Le streaming du jour #1960 : Gerald Murnane - ’Words in Order’
Aussi touchant qu’absurde à l’image de son final Knuckles the Dog, histoire d’un chien altruiste empruntée au groupe noise Killdozer que l’interprète lui-même s’esclaffe à raconter sur l’enregistrement, Words in Order tente de mettre de l’ordre dans le foisonnement d’inspirations d’un écrivain des Antipodes de 79 printemps, un certain Gerald Murnane que l’on présente dans les milieux autorisés comme le meilleur romancier australien que personne ne connaît et qui habite les étranges vignettes expérimentales de ce premier album de son timbre chantant de compteur décalé.
Mais le véritable architecte de ce disque à nul autre pareil est un autre australien, Chris Gregory. C’est lui qui met en musique dans toute une variété d’atmosphères et de sonorités le spoken word et les mots de Murnane, évoquant, par ce choix de privilégier la diversité des écrins instrumentaux à une cohérence qui siérait finalement assez mal au fourmillement d’influences et d’envies de l’écrivain, cet autre ovni littéraire et musicalement sens dessus dessous que scandait d’une voix désabusée l’ex Arab Strap Aidan Moffat il y a tout juste 10 ans.
La comparaison s’arrête là, au storytelling maussade et cru de l’Écossais se substituant une poésie surréaliste et des exercices de style jouissifs chez l’Australien, à commencer par ce Do Good, Dog-God ! Do, O God ! de près de 16 minutes qui enfile les palindromes (1600 mots en tout, qui auront mis 6 mois à être couchés sur papier) sur fond d’électro onirique, d’ambient cosmique, de percussions mystiques, de drum’n’bass anachronique ou de musique contemporaine jouée au synthé bontempi, autant de mouvements qui s’imbriquent le plus naturellement du monde au gré des mots et des exclamations du presque octogénaire que l’on sent gourmand et à son aise dans cette gymnastique pourtant nouvelle pour lui.
Les quelques versets du Mongoloid de Devo déclamés sur moins d’une minute témoignent d’une vision du monde résolument anticonformiste tandis qu’In the Cemetery, At the Drapers et Are You Digging on My Grave ?, tous trois empruntés à Thomas Hardy, viennent confirmer cet amour des mots et de leur sonorité, qu’ils soient écrits par soi ou par d’autres, sur un canevas minimaliste allant d’un bandonéon esseulé à des drones de synthé sur fond de boîte à rythme syncopée en passant par quelques échos de guitare saturée. Poème narratif rappelant que l’Australie rurale a plus d’un point commun avec l’ouest américain, The Ballad of RTM semble rendre un hommage amusé à Johnny Cash, jusqu’au destin banalement tragique - ou vice-versa - de son personnage. Quant à A Plea to Those Who Survive Me, basé sur la prose du Hongrois Dezső Kosztolányi, il s’attaque carrément au metal, double pédale et riffs plombés accompagnant les divagations bilingues difficilement compréhensibles de Murnane.
Étrange et jubilatoire !
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