Robin Foster : "PenInsular 3 a été composé sous perfusion d’Hitchcock et de Lynch"
Il y a neuf ans, nous échangions déjà avec Robin Foster et il faut bien avouer que nous n’avons jamais cessé de le suivre depuis. À l’époque, le premier volet de PenInsular venait de paraître. Peu après la sortie d’un PenInsular 3 qui renoue avec les sommets de sa discographie, celui qui avait composé un chouette morceau pour notre compilation IRM x Twin Peaks - et répondu à un bref questionnaire à cette occasion - nous partage ses influences (Lynch n’est jamais très loin), parle de ses collaborations, de son registre de composition et évoque son regard sur l’industrie de la musique. Passionnant.
IRM : Bonjour Robin, la dernière fois que nous avions pris de tes nouvelles sous ce format, c’était durant l’été 2013, peu avant la sortie de PenInsular. On te retrouve pour le troisième volet de cette série, formidable grower dont chaque écoute se révèle plus délicieuse que la précédente. Peux-tu nous parler de la genèse de PenInsular III, et de la manière dont il diffère ou non de ses prédécesseurs ?
Robin Foster : Dès que j’ai commencé PenInsular 2, il était évident qu’il y en aurait un troisième, j’ai été élevé aux trilogies, Star Wars, Retour vers le futur, etc, donc c’était une progression très naturelle pour moi. Aussitôt que PenInsular 2 a été terminé, je réfléchissais déjà à comment aborder le troisième album. Quelques chansons ont été commencées à ce moment-là, mais il a fallu attendre les confinements Covid, en particulier le deuxième confinement, pour que je trouve vraiment le temps et l’inspiration. Je voulais faire quelque chose de plus organique, quelque chose que je pourrais jouer live et moi-même apprécier, le résultat est probablement mon album le plus personnel, dans la lignée du premier PenInsular.
De manière plus générale, dans ton processus de création, es-tu dans le même état d’esprit quand tu composes un volet de PenInsular ou un autre disque ?
Non, je pense que les PenInsular sont beaucoup plus ancrés dans l’époque et l’endroit où je vis (la Presqu’Île de Crozon). Ils sont beaucoup plus personnels, il n’y a vraiment personne d’autre d’impliqué dans le processus de création. Les trois PenInsular ont en fait été écrits en même temps que certaines bandes originales - PenInsular 1 était contemporain de Metro Manila, les PenInsular 2 et 3 sont venus après les deux saisons de Criminal pour Netflix - je pense qu’ils ont été comme une thérapie pour moi après le stress de ces gros projets pour la télé et le cinéma, une façon pour moi de souffler et de tout extérioriser !
Tu nous parlais en 2013 de ta collaboration avec Dave Pen, « sans doute la meilleure personne avec laquelle j’ai jamais travaillé dans le monde de la musique », et si vous avez sorti ensemble le disque We Are Bodies, il n’apparaît plus sur tes productions en solo. Une nouvelle collaboration est-elle prévue ?
En fait, il est sur PenInsular 2 (The Island). Nous enregistrons toujours ensemble quand nous nous rencontrons, et même à distance récemment. Nous avons BEAUCOUP de chansons en cours, à divers stades de production, sur lesquelles nous travaillons depuis 2017... We Are Bodies 2 a été pratiquement terminé... deux fois ! Ce pourrait facilement être un double album. Idem pour Ndidi O, on collabore à distance depuis quelques années, mais je ne sais pas quand ces chansons verront le jour.
J’aime qualifier ta musique de shoegaze cinématographique, mais les critiques parlent surtout, peut-être par facilité parfois, de post-rock. Néanmoins, je dois reconnaître que sur ce disque, je perçois de plus en plus une parenté avec un groupe comme Mogwai. Tu nous parlais en 2013 de ton attrait pour plusieurs groupes de rock (Six By Seven, Queens of the Stone Age, Radiohead, Elbow), mais tires-tu également ton inspiration de formations plus ancrées vers le post-rock voire le shoegaze ?
