2020, un bilan non essentiel - Part 4/5 : Albums #11 à 30

Avant-dernière partie et place aux inclassables, aux marottes, aux favoris maison qui n’en sont pas à leurs premiers méfaits dans nos pages, pour preuve certains m’ont même légèrement compliqué la tâche en sortant deux voire trois albums tout bonnement impossibles à départager en ce cru 2020, la palme à William Ryan Fritch qui parvient à placer trois disques dans un mouchoir de poche parmi mes 30 premiers - pas mal pour un classement supposément limité à une sortie par musicien. Peu de vraies découvertes en somme pour les assidus des colonnes d’IRM dans cette pénultième série (citons tout de même Iceblink et The OST, bien que déjà chroniqués au courant de l’année), mais si vous êtes arrivé là par hasard ça devrait tout de même vous changer des confrères... car à l’exception des constamment passionnants Autechre et surtout d’Other Lives, groupe enfin largement reconnu à sa juste valeur avec un quatrième opus rassembleur, un autre point commun entre la plupart des artistes ici présents est malheureusement le peu de visibilité qui leur est en général accordée, une non-couverture médiatique inversement proportionnelle à leur talent.




11. Francesco Giannico - Destroyed by Madness

Avec ce Destroyed By Madness au lyrisme fragile qu’habite un piano au spleen caressé par le hiss et balafré de glitchs organiques évoquant la morsure du froid, l’Italien Francesco Giannico nous offre l’un de ses plus beaux disques, une pure merveille d’ambient électroacoustique où la finesse des arrangements (guitare acoustique, cordes, idiophones et autres drones délicats) n’a d’égale que la profonde empathie que dégagent ces neuf morceaux inspirés par l’œuvre du poète beat Allen Ginsberg, que le musicien dédie à tous les laissés-pour-compte de notre époque matérialiste. Sorte de chaînon manquant entre classical ambient et post-rock atmosphérique, le successeur du déjà fabuleux Les Mondes Imaginaires marrie la subtilité et l’introspection du premier avec la cinématique musicale et les élans feutrés du second, mais via un langage idiosyncratique dont les codes ne ressemblent à ceux d’aucun autre, accentuant encore cette dimension de cocon musical hors du temps.


12. Vitor Joaquim - The Construction of Time

Depuis la sortie de l’album du même nom, on sait que l’impermanence, la relativité des perceptions et la fugacité des sentiments figurent parmi les grands thèmes récurrents de l’œuvre de Vitor Joaquim avec ses marées de textures impressionnistes aux surgissements mélodiques savamment triturés. Après le superbe Nothingness qui en travaillait l’aspect fataliste et l’acceptation que tout chose est inexorablement vouée à disparaître par le biais d’un minimalisme sépulcral à la tension magnétique, The Construction of Time s’attache au rôle de notre perception toute personnelle du temps et à son lien avec nos émotions. On peut ainsi dire à ce titre que même avec des morceaux-fleuves tels que le bien-nommé No End de plus de 22 minutes, le temps passe vite comme dans tout moment de grande appréciation à l’écoute de ce nouvel opus passionnant, qui laisse une place centrale à la trompette de João Silva, discrètement manipulée sur fond de micro-textures électroniques évanescentes, radiantes et craquelantes, d’affleurements glitch noisy et de samples radiophoniques des conflits irakiens comme érodés par le passage du temps, une manière sans doute pour le magicien portugais d’évoquer dans la mélancolie délicatement hantée d’un ambient-jazz conscient de sa nature éphémère la tragédie de nos existences si brèves et futiles à l’échelle de l’univers et pourtant si souvent vouées à la cupidité et la destruction.


13. Tenshun & Bonzo - Repulsive Sounds

"Fidèles au poste, les drummers de l’extrême du label I Had An Accident signent après Miasma leur 5e collaboration en un peu plus de trois ans, très certainement l’une des meilleures. S’éloignant de plus en plus du harsh noise qui l’avait révélé, Tenshun donne tout au long des 20 minutes d’Exploration Of Sound dans un abstract lo-fi, abrasif et tendu aux scratches et cuts virtuoses, quelque part entre les compos du DJ Shadow des 90s et l’esthétique sonore des débuts d’Anticon avec quelques accalmies lourdes de menace, autant dire que c’est le pied, à prolonger pourquoi pas avec cet EP sorti fin août en compagnie du patron du label à cassettes. Bonzo quant à lui, garde ses drums au second plan, un beatmaking d’influence plus industrielle servant sur Repulsion une sorte de psychédélisme bruitiste et malsain aux dissonances de cordes et nappes ambient délétères. Toujours dans l’exploration, l’Ukrainien parvient à y être tout aussi flippant qu’à l’accoutumée tout en déjouant nos attentes."


