The National - Sleep Well Beast
Les taquins. Forcément, l’annonce d’un nouvel album de The National ne pouvait pas nous laisser insensibles et les Américains savaient bien que nous ne résisterions pas à l’idée d’écouter les morceaux qu’ils dévoileraient en avant-première.
1. Nobody Else Will Be There
2. Day I Die
3. Walk It Back
4. The System Only Dreams in Total Darkness
5. Born to Beg
6. Turtleneck
7. Empire Line
8. I’ll Still Destroy You
9. Guilty Party
10. Carin at the Liquor Store
11. Dark Side of the Gym
12. Sleep Well Beast
Quatre titres qui nous donnaient bon espoir de voir The National gagné par un regain d’inspiration après un Trouble Will Find Me qui n’était qu’un très bon disque. Pas au niveau des chefs-d’œuvre intemporels qui constituent la trilogie d’or composée d‘Alligator, Boxer et High Violet. Notons que comme dans toute bonne trilogie, le sommet le plus marquant est situé au milieu, et comme les Américains ne sont pas des gens contrariants, ils se sont pliés à cet usage.
Ce que l’on était loin de soupçonner en revanche, c’est que ce nouveau disque de The National serait si déroutant. Habituellement, les albums du combo proposaient toujours plus ou moins la même chose. Une douzaine de chansons de sad-pop sur lesquelles les dandys alternaient les ballades intemporelles, souvent au piano à l’instar de l’inoubliable Fake Empire, et les morceaux électriques au débit plus enlevé à la Mistaken For Strangers ou Afraid Of Everyone, certains titres intermédiaires tels que Mr November contribuant à générer le liant et l’alchimie d’ensemble requise.
Taquins, disions-nous, les Américains le sont d’autant plus qu’ils nous prennent par surprise. Et que cette dernière n’apparaît que progressivement au cours de cet album. Nobody Else Will Be There débute avec une ritournelle au piano en boucle sur laquelle Matt Berninger partage de sa voix un spleen mélancolique auquel nous sommes habitués mais dont nous ne pourrons jamais nous lasser tant il est déclamé avec justesse et brio. Et cette montée en puissance soutenue par les cordes revêt un caractère résolument jouissif qui permet au groupe de soigner son entrée.
Puis Day I Die, déjà dévoilé avant la sortie du disque, nous offre le « traditionnel » single au débit plus entraînant et aux digressions électriques. Il transforme en quelque sorte l’essai que constituait le titre précédent et pose une question aussi existentielle que ce « The day I die, where will we be ? » qui réveillera les angoisses de mort auxquelles nul ne peut échapper.
Et puis Walk It Back intrigue. La voix de Matt Berninger se balade au milieu de l’ambiance concoctée par les guitares et quelques effets tantôt larseniques, tantôt synthétiques. Mais si ce morceau intrigue, ce n’est pas tant pour ses composantes techniques que pour son caractère atmosphérique et le fait qu’en six minutes, il ne s’offre pas le luxe d’un refrain dévastateur et privilégie à celui-ci des blips tourmentés.
Mais cette étrange parenthèse prend fin avec The System Only Dreams In Total Darkness, véritable sommet du disque, qui s’inscrit d’ores et déjà comme l’un des grands morceaux du répertoire de The National dans un registre ambivalent – entre la ritournelle entêtante au piano et le single électrique en puissance – au sein duquel il ne trouvera sans doute que Mr November pour lui faire de l’ombre parmi les six premiers disques du combo. Planant, doté d’un refrain au lyrisme mesuré mais dévastateur et de digressions électriques presque progressives mais refusant toute grandiloquence, ce titre est, n’ayons pas peur des mots, un chef-d’œuvre de pop fataliste.
Born To Beg enfonce le clou. Lui aussi est dévastateur dans sa capacité à faire émerger, sur la base d’un simple piano/voix, une délicieuse ambiance mélancolique, de celles qui sont suffisamment désespérées pour nous rappeler que nous sommes relativement épargnés par la détresse et de fait, sont rassurantes.
Et puis le contre-pied arrive. Turtleneck rappelle les expérimentations presque noisy auxquelles le groupe pouvait s’adonner sur ses deux premiers disques, tout en comportant une dimension grave, incarnée par la voix de Matt Berninger, qui n’est pas sans rappeler les expérimentations d’un Nick Cave sur Let Love In.
Empire Line et I’ll Still Destroy You poursuivent la dynamique du contre-pied dans un autre registre. Il n’est plus question de digressions électriques, mais d’une pop atmosphérique hantée sur laquelle, plus particulièrement sur le premier titre, la tension est omniprésente et le recours au refrain dévastateur est abandonné avant même d’avoir été sérieusement envisagé.
Suivent deux titres dévoilés avant la sortie du disque, le bouleversant Guilty Party, autre sommet s’appuyant (comme souvent lorsqu’il est question d’un sommet chez The National) sur des accords répétitifs mais enthousiasmants au piano, et le plus mélancolique Carin At The Liquor Store où la nouvelle utilisation du piano rappelle l’univers prégnant sur la deuxième partie de Boxer.
Dark Side Of The Gym évite lui aussi le recours au refrain téléphoné, mais il manque également de relief et peine à véritablement décoller. Il constitue néanmoins un préliminaire intéressant à Sleep Well Beast, sans doute la plus tourmentée – et suicidaire sur le plan commercial – des conclusions d’album de The National. Encore une fois atmosphérique, ce titre fait partie de ceux qui se bonifient au fil des écoutes tant il comporte de détails et fuit les mélodies faciles.
En somme, avec Sleep Well Beast, The National parvient à éviter les deux principaux écueils que l’on pouvait craindre. En effet, ils tuent dans l’œuf les rumeurs d’une baisse d’inspiration en fournissant des titres aussi marquants que The System Only Dreams In Total Darkness, Guilty Party ou Born To Beg. Surtout, ils évitent la redondance dans une discographie qui aurait pu commencer à tourner en rond en proposant un album plus atmosphérique, aventureux et ambitieux, qui rompt avec les schémas préétablis. Sleep Well Beast nécessitera plusieurs écoutes pour être appréhendé comme il se doit par les fans du groupe. La cohérence d’ensemble est difficile à considérer, mais cela ne fait que décupler l’atout charme du disque. A l’heure où l’immédiateté sociétale gagne du terrain sur le plan musical, produire un album plus difficile à cerner qui donne à ce point envie d’être réécouté n’est pas un mince exploit. Mais The National n’est plus à une prouesse près.
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