Je pense qu’en réalité, je tire désormais le plus gros de mes influences des films et de mon environnement, PenInsular 3 a été composé sous perfusion d’Hitchcock et de Lynch ! Mais dans le même mouvement, il y a toujours en moi ce guitariste de 17 ans qui voudrait faire partie des Pixies, des Cure ou des Smiths... J’adore jouer fort de la guitare, depuis la toute première fois que j’ai joué live, c’est quelque chose qui ne changera jamais, donc ma musique est probablement un mélange de ces deux aspects de ma personnalité. Quand j’écoute des groupes comme QOTSA, Mogwai, ou Radiohead et Elbow etc, j’entends les mêmes influences. Ce n’est pas surprenant, nous avons probablement tous le même âge et avons grandi avec la même obsession des Pixies, Smiths, New Order, Cure, Talk Talk, etc. Il est donc réconfortant qu’il y ait des similitudes entre nous. J’écoute beaucoup de musique, j’ai probablement acheté plus d’une centaine de vinyles pendant le confinement, tout peut t’influencer à partir du moment où c’est bien. Et je regarde effectivement beaucoup mes chaussures [ndlr : référence au "shoegaze"].
J’aimerais parler des percussions. Sur PenInsular III, comme dans beaucoup de tes disques, je les trouve essentielles. Sur un rythme downtempo, essentiellement, elles donnent le sentiment d’être « étouffées » tout en étant très présentes, fondamentales, même. Comment parviens-tu à ce tour de force qui consiste à être en permanence sur le fil avec les percussions, ni trop en avant, ni en retrait ?
Ce n’est pas quelque chose auquel je pense vraiment pour être honnête, ça arrive simplement comme ça ! J’ai tendance à programmer beaucoup de boucles, puis à les malmener ! Smiley d’Archive et mon batteur régulier Hibu Corbel jouent sur une majorité sur l’album, mais j’aime aussi garder des boucles là-dedans, souvent mélangées aux enregistrements live, c’est peut-être ça le secret. Il y a un "son Foster" bien défini que nous avons avec Jim (Spencer, qui a mixé les trois albums) et que nous devrions copyrighter !
Sur PenInsular III, il y a trop de morceaux essentiels pour que je m’attarde sur chacun d’eux, mais j’aimerais te parler de deux d’entre eux. Kerbonn Shogun ne constitue pas une découverte pour tes fans puisqu’un EP portait déjà son nom en 2020, mais ce titre est assez fidèle à tes premiers disques, notamment Life Is Elsewhere, adoptant une progression assez incroyable entre une longue introduction épurée et claire vers des sonorités plus riches et vaporeuses. Peux-tu nous parler de ce morceau ?
C’est probablement l’un de mes préférés, sinon mon préféré. Il a été composé juste après PenInsular 2, et ça a vraiment été le catalyseur de PenInsular 3. À bien des égards, je pense que c’est comme un "best of", tout en une chanson, et c’est aussi certainement ma préférée à jouer en live. Je la trouve motivante, positive - comme une déclaration d’intention.
Avec PenInsular 3, il y avait définitivement un besoin de revenir à l’essentiel et de reprendre plaisir à jouer, l’album est beaucoup plus spontané que le précédent. J’ai eu du mal à interpréter PenInsular 2 en concert, les morceaux ne fonctionnaient tout simplement pas en live donc c’était très frustrant, avec PenInsular 3 j’avais besoin de retrouver cette sensation, le plaisir de jouer bruyamment de la guitare !
Herr Kut ! est un titre qui, sans sombrer dans la redite, est très caractéristique de ton son. Peux-tu nous en parler, mais également de son clip, libertaire au possible, et en ce sens écho parfait de ta musique ?
Herr Kut ! était la première chanson que j’ai enregistrée lors du deuxième confinement, probablement vers janvier 2021, j’étais en colère contre certaines choses, en particulier les problèmes de santé d’un ami, mais je me sentais aussi très déterminé et j’étais dans une énorme vague de créativité qui avait besoin d’être catalysée. C’est un morceau très spontané, il résume parfaitement le moment. Le clip a vraiment été fait à la dernière minute, et nous avons eu la chance que William, le réalisateur, soit disponible. J’avais déjà travaillé plusieurs fois avec lui sur ses propres projets, c’était donc une excellente occasion de combiner nos univers. Je pense que tu as vraiment le sentiment d’être isolé, de ressentir la dimension "insulaire", mais c’est une isolation dans cette immense nature sauvage, donc ce n’est pas nécessairement une si mauvaise chose que ça.
De manière plus générale, le son de Robin Foster, aujourd’hui, tu le qualifierais de quelle sorte ? Comment fais-tu, sur le plan technique, pour donner cet effet aussi atmosphérique à tes compositions ?