14. Vieo Abiungo - At Once, There Was No Horizon

"Après l’excellent The Letdown aux accents plus jazzy qu’à l’accoutumée et aux atmosphères rétro de film noir tantôt truculent ou hanté - bien qu’y affleure par moment cette ambient mystique et primitiviste chère au multi-instrumentiste américain -, William Ryan Fritch renoue sur At Once, There Was No Horizon, défendu comme souvent par l’excellent label Lost Tribe Sound, avec les épopées tribales élégiaques aux instrumentations ethniques (toute une panoplie de cordes, vents et percussions asiatiques et africains notamment) mais aux sensations presque orchestrales de son alias Vieo Abiungo, sur des titres inhabituellement longs aux compositions mouvantes et d’autant plus passionnantes. Clairs-obscurs et pétris de mystère, ces 6 instrumentaux prennent leur temps, travaillant cet impressionnisme des harmonies et des textures jusqu’à ce que s’extirpe enfin des ténèbres de la psyché ce lyrisme attendu qui n’en devient que plus poignant, à l’image du climax lancinant du génial Unfulfilled Promise et de sa redescente douloureuse de résignation, ou du final d’un Empty Heroics distillant espoir et détermination, un hymne idéal pour l’étrange période que nous vivons."


15. The Gaslamp Killer - Heart Math

Co-fondateur de Brainfeeder, The Gaslamp Killer en est également, depuis la débandade de Flying Lotus sur le totalement raté Flamagra l’an passé, le dernier représentant enthousiasmant, d’autant plus attachant qu’un accident de scooter avait bien failli le laisser sur le carreau il y a une demi-douzaine d’années, une expérience de mort imminente qui n’aura pas manqué de nourrir depuis l’abstract en clair-obscur du Californien. Troisième opus en 8 ans, Heart Math est aussi son meilleur, succession de vignettes mystiques et mélangeuses au gré desquelles on croise notamment le violoniste Miguel Atwood-Ferguson, le compositeur et claviériste Roberto Schilling, le percussionniste Andres Renteria, le vocaliste et multi-instrumentiste Amir Yaghmai ou encore les Heliocentrics, frères de beatmaking ethno-psyché (cf. le morceau-titre) dont le leader Malcolm Catto assure également le mixage ici en compagnie de Daedelus ou Mario Caldato, producteur historique des Beastie Boys - excusez du peu ! Mêlant lyrisme aussi classieux qu’imparable (God Willing, Blue Butterfly), minimalisme ténébreux (Nullen Void, Markets Of Marrakech), liturgies acoustiques (To Fathom Hell or to Soar Angelic) et incursions plus synthétiques à la lisière du soundtrack SF dystopique (Hjorth, Midnight Music), l’album sonne comme la catharsis d’une psyché morcelée, un voyage intérieur entre idées noires, réminiscences cauchemardées et spiritualité retrouvée.


16. Ben Chatwin - The Hum

Encore plus "larger than life" ou plutôt "larger than space" que son diptyque Staccato Signals / Drone Signals, The Hum de Ben Chatwin vibre toujours dans l’infini cosmique de pulsations synthétiques et d’élans dronesques érodés par le vide environnant mais le fait avec une émotion à fleur de peau, une mélancolie et un lyrisme qui affleurent en permanence et de plus en plus intensément de ces crescendos de nappes cinématographiques et de beats martelés, peut-être moins cette fois dans la symphonie futuriste que dans l’imaginaire douloureux d’un futur rêvé mais demeuré inaccompli. On imaginerait volontiers Interstellar ou Ad Astra bénéficier d’un tel soundtrack imaginaire sans que l’on ait à regretter le moins du monde l’absence de Hans Zimmer ou Max Richter au générique, c’est dire la puissance et l’ampleur de ce nouveau chef-d’œuvre de l’Écossais, qui semble avoir mis de côté pour de bon son alter-ego Talvihorros.


