Février 2024 - les albums de la rédaction
Comme pour janvier on a pris notre temps, mais avec un bilan plus étoffé cette fois et quelques albums sur lesquels l’équipe s’est vraiment retrouvée (les EPs sont également de retour, et on espère qu’il en sera de même régulièrement tant le format s’avère bien souvent passionnant). Mentions en pensant à NLC et Innocent But Guilty, cités chacun par plusieurs rédacteurs mais avec deux sorties différentes, d’où leur absence de ce classement.
1. vssp - Over the Sun
Rabbit : Découvert grâce à la chronique de Ben, le Bordelais est assurément l’une de nos révélations ambient de ce début d’année, avec ses soundscapes d’outre-rêve irradiés de mélancolie aux scintillement rétrofuturistes et aux harmonies évanescentes, délicats et contemplatifs sans être pour autant complètement apaisés.
Elnorton : Le Girondin a l’air aussi talentueux que sympathique, en atteste la chouette interview qu’il a accordée dans nos colonnes à Ben, et l’univers qu’il déploie sur Over the Sun m’a rappelé, en plus des influences décrites dans la précédente chronique, la facette la plus dépouillée de Ochre ou les travaux ambient de Moby. Profond et mélancolique, jamais anecdotique, ce disque parvient tout simplement à suspendre la notion de temps qui s’écoule.
Ben : Mes camarades Rabbit et Elnorton ont parfaitement résumé l’affaire. Et tout le bien que je pense d’Over the Sun est développé sur la longueur dans l’article et l’interview cités ci-dessus. Le gros coup de cœur du mois.
2. Fire ! - Testament
Le Crapaud : Retour aux sources pour le trio suédois : une tourne rythmique autour d’un basse-batterie qui fait les montagnes russes à partir d’une petite boucle simple mais efficace et un saxophone baryton barrissant à tout rompre. Un album à l’os mis en boite par le spécialiste du dépouillement sonore, j’ai nommé le fameux Steve Albini ! Enregistré dans son studio chicagoan, ce Testament nous plonge au cœur de l’acoustique de Fire !, sans fioriture. Mises en lumière par la captation du maître, ses rugosités naturelles n’en sont pas moins belles.
Rabbit : Fire ! sans son orchestre enregistré live en studio, c’est en effet un retour à l’essentiel du sax/basse/batterie, ce qui n’empêche pas quelques crescendos puissants, évoluant du minimalisme au déferlement free. En grand fan du Fire ! Orchestra, il me manque forcément un petit quelque chose, un éclat de lyrisme et de mélancolie, pour être véritablement emporté, mais l’élan borderline-névrotique est toujours là.
Ben : Un album difficile à saisir... Passionnant lorsque la basse riffe et se laisse emporter par les feulements du sax (Work Song For A Scattered Past et Running Bison. Breathing Entity. Sleeping Reality.), ce Testament s’égare lorsqu’il s’aventure dans le désert de l’abstraction (grosso merdo, les trois autres morceaux). Pourtant, même les pièces les moins prenantes comportent leurs moments de grâce. Peut-être n’est-ce qu’une question de temps pour apprivoiser cet album ?
Elnorton : Comme Rabbit, je préfère Fire ! Orchestra, et je sais que je ne suis pas le coeur de cible principal pour un album laissant à ce point la part belle au saxophone. Néanmoins, je dois reconnaître que c’est bien troussé, mais il manque de surprises pour susciter un véritable enthousiasme de mon côté.
3. The Body & Dis Fig - Orchards of a Futile Heaven
Rabbit : Pas forcément très client de l’univers un peu poussif de Dis Fig en solo, mais c’est un bonheur de la retrouver au micro chez The Body, prenant le relai de Chrissy Wolpert, avec davantage d’effet narcotique sur la voix (un peu à l’image d’une Chelsea Wolfe), pour irradier de l’intérieur la synth-noise post-industrielle du duo de Portland avec ses mélopées à mi-chemin de l’affliction et de l’intensité tourmentée. L’un des très grands disques de ce début d’année.
Elnorton : J’usurpe ma place de commentateur de ce disque puisque je ne l’ai pas écouté jusqu’à son terme. Trop saturé pour moi dès que la mécanique s’emballe, mais je reconnais des qualités à l’ensemble, notamment sur les passages plus aérés et aériens, notamment la première moitié de Back to the Water. Pas pour moi, mais cela ne remet en rien en question les qualités de l’album.
