The Ex - 27 Passports
Vingt-sixième album, 27 Passports arrive huit années après le précédent, Catch My Shoe, et pourtant, le temps n’a eu aucune prise. The Ex demeure vif et cinglant et son nouvel album est magistral.
1. Soon All Cities
2. The Heart Conductor
3. This Car is My Guest
4. New Blank Document
5. Silent Waste
6. Piecemeal
7. Birth
8. Footfall
9. The Sitting Chins
10. Four Billion Tulip Bulbs
Pas facile de commencer quelque chose sur The Ex. Les concernant, il y a toujours eu un moment où l’on perdait le fil : changements de line-up réguliers, collaborations diverses et variées, discographie pléthorique impossible à résumer en quelques lignes, départs, retours et j’en passe, le tout sur une bonne quarantaine d’années. Toutefois, malgré cette histoire au long cours et ces variations multiples, il y a tout de même un point commun à tout ce qu’ils ont pu faire, tout ce qu’ils ont pu sortir : leur musique. Quoi qu’ils fassent, The Ex reste The Ex. Ils sonnent comme eux seuls sonnent. Ils peuvent même collaborer avec un violoncelliste américain (Tom Cora), un saxophoniste éthiopien (feu Getatchew Mekuria) ou une tripotée de souffleurs chevronnés (le Brass Unbound) qu’on les reconnait tout de même immédiatement. Ils ont toujours ouvert leurs fenêtres en grand pour laisser leur punk respirer, pour qu’il ne se recroqueville pas sur lui-même et ne devienne plus qu’une ombre ayant perdu toute sa colère ou un ectoplasme sans substance ni saveur. Aucun risque de ce côté-là car en collaborant tous azimuts, The Ex a aussi beaucoup appris. En se frottant à d’autres inspirations, à d’autres folklores, ils ont toujours su en tirer quelques traits prototypiques qu’ils ont ensuite réinjectés dans le paradigme mais sans jamais, pourtant, le diluer. Du coup - et c’est très paradoxal - avec The Ex, c’est toujours pareil et c’est toujours différent. Ça vit, ça déborde tout en étant toujours très lisible et maîtrisé, ça se mélange, ça puise à droite à gauche tout en ne ressemblant qu’à soi-même, ça explore, ça tente sans jamais (en tout cas, très rarement) se casser la gueule. 27 Passports ne déroge pas au crédo patiemment érigé depuis 1979. Remplis d’accents venus d’ailleurs, de répétitions malignes, de chemins de traverse, d’éléments renfrognés s’agrafant à des choses beaucoup plus accortes, de joie, de colère, de tension et de transe, ces dix morceaux constituent in fine un très bon, un excellent même, nouveau The Ex et font très vite oublier les huit années sans nouvelles (discographiques tout du moins) qui s’achèvent donc ces jours-ci.
27 Passports commence très fort avec l’hyper tendu Soon All Cities : guitares bégayantes et post-punk en avant, ciel de traîne venant recouvrir de son voile gris le feu qui couve, chant immédiatement reconnaissable (Arnold de Boer toujours), percussions virevoltantes et quasi-tribales sur la fin, lorsque les guitares montrent leurs crocs et s’amoncellent. Percutant et vif, ce morceau annonce les neuf à venir. Direction l’Afrique (et particulièrement l’Éthiopie) avec le suivant (le brûlant The Heart Conductor) et quelques autres (Birth, The Sitting Chins mais on pourrait vraiment tous les citer) quand New Blank Document ou Footfall délocalisent, eux, le propos au cœur de la mégalopole aliénée. The Ex fait alors entendre toute sa force insurrectionnelle et donne envie de tout envoyer balader. 27 Passports se déploie entre ces deux pôles et prend évidemment plaisir à tout mélanger. Les guitares sont partout (et toujours au nombre de trois, rehaussées de la baryton d’Andy Moor qui apporte beaucoup de profondeur) et s’échappent quasi systématiquement dans une sorte de transe improvisée qui finit par tout recouvrir, sans jamais, pourtant, écraser les mélodies. Elles aussi sont partout, solaires (Four Billions Tulip Bulbs, au début en tout cas) ou inquiètes (This Car Is My Guest), elles constituent les fondations sur lesquelles naît tout le reste. Même au sein des morceaux les plus décousus (Silent Waste), il y a toujours ce truc qui accroche et permet de les différencier les uns des autres. La batterie est à l’origine d’un charivari toujours ahurissant si l’on se prend à le détailler - cloches, rythmes fougueux ou plus ténus, invention partout - participant pour beaucoup à faire naître la transe susmentionnée. Et puis il y a encore le traditionnel morceau chanté par Katherina Bornefeld (Birth) pour finir de convaincre que The Ex est encore loin d’avoir tout dit. On est dans l’exacte lignée de Catch My Shoe (2010) et pourtant, 27 Passports demeure très actuel, nourri d’une exaspération qui ne faiblit pas et qui explique sans doute pourquoi le temps n’a aucune prise sur cette musique tout aussi libre qu’inventive, hypnotique que vitale.
Bref, on le voit, ce n’est pas encore avec celui-là que The Ex frôlera l’anecdotique. On a beau s’être déjà frotté à cette musique indomptée, on reste soufflé comme au premier jour par ces titres incandescents qui savent si bien transmettre leur feu intérieur.
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