chapeau. Le chapeau est devenu virtuel, mais l’idée reste la même. Internet est aujourd’hui un immense couloir de métro bordé de musiciens qui s’efforcent de capter notre attention. Certains récolteront quelques pièces, d’autres un billet de temps en temps... Tous n’en vivront pas, loin de là.
Et nous revenons ainsi à la question posée dans notre 3e partie : quel est le juste prix de la musique ? Dans ce domaine également, des pistes passionnantes se dessinent.
Notre prix sera le leur
Lors de la mise en ligne de son album In Rainbows en 2007, Radiohead a popularisé le principe du « payez ce que vous voulez ». L’idée ne manque pas d’intérêt. Après tout, chaque amateur de musique a une perception personnelle de ce que « vaut » à ses yeux (ou plutôt ses oreilles) tel ou tel morceau. Et surtout, tout le monde n’a pas les mêmes moyens. C’est ce qu’ont également compris Nine Inch Nails ou encore Kristin Hersh avec CASH. Ceux qui peuvent achètent le vinyle à $15 et le t-shirt avec ; d’autres se contentent du téléchargement gratuit et balancent $5 sur le compte PayPal ; d’autres encore font de même mais ne donnent qu’un dollar ou deux ; et enfin une bonne partie ne paie rien du tout, mais contribue à diffuser la musique.
Mais des systèmes comme CASH ou encore bandstocks.com, qui a permis à Patrick Wolf de financer son dernier album grâce aux contributions du public, vont au-delà de l’acte d’achat. Ils font des auditeurs de véritables actionnaires, qui financent directement la carrière de l’artiste. Évidemment, le succès d’une telle organisation dépend du nombre de vos fans, mais aussi de leur dévouement et de leurs moyens financiers (à cet égard, il est préférable de plaire aux trentenaires et aux quadras qu’aux collégiens). Mais, outre qu’il permet de créer un lien beaucoup plus direct entre l’artiste et son public, il offre à ce dernier une totale indépendance artistique : sa création est préfinancée par des individus qui lui font confiance, à qui il ne viendrait jamais à l’esprit de lui dicter ce qu’il devrait faire.
Sommes-nous naïfs ? Notre monde idéal où le téléchargeur n’est pas un affreux pirate ou un vil profiteur, mais un véritable amoureux de musique prêt à payer à partir du moment où cela en vaut vraiment la peine, serait-il une illusion ? À ce cynisme, nous opposerons la « jurisprudence Reznor » : alors que Ghosts I-IV était disponible en téléchargement gratuit, les 2 500 exemplaires du coffret « ultra-deluxe » à 300 dollars ont été épuisés en 36 heures.
Si les artistes les plus populaires osaient prendre le risque, ils y trouveraient sans doute de quoi gagner leur vie. Mais il semblent craindre que les gens ne paient que s’ils y sont forcés. Ce qui donne quand même certaines indications sur l’idée qu’ils se font de leur public... et de la musique. Et pour les autres, de nouveaux modèles comme le mécénat global [2] ou l’intéressant schéma présenté sur le blog de Yann Madeleine dans un billet intitulé financer et rentabiliser une oeuvre culturelle sont autant de pistes qui nous laissent à penser que le disque a encore de l’avenir.
Après libre à chacun de se faire sa propre opinion, libre à chacun de vivre sa passion pour la musique comme il l’entend et de soutenir les artistes à sa façon, le tout avec ou sans modération. Le débat continue d’ailleurs sur notre forum, vive la musique, vive les disques et merci à tous ceux qui ont permis la réalisation de ce dossier.
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