Riton : Si je fonce habituellement sans réfléchir sur n’importe quelle sortie estampillée The Body, c’est loin d’être le cas pour le projet de la Berlinoise Felicia Chen, pour qui la sauce indus-noise boursoufflée (malgré mes accointances pour le style) vire à la purge (cf. l’album sorti en 2019). Seulement rappelons-nous ses qualités indéniables dans l’exercice de la collaboration, tout d’abord avec l’excellent The Bug en 2020 et maintenant ce petit bijou incandescent et abrasif qui met autant à mal les a priori que les tympans.
4. The Sorcerers - I Too Am A Stranger
Rabbit : En bon amateur d’éthio-jazz et des Heliocentrics, la grosse découverte de cette sélection pour ma part, merci donc aux copains qui l’ont mentionnée. Cuivres capiteux, groove assassin et basses particulièrement bien senties (cf. l’énorme Moth pour n’en citer qu’un), le trio de Leeds connaît son sujet avec un beau sens de l’atmosphère et fait un peu pour le genre ce qu’Antibalas avait su faire pour l’afrobeat il y a une grosse quinzaine d’années à son meilleur (avec John McEntire de Tortoise aux manettes) : une remise au goût du jour à la fois respectueuse, inspirée et tout sauf passéiste.
Elnorton : Evidemment, à l’écoute de I Too Am A Stranger, on pense en effet aux expérimentations libertaires de Tortoise, mais pas seulement. Si je m’éloigne peut-être un poil de ma zone de confort pour apprécier à leur juste mesure - et sur le long terme - toutes les subtilités de ce disque, j’ai été ravi par ces basses rondes, un jeu de batterie léché non sans rappeler celui de feu Tony Allen et l’ambition générale si bien que, ici et là, je me suis retrouvé en terrain plus familier, notamment au cours d’un Moth finalement pas si éloigné du trip-hop, au sens large, de Cloudwarmer. Dense, parfait pour inviter quelques récalcitrants à découvrir de nouveaux univers musicaux, et probablement plus passionnant au gré des écoutes du fait de la multitude de détails présents.
Riton : Effluves d’Addis-Abeba en provenance de l’Angleterre ! Les tauliers de chez ATA Records (Abstract Orchestra, Work Money Death) transpirent le Mulatu Astatke jusque dans les doigts, avec un sens du groove et de la mélodie à faire bouger les fessiers et voyager les esprits loin, très loin !
5. Aidan Baker - Everything Is Like Always Until It Is Not
Rabbit : Je disais ici tout le bien que je pense de ce nouvel opus du Canadien, représentatif de sa veine vaporeuse lorgnant à parts égales sur le shoegaze et le jazz, ambient dans ses textures sans en être vraiment. Un très beau cru éthéré aux atmosphères oniriques à souhait.
Elnorton : La voilà la missive inattendue du mois. Que mes camarades aficionados de l’univers d’Aidan Baker aiment ce disque n’a rien d’étonnant, mais le fait que je tombe à ce point sous le charme de ce dernier est plus surprenant. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je respecte vraiment l’oeuvre du Canadien, et j’ai même adoré certains de ses disques, que ce soit en solo ou surtout en duo en tant que Nadja (Stripped et Sv particulièrement). Mais alors pourquoi ce disque plus que les autres ? Je suis bien incapable de le dire, puisque Aidan Baker n’opère pas ici de révolution (sauf si l’on considère que chacune de ses compositions en est une au sens où il se joue et déjoue les conventions, ce qui serait un argument recevable) dans sa discographie. Et pourtant, avec Everything Is Like Always Until It Is Not, mon expérience musicale est allée au-delà du simple sentiment agréable. Les réverbérations magnétiques des nappes de guitare se succèdent dans un tout difficilement dissociable et c’est de retour d’hypnose que j’ai constaté que le disque était terminé. Minimal et magistral à la fois.
Le Crapaud : Aidan Baker est un artiste que j’ai du mal à suivre. N’étant pas un grand consommateur de musique ambient ni de métal indus (c’est pourquoi d’ailleurs, je passe mon tour sur The Body...), lors de ses nombreux voyages torturés (que je n’ai clairement pas tous écoutés), il m’a souvent laissé sur le bord de la route. Ici, toutefois, les incursions de la batterie, souvent déstructurée, plutôt envisagée pour ses sonorités d’objet concret que pour son potentiel rythmique, m’ont raccroché aux wagons. Ce côté free-rock, un peu trop souvent relégué au second plan à mon goût toutefois, m’a permis de participer au voyage.