17. Kelpe - Run With the Floating, Weightless Slowness

"Apprécié pour son univers synthétique bariolé aux rythmiques syncopées et pour ses live avec batterie, Kelpe avait déjà esquissé un virage ambient bucolique avec le chouette EP Boiling, Steaming and Poaching. Deux ans plus tard, l’Anglais fait plus que transformer l’essai, tant ce nouveau long-format respire la quiétude d’un romantisme assumé, l’onirisme des nappes analogiques et le spleen des claviers, rehaussés de cordes au lyrisme tragique sur les piloérectiles All the Way Round et A Year and a Day, de field recordings nostalgiques un peu partout ou encore d’idiophones cristallins sur le jazzy et texturé Meridian Palindrome."


18. 10th Letter - Primitive Shapes

"Petit cousin de Flying Lotus nourri à l’underground à synthés des années 80 (Electric Helix), à la techno (voire à la house, cf. Light Being) des origines et au jazz notamment (Slug Daze) aussi bien qu’au hip-hop électronique libertaire de Thavius Beck (Constellator) et aux expérimentations du label Warp de la grande époque (Crystal Hedron), 10th Letter continue son petit bonhomme de chemin idiosyncratique dans une électronique instrumentale aussi aventureuse qu’irrésistiblement groovesque avec ce nouvel album-monde dans la mouvance des géniaux Reloaded et Ultra Violence. Après l’afrofuturisme jazz de la superbe mini-bande originale du court-métrage Ten Toes Down, le beatmaker d’Atlanta y renoue entre autres avec la drum’n’bass martienne (Torus, Pythagoras’ Theorem), l’ambient rétro-futuriste de la SF des eighties (Formless Shapes) ou encore un boom bap à mi-chemin de l’Afrique et de Miles Davis (Hexagon Mirror), quand il n’en remontre pas à l’auteur de Los Angeles et Cosmogramma sur son propre terrain narcotique et syncopé (Cubism, Amber Leaves). Un nouveau chef-d’œuvre inépuisable et inclassable en somme, où l’étrange et le familier ont trouvé l’équilibre parfait sur le savant déséquilibre rythmique du glitch-hop."


19. Autechre - SIGN / PLUS

"Qu’écrire encore sur Autechre ? Un chef-d’oeuvre, deux chefs-d’oeuvre, trois chefs-d’oeuvre, quatre, cinq et même, allez, six ne serait-ce que durant la précédente décennie, les derniers tenants du génie d’un label Warp moribond (avec Leila, qui se fait rare) n’ont jamais cessé de creuser brillamment leur sillon toujours cohérent mais toujours différent, organique et subtilement mutant, peut-être plus vivant, vivace et indémodable qu’aucune autre musique électrique à l’exception peut-être de celle de leurs cousins floridiens de Phoenecia. Sign et Plus, albums respectivement plus ambient et plus dynamique, un tantinet plus "légers" peut-être que leurs prédécesseurs - mais est-ce vraiment un mal ? -, ne dérogent pas pour autant à la règle et charrient sous leurs apparences absconses pour certains allergiques des trésors de lyrisme malade, de psychose ludique et de dysrythmie métamorphe sur des morceaux où les textures cyber-somatiques continuent de faire bon ménage avec des beats extra-terrestres et des harmonies paradoxalement aussi malaisantes que réconfortantes selon l’humeur avec laquelle on les aborde."


20. Vladislav Delay - Rakka

Il y a quelque chose de brut, de presque sauvage en Rakka, et pour cause, ce nouvel album, premier depuis le formidable Visa d’il y a 6 ans déjà, a été inspiré à Vladislav Delay par ses excursions dans la toundra arctique et ses sentiments face à la lutte pour la survie qui anime la faune et la flore suffisamment résistantes pour y vivre. Les éléments se déchaînent ainsi d’emblée sur un morceau-titre aux drones tempétueux et aux pulsions urgentes, certainement l’un des titres les plus organiques jamais composés par le Finlandais. La suite du disque confirme qu’il y a ici peu de place pour la mélodie, synonyme de confort, et que les harmonies érodées auxquelles seule l’accalmie d’un Raakile permet encore de respirer, doivent désormais s’accommoder de saillies abrasives évoquant les rafales glaçantes et autres intempéries boréales, dans la continuité des déstructurations du précédent opus mais sans cette dimension presque mathématique qui en ordonnait encore partiellement les composantes essentiellement glitchées. Quant au rythme, sous la forme de pulsations texturées qui n’ont plus rien de beats à proprement parler, il est plus présent, presque industriel sur un morceau tel que Rampa mais ailleurs parfaitement intégré à l’écosystème post-ambient de ce disque ardu comme les étendues verglacées qui l’ont fait naître.


