K.T.F.T., deuxième album de Dazed Pilots, est assez étrange. Il mêle en permanence scories punk toujours brûlantes en provenance directe des ’70s agonisantes/’80s balbutiantes à une voix qui rappelle Bauhaus sans jamais verser dans le versant post cher à ces derniers. Ce qui est étrange aussi, c’est que la musique peut se montrer très chaotique et hérissée puis abandonner complètement ses angles contondants l’instant d’après pour aller batifoler dans une mer baroque très glam et assez incongrue. L’outrance (empruntée, elle, à Bowie) est de la partie mais habillée d’un son suffisamment ténu et naturel pour en atténuer le côté casse-gueule et miraculeusement, l’ensemble tient debout. Étrange donc mais le disque étant estampillé du logo des Viennois de Cut Surface, on ne s’étonne plus de s’étonner. Rappelons qu’on leur doit le tout aussi étrange éponyme de Melt Downer où la lourdeur des Melvins se perdait dans les brumes d’un psychédélisme bucolique aux épines harsh pour un résultat évidemment déviant.

On ne sait pas grand chose de Dazed Pilots. On sait tout au plus qu’il s’agit d’un duo réunissant Jonas Geise (batterie) et Rico Mynthen (voix et guitare). On sait aussi qu’ils sont autrichiens et qu’ils ont sorti un premier album chez Totally Wired Records (lui aussi Viennois), Drummers & Codies, en 2015 où tout était déjà plus ou moins à sa place : les New York Dolls y copulaient avec The Fall et leurs rejetons hirsutes étaient tout à la fois approximatifs, arrachés et agis par de fortes émotions qu’ils peinaient à contenir. K.T.F.T. (pour Kitchen Table Fairy Tales) trace la même route chaotique, urgente et finalement variée. On ne sait pas grand chose donc mais on sait finalement l’essentiel.

Tout commence en mode punk rock toute avec Kill ’Em With A Kiss où le duo montre sa capacité à modeler un beau bordel en deux minutes trente. Arcadia qui le suit immédiatement montre le même goût pour l’arrachage de guingois et cela suffit à donner un caractère très urgent à K.T.F.T.. Et c’est le moment que choisit le duo pour balancer Shiny Boots, un truc franchement laid back qui tranche complètement avec les crocs de ses prédécesseurs. Envolé le punk rock, place à quelque chose de beaucoup plus bucolique et presque blues mais qui, bizarrement, ne tranche pas du tout au milieu de ses petits compagnons de bruit. La suite est du même acabit et se partage entre pièces éjaculatoires (Melodic Words et Silent Kiss par exemple) et post coïtum animal triste (Kitchen Table Fairy Tales ou encore The Muse Was The Way) même si la plupart du temps, tout se retrouve mélangé au sein d’un même morceau (Fall From Grace, Senza Title). L’ensemble étant très court, les changements permanents de braquet finissent d’asseoir la belle vivacité de la musique de Dazed Pilots. On aime particulièrement leur façon de s’emparer d’éléments prototypiques empruntés à droit à gauche pour en faire quelque chose de finalement très personnel et d’incroyablement urgent. Plus long, K.T.F.T. se diluerait inexorablement ; plus court, il serait par trop disparate. Deux écueils qu’il évite très efficacement. De quoi en faire un grand petit disque tout aussi bref qu’attachant qui ne dépareille absolument pas au milieu du catalogue toujours plus éclectique de Cut Surface.

Punk évidemment et déviant surtout.