6. GaBLé - PiCK THe WeaK
Rabbit : La pop baroque alambiquée du trio caennais, dopée à l’électro et aux polyphonies déstructurées, est toujours relativement réjouissante dans sa folie douce, mais à défaut de vraiment se réinventer en profondeur ici, c’est finalement avec Ca Va MiCHeL que le groupe m’a le plus marqué sur ce nouvel opus, usant de l’enregistrement d’un échange familial tout ce qu’il y a de plus banal pour en faire l’élément central d’un court interlude étrange et inquiétant, qui fait rêver d’une tentative dark ambient sur un album entier.
Elnorton : Chouette interlude que ce Ca Va MiCHeL, effectivement, et ce n’est pas le seul, loin s’en faut (We LooK aWay, PoNyTaiL, TeLL uS MoRe). GaBLé ne convainc jamais autant que lorsqu’il se joue des codes et des formes d’usage mais, pour être totalement honnête, les bricolages du trio normand m’ont parfois laissé de marbre sur ce disque, la faute à des percussions cheap et des effets parfois décalés sur les voix. Un GaBLé mineur qui n’en est pas moins un disque tout à fait correct, mais loin de JoLLy TRouBLe.
leoluce : Alors non. Désolé mais cette fois-ci, ça sera sans moi. Pourtant, jusqu’à presque ici, j’ai vraiment apprécié le groupe (surtout en concert il est vrai et sur disque, jusqu’à MuRDeD en gros) mais avec PiCK THe WeaK, plus rien ne se passe. C’est primesautier, gentiment alambiqué, tintinnabulant et solaire comme à l’habitude mais je m’y ennuie. Il me manque les angles, le vrai inattendu et les soupçons d’amertume, et j’ai trop souvent l’impression d’entendre une réunion de Castors Juniors s’amusant à faire semblant de surprendre en tapotant leur instruments bricolés. C’est décalé, certes, mais c’est surtout prévisible et d’un pénible...
Le Crapaud : Oh ! "Pénible", c’est dur... Alors, non Rabbit, ce n’est pas un album de dark ambient et je comprends la frustration de mes camarades qui ne se sentent pas complètement embarqués par cet album. Je suis également mitigé. Certains passages (surtout le début de l’album) électro-pop-sautillants à l’anglais approximatif me laissent sceptique. Mais j’aime cette capacité à produire des instrumentations riches à partir de sonorités cheap. J’aime ces grincements étranges, inattendus. Et surtout, j’aime cette fin d’album, le dernier morceau en particulier, qui évoque un univers merveilleux, magique, et joyeux. Non, définitivement, ce n’est pas un album de dark ambient...
Nos EPs du mois
1. Ann Bonny - Nee
Rabbit : Je découvre pour l’occasion le trio noise rémois et clairement ces atmosphères viciées aux dissonances anxiogènes et aux étrangement incursions vocales fantomatiques et liquéfiées (vocoder à l’appui), sur des titres tantôt tempétueux ou plus feutrés dont les deux premiers s’enchaînent avec brio en un seul même crescendo narratif, donnent envie d’en entendre davantage. Prometteur !
leoluce : Guitare, basse, batterie, voix trafiquée et c’est parti pour quelques titres sombres et viciés qui donnent effectivement tout de suite envie d’en écouter plein d’autres. Premier EP pour l’heure uniquement disponible au format numérique (une cassette devrait vite voir le jour), NEE inscrit immédiatement Ann Bonny en lettres chlorhydriques dans le cortex. Au menu, noise inquiète et scie circularisée qui grouille et qui grince, appuyant tantôt sur les hématomes, ménageant quelques espaces de répétitions maladives à d’autres moments et tout le temps très intéressante. Il faut dire que les trois Rémois n’en sont pas à leur coup d’essai et qu’avec quelques Harpon, Thielnich ou 37500 Yens dans leur escarcelle, on ne pouvait raisonnablement pas trop s’attendre à quelque chose de plus guilleret. Plongez vos yeux dans ceux d’Ann (sans doute référence à la célèbre pirate irlandaise) et tombez cadavre à ses pieds.