21. 2kilos &More - Exempt

"5 ans exactement depuis le fabuleux Lieux-Dits, Séverine Krouch et Hugues Villette ont pris le temps de se faire désirer, faisant tout de même escale dans l’intervalle du côté de Twin Peaks et de notre compilation du même nom avec un inédit composé pour l’occasion dont les accointances post-rock se retrouvent ici notamment sur Aspect et Trilogie II, et pour somekilos (aka Hugues Villette donc) par les polyrythmies tribales et hypnotiques de Meta Meat avec à la clé des performances scéniques habitées. Percussif, Exempt l’est assurément tout autant, du syncopé Wieder au martial Trilogie III en passant par l’insidieux single Decibels où le fidèle comparse Black Sifichi, au spoken word halluciné, se fait plus intrigant que jamais. Mais c’est avant tout par son atmosphère cohérente, pétrie de mystère dans ses interstices plus feutrés aux silences lourds de tension (Circular, Trilogie I) qu’impressionne en entier ce 5e album dans la continuité à la fois organique et abstraite, post-indus et tribale des opus précédents, toujours zébré d’électronique aux incursions particulièrement subtiles ici dans ses textures hypnotiques et ses déstructurations harmoniques."


22. Mind the Beatz - Nights Cuts

Il y a beaucoup de DJ Shadow chez Mind the Beatz, cette érudition qui permet d’inventer des ponts entre musique baroque ou pop de chambre et boom bap, westerns morriconiens et folklores orientaux, rap 90s et piano triste (le parfait Mystery avec son sample pitché de Gang Starr), Big Beat et guitare sud-américaine (qui sait, peut-être bien celle de Gustavo Santaolalla sur Surveiller et punir ?), entre Tours et l’Inde, l’Argentine ou la Thaïlande, pour le grand bonheur des globe-trotteurs en salon. Mais l’érudition ne suffit pas et assurément les complémentaires Zoën et Fysh, en mêlant précision du groove et spleen crépusculaire des atmosphères, parviennent avec Nights Cuts à réinsuffler à l’abstract hip-hop instrumental, pratiquement tombé en désuétude avec la perte de vitesse des RJD2, Blockhead et autres DJ Krush depuis quelques années, une classe et un souffle qui manquaient même aux derniers opus de l’auteur dEndtroducing, pourtant revenu en forme depuis une paire de disques. On avait eu la chance de découvrir ce Nights Cuts en concert peu après la sortie de l’EP Pad Thaï et d’en prendre plein les oreilles à coups de scratches épiques, et si l’album, à l’exception peut-être de Moon, ne restranscrit pas tout à fait l’urgence folle et mélancolique du live en question, sa production plus posée l’impose déjà comme un classique du genre.


23. Other Lives - For Their Love

"Comment passer après l’intensité feutrée de Tamer Animals et surtout la grâce évanescente du faramineux Rituals  ? For Their Love réussit ce petit exploit, sans rompre pour autant avec ses illustres prédécesseurs... pour preuve, on pense toujours beaucoup à Lee Hazlewood (le capiteux Sound of Violence) et feu Lost in the Trees (les crescendos de cordes dramatiques du sommet Nites Out) déjà évoqués à l’époque de cette chronique, et c’est simplement l’americana qui revient au premier plan au détriment de la pop stratosphérique et foisonnante, tutoyant Sigur Rós, du chef-d’oeuvre de 2015, tout en sachant en conserver la dramaturgie savamment dosée. Après For the Last et son clin d’œil mélodique à la BO dIl était une fois dans l’Ouest, l’influence d’Ennio Morricone explose sans complexe sur le western We Wait avec ses chœurs baroques façon Trilogie du Dollar. Des enivrantes circonvolutions violoneuses d’un Lost Day à coller le frisson à la magnifique ballade Sideways en passant par la luxuriance toute en retenue d’All Eyes, le lancinant Who’s Gonna Love Us à la progression terrassante ou l’alt-country piano et clochettes en avant d’un Hey Hey plus dynamique qui en remontrerait à n’importe quel descendant de The Band, le groupe originaire d’Oklahoma toujours emmené par le vocaliste, pianiste et guitariste Jesse Tabish et transcendé par l’arrivée de sa compagne Kim aux backing vocals, brille autant par la constance d’un songwriting systématiquement piloérectile que par la finesse d’arrangements atypiques. Un 4e classique instantané d’affilée."