Honnêtement, j’essaie de ne pas analyser ça, je pense que c’est un son très naturel, c’est juste moi qui essaie d’exprimer beaucoup d’émotions sans y mettre de mots et j’espère que c’est ce que ressentent les gens en écoutant ma musique. Je n’ai pas de méthode préétablie pour y arriver, que ce soit sur le plan technique ou au niveau de la création des morceaux... ça arrive comme ça.
Est-ce que ton rapport détaché à l’industrie du disque - tu as renoncé à sortir tes albums sur le label que tu avais créé - joue un rôle dans ton processus de création ?
J’ai grandi en pensant qu’un contrat d’enregistrement était la pièce la plus importante du puzzle, avec le recul il s’est avéré qu’il s’agissait de la pire partie de tout le processus. Il y a encore des gens bien qui veulent aider, et qui sont sincèrement intéressées par l’idée de sortir de bons disques. Mais on voit bien que les groupes commencent à reprendre le contrôle, et qu’ils ont pu le faire plus aisément à l’ère numérique, c’est beaucoup plus facile maintenant d’être son propre patron. Les maisons de disques manquent d’argent depuis longtemps, et la majorité des gens que j’y ai connus, en particulier les éditeurs, sont des requins, des comptables se faisant passer pour des fans de musique. Les contrats sont ridicules, vous leur donnez pratiquement tout ce que vous faites à vie et obtenez très peu en retour après quelques mois. Lorsque vous n’avez pas ces intermédiaires qui entravent le processus de création, c’est beaucoup plus libérateur, vous pouvez créer sans avoir à cocher toutes les cases. Souvent, les meilleures personnes avec qui travailler désormais au sein des labels et des maisons de disques, sont aussi musiciens eux-mêmes : ils savent ce que c’est et essaient de ne pas commettre les mêmes erreurs que celles qu’ils ont dû endurer.
Où pourra-t-on te voir en live prochainement ?
Au Festival de Cournouaille le 24 juillet et à un concert spécial à Camaret pour célébrer les PenInsular 1, 2 & 3 le 13 août... et, j’espère, davantage de concerts à partir de septembre !
Merci Robin !
Merci IRM !
ENGLISH VERSION
IRM : Hello Robin, our last interview was in the summer of 2013, shortly before the release of PenInsular. We meet again today for the third installment of this series, a formidable grower whose each listening proves to be more delightful than the previous. Can you tell us about the genesis of PenInsular III, and how it differs or not from its predecessors ?
Robin Foster : As soon as I started PenInsular 2 it was obvious there would be a third, I’ve been raised on trilogies, Star Wars, Back to the Future etc, so it felt like a very natural progression. As soon as PenInsular 2 was finished I was already thinking about how to approach the third album, a few songs started at that point, but it wasn’t until the Covid confinements, especially the second confinement, that I found the time and the inspiration. I wanted to do something more organic, something I could play live and enjoy on a personal level, the result is probably my most personal album, much like the first PenInsular.
More generally, in your creative process, are you in the same state of mind when you compose a PenInsular album or another record ?
No, I think the PenInsular albums are much more rooted to the time and the place I live (presqu’île de Crozon). They are much more personal, there’s not really anyone else involved in the creative process. All 3 PenInsulars were actually written at the same time as some soundtracks - PenInsular 1 was the same time as Metro Manila, PenInsulars 2 and 3 were after seasons 1 & 2 of Criminal for Netflix - I think they’re like therapy for me after the stress of big projects for TV and film, a way for me to breathe and get everything out !
Back in 2013, you were telling us about your collaboration with Dave Pen, « arguably the best person I’ve ever worked with in the music world », and if you released the album We Are Bodies together, he no longer appears on your solo records. Is a new collaboration planned between you two ?
Actually he is on PenInsular 2 (The Island). And we are always recording together whenever we meet up, even by distance recently. We have a LOT of recorded songs in various states of production, that we have been working on since 2017 onwards... We Are Bodies 2 is practically finished, twice !... it could easily be a double album. The same goes for Ndidi O, we’ve been working remotely over the last few years, I have no idea when these songs will see the light of day.
I like to describe your music as "cinematic shoegaze", but the music critics mainly speak, perhaps for convenience, of post-rock. Nevertheless, I must admit that on this album, I perceive more and more of a kinship with a band like Mogwai. You told us in 2013 about your passion for several rock bands (Six By Seven, Queens of the Stone Age, Radiohead, Elbow), but do you also draw inspiration from bands more rooted in post-rock or even shoegaze ?
