Les Marquises - A Night Full Of Collapses
Sur A Night Full Of Collapses, Les Marquises se baladent la nuit en fuyant la lumière. Au début on les devine mais on finit, comme à chaque fois, par ne voir plus qu’eux.
1. Vallées Closes
2. Lament
3. Feu Pâle
4. the Beguiled
5. A Forest Of Lines
6. Following Strangers
7. Des Nuits
8. The Passing
On commence à comprendre. Le grand truc des Marquises, c’est de ne jamais se répéter. Chaque album s’accompagne d’un renouvellement stylistique drastique qui permet certes d’éloigner tout risque de redite mais pourrait aussi, à la longue, désarçonner. Impossible de retrouver dans leur musique ce que l’on a tant aimé auparavant puisque ça n’existe plus tout à fait et que l’ensemble a muté. Envolée par exemple l’inquiétude feutrée de Lost Lost Lost, au rebut encore les percussions foisonnantes de Pensée Magique. À la place, une obscurité vénéneuse mais aussi très attirante. Parce que justement, l’autre grand truc des Marquises, c’est de rendre irrémédiablement magnétique tout ce qu’ils touchent. Dans A Night Full Of Collapses, on identifie des choses que l’on ne retrouvera probablement pas dans le prochain mais qui nous manquent déjà. Des pizzicati fragiles mais déterminés (le violon d’Agathe Max), des claviers sombres et feutrés, un piano hanté, une contrebasse au bout du rouleau, des percussions chiches, un environnement majoritairement sec mais aussi très enveloppant et une élégance manifeste. Un disque à écouter la nuit pour la sentir grandir en soi et s’emmitoufler dans ses méandres noirs puis rester là, roulé en chien de fusil contre un impalpable abstrait mais tout de même accueillant, tout le temps énigmatique et parfois légèrement inquiétant. Et puis à bien y regarder, Jean-Sébastien Nouveau et ses acolytes - une nouvelle fois nombreux - ont beau varier les styles d’un album à l’autre, on reconnait toujours immédiatement Les Marquises par sa propension à se maintenir dans un entre-deux bien difficile à définir. Pop et jazz s’interpénètrent, les grands élans cinématographiques perdurent et les mélodies déviantes sont encore largement sollicitées. Et la grande élégance de ce disque, on l’a déjà croisée sur les précédents. C’est d’ailleurs assez fascinant, cette façon de ne jamais se répéter sans pour autant bouger d’un iota. Le message n’est jamais le même mais les intentions perdurent et Les Marquises, en changeant du tout au tout, restent inchangées.
Comme Lost lost Lost puisait son inspiration dans les peintures brutes d’Henry Darger ou Pensée Magique s’inspirait du cinéma de Jean Rouch, Werner Herzog ou Peter Brook, A Night Full Of Collapses se réclame aujourd’hui des déviances de David Lynch et se rapproche en cela d’autres pourvoyeurs d’ambiances qui ne sont pas ce qu’elles semblent paraître de prime abord : Bohren & Der Club Of Gore ou Dale Cooper Quartet And The Dictaphones voire Tarwater, en plus pop toutefois mais sûrement pas moins abstrait. Prenez A Forest Of Lines, neuf minutes et quelques où les nappes inquiètes s’agglutinent en strates, s’acoquinent à un piano solennel et finissent par dessiner une mélodie à tomber avant de s’évaporer dans un clair-obscur qui se déleste de ses photons pour ne garder que la nuit. Une épopée tout à la fois ténue et foisonnante car à l’origine d’un bon nombre d’images derrière les yeux. La scène est ouverte tout du long et la musique rythme le film qu’elle-même dessine. On pourrait aussi mentionner avant ça Vallées Closes qui ouvre le disque, renvoyant probablement aux maisons du même nom ou Feu Pâle, porté par la voix profonde de Matt Eliott, pour leur ambiance éminemment racée, légèrement capiteuse. Des morceaux qui débordent leur empreinte et suggèrent énormément avec trois fois rien. Enfin, c’est ce que l’on pense avant de plonger dans leur substance qui se trouve être, encore une fois, particulièrement travaillée. Les arrangements sont extrêmement ciselés et on est soufflé par la facilité avec laquelle Jean-Sébastien Nouveau orchestre tout ce petit monde : Matt Elliott, Agathe Max, Olivier Mellano, Christian Quermalet, Jeff Hallam, Louis Montmasson ou encore François Clos s’agrafent aux plus familiers Jonathan Grancollot, Souleymane Felicioli, Julien Nouveau et Martin Duru et personne ne déborde jamais du cadre ainsi mis sur pieds. Projet collaboratif par essence, Les Marquises dessine ses frontières en étant ouvert aux quatre vents qui finissent par enfermer la lumière. Tous, au contact de cette musique, ont dans leur bouche une eau de mer qui rend les larmes plus amères. Une gageure quand on y pense.
Une nouvelle fois, Les Marquises impressionnent et A Night Full Of Collapses de s’ajouter à une série gagnante que rien ne semble pouvoir arrêter. À l’image de son titre et de son énigmatique pochette - on ne sait plus très bien qui chasse qui - le disque est construit sur un réseau chargé en chausse-trappes, fausses pistes et bifurcations construisant, in fine, un labyrinthe sombre et habité.
Faussement calme, vraiment vibrant.
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