24. William Ryan Fritch - Solidum / The Letdown

Deux de plus donc dans cette tranche de classement pour l’impressionnant William Ryan Fritch, dont l’inspiration et la productivité n’ont pas faibli d’un iota depuis les premiers enregistrements de Vieo Abiungo il y a tout juste une décennie. Dernier chef-d’œuvre labyrinthique en date, l’album-fleuve Solidum dont les instrumentaux explorent une veine plus minimaliste qu’à l’accoutumée, les instruments acoustiques se fondant avec les nappes de Roland JX-3p en élégies granuleuses d’où s’extirpent par moments les accords au spleen fragile d’un vieux piano droit aux tonalités passées ou ceux, plus cristallins, d’un piano numérique. Un disque construit en 21 mouvements plus ou moins anxieux ou chaleureux, menaçants ou rassurants, qui semble brasser toute l’ambivalence de nos sentiments face à cette période troublée et qui tranche assez radicalement avec le maximaliste instrumental du tout aussi remarquable The Letdown, disque inhabituellement jazzy voire enlevé (du moins dans sa première moitié) de la part du ténébreux Californien mais néanmoins marqué du sceau d’une capiteuse étrangeté, avec ses ambiances de ciné-club rétro et d’errance nocturne au son d’un jam opiacé entre jazzmen lynchiens en pleine descente de l’euphorie au bad trip.


25. The OST - The OST

"Une fort belle découverte électronica aux pianotages psyché de synthés analogiques qui, sur des morceaux tels que Tempst ou Degrade, m’évoquent davantage les rêveries rétro-futuristes du toujours bien trop sous-estimé Christ. que celles, plus subconscientes, de son ancien groupe Boards of Canada, dont The OST retrouve néanmoins les atmosphères hantologiques et l’influence hip-hop plus marquée des débuts. Entre les accents industriels de The Undoing, la drum’n’bass de souvenir d’écolier d’Everything ou les gimmicks presque Madchester du bien-nommé Circa 1984, on sent pourtant que celui ou celle qui se cache dernière ce mystérieux pseudonyme a grandi avec la beat music anglaise autant qu’avec les fantasmagories nostalgiques de BoC, ce qui allié à une sincérité palpable de bout en bout lui permet d’éviter brillamment le piège du pastiche, du revival sans âme ou du simple tribute."


26. Pavan / Frezzato + Aldinucci / Bernocchi - Not Linear

Sur le papier, une collaboration avec le grand Giulio Aldinucci qui se targue d’être "non linéaire" avait déjà tout pour me plaire. L’Italien, dont le dernier opus en date figure encore plus haut dans le présent classement, a été sollicité au même titre que l’excellent Eraldo Bernocchi (aka SIMM) pour réinterpréter l’une des sessions de studio de cette nouvelle rencontre entre le musicien électronique et claviériste Gino Pavan et le multi-intrumentiste Guido Frezzato (vents, bois et percussions) qui les voit, un quart de siècle après leur première collaboration, composer ensemble pour la toute première fois. L’ambient mystique aux effluves africaines et orientales qui en résulte sonne un peu comme la bande-son introspective et hors du temps, en constante construction, de l’exploration d’une spritualité chaotique et néannmoins immaculée où chaque élément, des cordes capiteuses aux synthés rétrofuturistes en passant par ces sonorités extra-terrestres aux allures de field recordings manipulés, trouve sa place aussi sûrement que dans une symphonie à laquelle Bernocchi offre un moment de transe presque trip-hop et Aldinucci un final ascentionnel aux drones d’une autre dimension.


