Nursery - Eugenia
Nursery est un trio, Nursery vient de Nantes et Nursery refuse de choisir son camp camarade. Dans Eugenia, il met un peu de tout, sort les crocs mais n’oublie pas d’être accorte. On passe de bons moments pour un bon moment avec ce disque.
1. Physical
2. Alien For Me
3. Tight
4. Where Evil Hides Its Way
5. Sober Tender
6. Cut
7. Porn Life
8. Skyline
9. Empty Heaven
10. Eugenia
11. In Under Two
Eugenia, deuxième album de Nursery, est un chouette condensé d’indie rock contondant, un peu sale et plombé. Ça file vite et les morceaux montrent une variété bienvenue qui tient à distance les longs doigts gris de l’ennui. C’est malin, bien construit et on sent bien que le trio se connait bien : où qu’ils aillent, Paul Gressien (batterie mais chant trafiqué aussi), Julien Dumeige (guitare) et Jean Duteil (basse) restent bien groupés et cela a pour effet de resserrer leur musique et d’éliminer les temps morts. Eugenia s’envisage ainsi comme un bloc d’où rien ne s’extirpe et de prime abord, on a d’ailleurs bien du mal à isoler quoi que ce soit de la masse. Comme si chaque titre effaçait le précédent puis était chassé par le suivant. Le corolaire étant qu’à la toute fin, on ne retient pas grand chose d’Eugenia. Mais bon, ça, c’est au tout début et l’histoire, évidemment, se finit bien.
C’est qu’il y a un vrai fond là-derrière. C’est primesautier et bondissant certes mais pas que. D’abord, le disque s’accompagne d’une forme d’écho un peu étrange qui efface consciencieusement le contour des morceaux. La guitare semble toujours résonner d’un peu plus loin. Le chant et les chœurs s’enchevêtrent jusqu’à devenir bizarrement fantomatiques mais comme ils se baladent souvent dans les aigus, ils ont tôt fait de déchirer le gracile drap gris qui les enveloppe. La batterie tchak-poume précisément mais son rendu est plus flou et la basse se cache souvent dans ses interstices. Il y a ce drôle de truc dans le son qui rend les morceaux un peu indéterminés, un peu inquiets aussi et qui procure in fine pas mal de substance à la musique du trio.
Ensuite, Nursery peut s’enorgueillir d’un vrai sens de la composition efficace. On disait plus haut qu’aucun titre ne se dégageait de la masse mais 1. ils sont tous accrocheurs et 2. ils sont tous très différents. Il faut donc bien se rendre à l’évidence : on était complètement à côté de la plaque la première fois qu’on a posé Eugenia sur la platine. C’est qu’il se révèle petit à petit, pullule de bonnes idées et ce n’est certainement pas parce qu’on multiplie les écoutes qu’on finit par l’apprécier. C’est même tout le contraire. L’album est simplement suffisamment bien foutu pour qu’on y revienne souvent.
Et puis, Nursery ne s’embarrasse d’aucun détour. On est plongé dans le vif du sujet dès l’entame et, par sa construction, l’album ne relâche son étreinte qu’une fois terminé. Avec Physical en ouverture, l’ossature est posée même s’il ne préfigure pas vraiment la teneur des dix morceaux suivants. L’ossature, c’est la voix d’abord - celle du batteur, rappelons-le, scandée et rythmique, ce qui n’étonne pas - la guitare fuselée, déglinguée et souvent tendue, la basse distordue et drastiquement plombée puis la batterie quatre-roues motrices. C’est bien ça qui délimite le triangle dans lequel est contenu Eugenia et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il est bien campé sur ses sommets. Les segments qui les relient les uns aux autres sont en revanche beaucoup plus malléables. L’album n’est pas une figure bien construite à la règle. C’est plutôt un tracé à main levée : ça grince, ça sursature et ça en met un peu partout mais ça ne déborde jamais du cadre.
Physical donc joue la carte de la montée en puissance qui de simple clapotis devient déluge de distorsion. Alien For Me, plus sautillant, fait la même chose mais en complètement différent. C’est de la pop mutante, sale et punk. Puis c’est Tight, plus garage, plus ramassé mais toujours crade et ainsi de suite jusqu’à la toute fin. Nursery ne se cramponne pas à un style si ce n’est le sien et montre autant d’enthousiasme à trousser de chouettes mélodies qu’à les déconstruire, à calmer le jeu qu’à l’hystériser, à crier haut et fort qu’à se taire. La musique d’Eugenia est métamorphe mais on l’identifie sans peine : elle renferme des poussières de Pixies, des accents à la Dead Kennedys, des minuscules bouts d’Alice Donut, du Pulp et du Jay Reatard en quantité infinitésimale, le tout amalgamé au petit bonheur la chance si bien qu’on s’en fout. Bien sûr, c’est référencé - qu’est-ce qui ne l’est pas - mais ce qu’on entend, c’est surtout du Nursery. Son énergie à toute épreuve, sa tension et sa concision, sa cohérence effacent le réseau interne et poussent à se concentrer sur le disque et rien que lui.
Eugenia, c’est un peu le contenu de la poubelle du recto exposé au verso : des déchets, du liquide et du sang, des bouts de plastique mêlés à des trucs plus organiques. En soi, c’est moche mais le cadrage et la prise de vue rendent tout cela beau. Bref, on vous conseille fortement de jeter une oreille, les deux puis le corps tout entier dans ce que proposent les Nantais.
Excellent.
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