Unik Ubik - I’m Not Feng Shui
Toujours difficile à circonscrire et encore plus à catégoriser, la musique d’Unik Ubik gagne encore en envergure avec I’m Not Feng Shui.
1. Dan-Jun
2. Rolled In Flour
3. I Am Not Feng Shui
4. Pinheads On The Move
5. Mesmerize & Vanish
6. Tractors And Cows Down To St James Infirmary
7. This Is The Day
8. Lazy Beezy
9. Gypsy’s Revenge
10. Maggie Débloque
11. Right Or Contract
I’m Not Feng Shui claironne le groupe ; et moi non plus camarade. On va bien s’entendre. Pourtant, ce troisième album d’Unik Ubik, sous ses dehors toujours foutraques et désorganisés, est harmonieux et franchement bien rangé. Tout s’emboîte avec perfection dans le reste et le grand bazar s’épanouit sur un parterre dense, profond et indéboulonnable. Tous les éléments sont solidement chevillés les uns aux autres et si l’on en retire un seul, la boule à facettes perd tout son éclat. C’est du bordel très organisé qui continue à toucher à tout, précipitant le jazz dans le noise-rock, le metal dans la muzak, le punk dans le post avec une bonne dose de poil à gratter pour faire tenir le tout.
Rien de fondamentalement différent depuis leur éponyme inaugural mais en même temps, comme la grande affaire du groupe, c’est précisément la différence - à tous les niveaux, dans le moindre morceau, le moindre souffle - I’m Not Feng Shui ne ressemble absolument pas aux précédents tout en apparaissant totalement gémellaire. Et petit à petit, en poursuivant ainsi son chemin fragmenté constitué de multiples embranchements se terminant par des ronds-points amenant à d’autres embranchements et ronds-points, Unik Ubik façonne sa patte. Beaucoup de The Ex versant ouvert aux quatre vents dans l’esprit, un zeste de Primus, des pincées de klezmer à la Zorn, d’abstraction à la Beefheart et j’arrête là parce que l’amalgame entraîne fatalement un inventaire à la Prévert qui ne rendrait pas justice au groupe. Disons tout simplement qu’Unik Ubik joue du Unik Ubik et qu’à l’orée de ce troisième album, ça suffit amplement à décrire de quoi il s’agit.
C’est bordélique donc mais c’est aussi souvent drôle, parfois triste à mourir, en permanence urgent et ça distille tellement d’émotions parfois inverses qu’on comprend très vite le pourquoi du titre. Néanmoins, la dysharmonie n’est que de façade et on sent très bien dans ce patchwork bariolé aux nombreuses nuances.
Comme d’habitude, ça bouillonne tout de suite via ce Dan-Jun d’ouverture qui en met partout mais jamais à côté. Les cuivres virevoltent puis se bastonnent, la batterie tabasse, la guitare pousse des petits cris aigrelets, basse et clavier tapissent les interstices et on est pris dans la totentanz groovy et increvable. Tout juste après, rupture : du scandé, du punk, du Rolled In Flour avec un poil de bière éventée. Pas mieux pour la suite, Unik Ubik impose sa science de l’échantillonnage, balance du klezmer dans Tuxedomoon (la très chouette reprise de Pinheads On The Move), frotte la new wave à l’afrobeat par exemple (Mesmerize & Vanish), opère plein d’autres collisions et ne s’arrête plus.
Ce qui demeure incroyable, c’est qu’Unik Ubik ne se rate jamais et qu’il a beau multiplier les amalgames souvent improbables, I’m Not Feng Shui ne s’éparpille paradoxalement jamais. C’est un vrai bel album qui apprivoise les flux et leur donne une vraie profondeur. La matière éparse est ample, même souvent délicate et c’est très loin d’être n’importe quoi. Il y a des relents festifs contrebalancés par une patine exténuée, elle-même lézardée de multiples éclats rageurs qui parfois se mêlent à quelques gouttes de tristesse et ça donne de très beaux morceaux : le très ténu This Is The Day avec G.W. Sok au micro, les étranges Lazy Beezy et Gypsy’s Revenge ou encore le très prenant (et ultime) Right Or Contract imposent leur groove tout aussi énigmatique que jubilatoire et touchent in fine en profondeur.
L’air de rien, Unik Ubik parvient à réunir le chaud et le froid dans le même espace sans jamais paraître tiède, il fracasse autant qu’il fait de gros câlins et ce faisant s’emberlificote aux neurones en tissant un canevas qu’on aura bien du mal à démêler. L’air de rien, sa palette chromatique s’est encore fragmentée, a gagné en nuance et profondeur, en mordant aussi, et arbore désormais une sacrée envergure. L’air de rien, I’m Not Feng Shui avec sa chouette pochette (signée Maya Delhaye), impose sa patte unique dans un genre singulier, le sien.
On trouve de tout dans les élans métissés d’Unik Ubik, ce qui rend sa musique bien difficile à décrire. Mais comme ce premier disque est des plus réjouissants, on a tout de même essayé. Tentative.
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