27. Les Marquises - La Battue

Dans la continuité du soundtrack Le Tigre de Tasmanie et de ce morceau composé pour notre compil hommage à Twin Peaks qui en avait en quelque sorte donné le ton, Jean-Sébastien Nouveau épure sur La Battue (dont le morceau d’ouverture aux mélancoliques vibrations gothiques s’intitule justement Bare Land, un paysage musical réduit à son essence) la musique des Marquises , privilégiant percussions hypnotiques et synthés magnétiques tout en renouant avec les chansons que ces précédentes expériences avaient temporairement mises de côté. On ne dira pas pour autant de ce nouvel opus qu’il est minimaliste, bien que l’adjectif se prête on ne peut mieux à l’inquiétant et presque ambient Older Than Fear, tant l’intensité de l’ensemble, qu’elle soit soutenue par la tension presque martiale des rythmiques (La Battue, Hosts Are Missing ou le quasi techno et néanmoins habité Head As A Scree) ou plus feutrée (White Cliff, Once Back Home) donne constamment l’impression d’être englouti par un maelström qui brille pourtant par son économie de moyens. Un disque qui encore une fois n’aura pas été loin de faire l’unanimité dans l’équipe cette année (cf. ici et ), ce qui relève du petit exploit lorsque l’on sait que nos passions ratissent depuis longtemps trop larges pour que l’on puisse encore espérer s’accorder sur un bilan annuel commun, abandonné depuis 2013.


28. E - Complications

Du noise rock de songwriter comme en fait plus, digne de la grande époque de Sonic Youth, de Shellac ou de son propre groupe Uzi dans les 80s, voilà ce que propose la bientôt sexagénaire Thalia Zedek avec ce scond opus de E, peut-être un poil moins sombre que son fantastique prédécesseur Negative Work mais toujours puissant et incandescent, tribal et martial, tranchant et dissonant tout en restant mélodique, d’une tension et d’une intensité peu communes dans l’indie rock d’aujourd’hui, surtout quand Jason Sidney Sanford prend le micro comme sur cet Acid Mantle aux airs d’apocalypse en marche. Alternant morceaux frontaux (le single Contagion Model) et d’autres plus tortueux (Miasma), aussi chirurgical que ses métaphores, Complications ne souffre aucun temps mort et ses 9 morceaux filent vite et bien, autant de bombinettes addictives tantôt lyriques (Sunrise), sèches et véhémentes (le punk aux entournures Dead Drop) ou les deux à la fois (Apiaries Near Me), qui avaient marqué notre été et ont su conserver leur sève au gré des écoutes répétées.


29. Iceblink - Carpet Cocoon

"Artiste trans de Minneapolis, Lynn Avery s’est composée un cocon musical personnel avec ce nouvel album de son projet Iceblink, soundtrack imaginaire terrassant de sensibilité qui n’est pas sans évoquer les Allemands de Hochzeitskapelle pour la douceur triste entre jazz et folk du fabuleux Healer d’ouverture ou plus loin de Duet, marqués par les univers de compositeurs tels que Mancini, Comelade, Michel Legrand voire pourquoi pas Stan Getz (Dialoghi). Le reste du disque est plus ambient, entre textures ouatées, percussions aquatiques et bribes de mélodies rêvées, et toujours irrigué par cette qualité particulièrement intimiste et reposante qui réconforte à chaque instant, non sans un soupçon de mélancolie."


30. Drew McDowall - Agalma

"Ex Coil du mileu des 90s au début des années 2000 et collaborateur ponctuel de Psychic TV, le multi-instrumentiste écossais Drew McDowall explore discrètement depuis une direction expérimentale et singulière, qui laisse une grande part au modulaire et prend la forme sur Agalma d’élégies dronesques aux éclats d’instrumentations synthétisées, au-dessus desquelles planent chœurs mystiques et vapeurs lancinantes sur des lits de beats arythmiques et de percussions étouffantes. C’est assez étrange, hypnotique et très beau, par moments totalement cauchemardé (Abandoned Object), à d’autres merveilleusement onirique, ample et épuré (Agalma I, Agalma III), souvent intense et habité (sur Agalma VI en particulier), rarement mais parfois tout de même sur le fil du mauvais goût (les vocalises autotunées d’Agalma VII) mais toujours aventureux, jamais tiède, en un mot captivant."