Vite, la suite !
Elnorton : Sans surprise, la voix est souvent trop rugueuse pour emporter mon adhésion, mais ce noise rock est assez redoutable sur le plan instrumental. A conseiller aux amateurs de musiques plus radicales qui auront toutes les raisons d’y trouver leur compte !
2. Dug Yuck - Ditch Hold
Rabbit : Après ses belles collaborations des années précédentes avec jamesreindeer et Babelfishh, l’Américain nous revient en solo avec cette suite miniature d’indie-rap lo-fi aux instrus jazzy, crépusculaires et/ou dissonants. Evidemment, on aimerait que ce soit plus long mais comment bouder son plaisir lorsque l’on est comme moi un inconditionnel du Sixtoo des 90s et du Sole des débuts ?
Elnorton : Boites à rythmes, loops et scratches à l’ancienne, nous sommes ici en terrain connu, évidemment, mais le format de cette sortie (un unique morceau de 12 minutes qui se renouvelle sans cesse) suscite la curiosité et justifie l’écoute, d’autant plus que les transitions, ici, n’ont rien d’un prétexte et servent un ensemble soutenu par un flow entre le rap old scool et le spoken word. Sans doute pas inoubliable, mais assurément intéressant.
Les classements des rédacteurs pour Février 2024
Ben :
1. NLC - Le crépuscule des souris
2. vssp - Over the Sun
3. Planet B - Fiction Prediction
4. E-Clark Cornell - (S Sontag
5. Inhum Awz & innocent But Guilty - Last Days in Anchorage
Elnorton :
1. Aidan Baker - Everything Is Like Always Until It Is Not
2. vssp - Over the Sun
3. Innocent But Guilty - Between the Lines
4. El Perro del Mar - Big Anonymous
5. MGMT - Loss of Life
Le Crapaud :
1. Fun Fun Funeral - Shake Up The Humdrum
2. Fire ! - Testament
3. The Sorcerers - I Too Am A Stranger
4. Liv Andrea Hauge Trio - Ville Blomster
5. Simon Hanes - Tsons Of Tsunami
leoluce :
1. AUS - Der Schöne Shein
2. Ann Bonny - NEE
3. Under 45 - Stonewalled
4. The Chisel - What A Fuckîg Nightmare
5. Thee Alcoholics - Feedback
Rabbit :
1. Christophe Bailleau & Julien Ash (feat. Jordane Prestrot) - Ekitai-on-keiho
2. Frank Riggio - DRI
3. KHΛOMΛИ - FUИESTE
4. The Body & Dis Fig - Orchards of a Futile Heaven
5. NLC & Innocent But Guilty - Hopeful Mutants
Riton :
1. The Body & Dis Fig - Orchards of a Futile Heaven
2. vssp - Over the Sun
3. Fire ! - Testament
4. Le Crapaud - Mauvais Sillon
5. The Sorcerers - I Too Am A Stranger
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- Sulfure Session #1 : Aidan Baker (Canada) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Sulfure Session #2 : The Eye of Time (France) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Aidan Baker + The Eye of Time (concert IRM / Dcalc - intro du Sulfure Festival) - Le Vent Se Lève (Paris)
- Sacco & Vanzetti - BEHEMOTH
- Ari Balouzian - Ren Faire OST
- Robin Guthrie - Astoria EP
- Maxence Cyrin - Passenger
- Le Crapaud et La Morue - La Roupette
- Nappy Nina & Swarvy - Out the Park
- Greg Cypher - Hello, I Must Be Going
- Hugo Monster feat. Paavo (prod. LMT. Break) - Checks In The Mail
- Bruno Duplant - du silence des anges
- Roland Dahinden performed by Gareth Davis - Theatre Of The Mind
- Ari Balouzian - Ren Faire OST
- Roland Dahinden performed by Gareth Davis - Theatre Of The Mind
- Tarwater - Nuts of Ay
- IRM Expr6ss #14 - ces disques de l’automne qu’on n’a même pas glissés dans l’agenda tellement on s’en foutait : Primal Scream ; Caribou ; Tyler, The Creator ; Amyl and the Sniffers ; Flying Lotus ; The Voidz
- Andrea Belfi & Jules Reidy - dessus oben alto up