I think, in reality, I get most of my influences now from films and my surroundings, PenInsular 3 was made on a diet of Hitchcock and Lynch ! But in the same breath, there’s still part of me that is that 17 year old guitarist wanting to join The Pixies, The Cure or The Smiths etc... I love to play loud guitar, ever since the very first time I played live, that is something that will never change, so the music is a mix of these 2 personas most probably. When I listen to groups like QOTSA, Mogwai or Radiohead and Elbow etc, I hear the same influences, it’s hardly surprising, we’re probably all the same age and grew up on the same diet of Pixies, Smiths, New Order, Cure, Talk Talk etc. So it’s comforting that there’s a similarity. I listen to a lot of music, probably bought over a hundred vinyls in the confinement, everything influences you if it’s good. I do gaze at my shoes a lot.
I would like to talk about percussion work. On PenInsular III, as in many of your records, I find them essential. On a downtempo rhythm, mainly, they give the feeling of being "muffled" while reamining very much present, and even fundamental. How do you achieve this amazing feat which consists in being permanently on the edge with the percussions, neither too forward nor behind ?
It’s not something I really think about to be honest, it just happens that way ! I tend to program a lot of loops and then, fuck them up ! Smiley from Archive and my regular drummer Hibu Corbel, play the majority on the album, but I like to keep the loops in there too, often mixed in to the live recording, maybe that’s the secret. There’s a definite ’Foster" sound we have with Jim (Spencer, who mixed all three albums) that we should copyright !
On PenInsular III, there are too many essential songs for me to bring them all up, but I would like to talk to you about two of them at least. Kerbonn Shogun is not a discovery for your fans since an EP already bore its name in 2020, but this track is quite faithful to your first records, in particular Life Is Elsewhere, adopting a rather incredible progression between a long refined and clear introduction towards richer and hazier tones. Can you tell us about this piece ?
It’s probably one of my favourites, if not the favourite. It happened straight after PenInsular 2, and it was very much the catalyst for PenInsular 3. In many ways I think it is like a "best of", all in one song, it’s certainly my favourite to play live. I find it uplifing, postive - like a statement of intent.
With PenInsular 3, there was definitely a need to come back to basics and enjoy playing again, it’s much more spontaneous than the 2nd. I struggled playing PenInsular 2 live, the tracks just didn’t work live so it was very frustrating, with PenInsular 3 I needed to get that feeling back, the enjoyment of playing a loud guitar !
Herr Kut ! is a track which, without sinking into repetition, is very characteristic of your sound. Can you tell us about it, but also about its music video, fuelled with much freedom, and in a sense, a perfect mirror to your music ?
Herr Kut ! was the first song I recorded in the second Covid lockdown, probably around january of 2021, I was angry about a few things, especially a friend’s health problems, but also feeling very determined and was in a huge wave of creativity that needed venting. It was a very spontaneous track, it encapsulates the moment perfectly. The clip was really last minute, and we were lucky to have the director (William) available. I’d already worked a few times with him on his own projects, so this was a great way of combining our worlds. I think you really get the feeling of isolation and the "insulaire" in it, but it’s isolation in this huge wilderness, so it’s not necessarily a bad thing either.
More generally, how would you describe the sound of Robin Foster today ? How do you manage, on a technical level, to give this atmospheric effect to your compositions ?
I honestly try not to decipher that, I think it’s a very natural sound, it’s me trying to express a lot of emotions without words and hopefully people are getting those feelings from the music. I don’t have a set way of doing it, technically or in the creation of the tracks... it just happens.
Does your distant relationship with the music industry - you gave up releasing your albums on the label you created - influence your creative process ?
I grew up thinking a record deal was the most important piece of the jigsaw, in hindsight it’s proven to be the worst part of the whole process. There are still good people out there who want to help and are genuinely interested in putting out great records. But you see bands are now taking back control, and have been able to take control more easily through the digital age, it’s much easier now to be your own boss. Record companies ran out of money a long time ago, and the majority that I’ve known, especially publishers, are sharks, accountants masquerading as music fans. The contracts are ridiculous, you basically give them everything for a lifetime and get very little in return after a few months. When you don’t have these intermediaries getting in the way of the creative process, it’s much more liberating to create your own music without having to tick any boxes. Often the best people to work with now in labels and publishing are also musicians themselves, they know what it’s like and try not to make the same mistakes they’ve had to endure.
Where can we see you play live next ?
Festival de Cournouaille le 24 juillet and a special concert in Camaret to celebrate Peninsulars 1, 2 & 3 on the 13th of august... hopefully more concerts from september !
Thank you Robin !
Thank you IRM !
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