Entretiens à Twin Peaks : #10 - Gimu
Retrouvez chaque semaine dans nos pages les interviews de quelques-uns des contributeurs à la future compil’ Twin Peaks d’IRM. Au programme d’aujourd’hui, Gilmar Monte et son drone hanté pétri d’angoisse et de spiritualité, qui déjoue toutes les idées reçues sur le Brésil et ses musiques ensoleillées.
On le suit depuis près de 5 ans déjà (et autant vous dire que ça en fait des sorties pour un tel stakhanoviste patenté) et difficile de ne pas déplorer le manque de reconnaissance dont fait l’objet ce sculpteur de textures originaire de l’Espírito Santo, auteur notamment du génial Opaque Black dont les raz-de-marée spectraux s’étaient frayées un chemin dans notre top ambient en 2013. Moins actif cette année (il nous explique pourquoi en fin d’entretien), Gimu nous aura tout de même gratifié de l’instable et anxieux L. Magno A. Bravo Or Weakness, Anxiety And Truth aux sonorités plus futuristes (on y revient dans l’interview), du vaporeux EP Narwhals dédié aux Cocteau Twins (là aussi on en reparle plus bas), de l’ascensionnel et démesuré Underground Labyrinth (or This Is Not An Album) qui comme son nom le laisse penser se compose de chutes (d’un album pas encore sorti) mais n’en vaut pas moins le détour, et tout dernièrement Fragmento Sonoro Sussurrado (Ou Homenagem Às Tristes Caixinhas De Som Do Meu Computador No Trabalho), hommage élégiaque et crépitant, indique le titre en portugais, à ses enceintes d’ordinateur en souffrance.
Quant à Twin Peaks, au Brésil aussi la série semble avoir éveillé quelques passions pour l’underground et le bizarre...
L’interview
IRM : Comment résumerais-tu ton rapport à Twin Peaks ? A l’univers de Lynch en général ?
Gimu : En 1991 Twin Peaks passait sur la chaîne la plus populaire au Brésil, le dimanche soir si je ne m’abuse. J’avais 20 ans et autant que je me souvienne, je pense que je n’avais jamais rien vu de pareil à la télé, CE genre de série télévisée. J’ai été intrigué et puis j’ai accroché. Je ne savais pas grand-chose sur Lynch, l’homme. Mon contact avec l’univers de l’art alternatif s’est fait par le biais d’un magazine de musique brésilien que je lisais et Blue Velvet y avait été reçu avec beaucoup d’enthousiasme, d’excellentes critiques. Je l’ai regardé et j’ai adoré. Et seulement après j’ai pu découvrir Elephant Man et Eraserhead puisque que je n’étais qu’un enfant quand ils étaient sortis. (sourire) Je pense qu’Elephant Man est juste magnifique et il n’est jamais devenu "moins important" quand j’ai vieilli, bla bla bla. Eraserhead est l’un des trucs les plus effrayants que j’ai jamais vus et on ne peut pas y être indifférent. Et il y a quelque chose dans ces films, le fait qu’ils sont visuellement très très beaux et totalement Lynchiens et je ne fais qu’énoncer des évidences là non ? (sourire) Je suis enseignant et à chaque fois que j’apprends qu’un de mes étudiants, un ado, s’intéresse à des films différents, inhabituels et ne connait pas encore Lynch, je suggère toujours certains de ses films parce que, même si vous les détestez, vous vous devez de les regarder (sourire) ne serait-ce que pour l’expérience.
Ton personnage préféré dans la série ?
Ne me demande rien de favori. Je suis nul à ça. (Sourire) Je ne suis jamais sûr de mon album préféré, de mon film préféré, etc.
Une scène qui t’a particulièrement touché... ou fait flipper ?
Je suis vraiment désolé, c’est TELLEMENT évident de ma part, mais... la scène du "nain" de la Chambre Rouge. A chaque fois que je la visionne, j’ai toujours l’impression d’être VRAIMENT bourré ou sous l’effet de quelque chose... A l’époque je ne comprenais pas pourquoi cette scène me faisait cet effet. Je comprends mieux maintenant, l’effet de voix inversée et tout ça, un truc très simple mais aussi très très intelligent et désorientant (sourire) et puis tout ce rouge.... parfois mes rêves sont si absurdes, j’en écrirais bien des histoires si j’étais assez créatif. (sourire)
Tu as enregistré un morceau pour notre future compilation Twin Peaks, quel aspect de la série t’a inspiré ? Toute anecdote est bienvenue !
J’avais la scène de la Chambre Rouge à l’esprit et je voulais être en mesure de provoquer quelque chose avec le morceau. Je veux que ceux qui l’écoutent aient la sensation, en quelque sorte, de planer. Je voulais que la chanson ressemble à un rêve déroutant, très confus. Ce genre de rêve dont vous vous réveillez sans être sûr, pendant quelques secondes, si c’était réel ou non.
Tu as eu vent de quelques-uns des musiciens impliqués dans ce projet. Duquel es-tu le plus curieux d’entendre la contribution ?
Quand j’ai vu la liste, je me suis dit "Et merde. J’aurais dû être plus minutieux et complexe. J’aurais dû m’appliquer davantage" et je me suis immédiatement senti vraiment embarrassé [Gilmar nous a fait parvenir depuis quatre nouvelles versions de son morceau, dont une de 14 minutes, et ça a été dur de choisir ! - ndlr]. Embarrassé mais heureux parce qu’il y a des gens sur cette liste dont j’admire vraiment beaucoup la musique. Il y a quelques années, je n’aurais jamais pensé me retrouver sur une compilation avec eux. La vie est décidément surprenante. (sourire)
Un album vers lequel tu reviens quand il te faut ta dose de Garmonbozia ?
Ce serait sûrement quelque chose que j’écoutais ado pour me sentir encore plus misérable quand j’étais trop mal et que je voulais mourir. (sourire) Je pourrais choisir quelque chose pour me donner l’air vraiment cool, mais... Closer par Joy Division en est un bon et 2016 a BEAUCOUP tourné pour moi autour des Cocteau Twins, principalement Milk & Kisses, un album que je pensais ne pas aimer. Pendant mes moments les plus difficiles cette année, il y a eu énormément de Cocteau Twins.
En 2016 tu as sorti quatre nouveaux albums via Bandcamp, dont le récent L. Magno A. Bravo Or Weakness, Anxiety And Truth. Quelques mots sur ce dernier ? D’autres projets sur les rails ?
Luciano est un ami que j’adore. Un type très spécial avec un sens de l’humour aiguisé. Peu de gens parmi mes amis les plus proches écoutent ma musique ou l’apprécient. (Sourire) Luciano, lui, l’écoute, l’aime et quand il écoute quelque chose de nouveau que j’ai fait, il tient à m’en parler et à comprendre comment j’en suis arrivé là. Il méritait bien cet hommage sous forme d’un album à son attention. Le 3e morceau de ce disque, le plus long, est une pièce que je suis heureux d’avoir pu enregistrer. Je n’ai pas pu me consacrer beaucoup à la musique en 2016 et il pourrait en être ainsi à l’avenir à cause de mes problèmes de colonne vertébrale, mon cou me fait VRAIMENT mal si je reste assis devant l’ordinateur pendant une longue période. J’ai dû changer ma façon de travailler. Désormais je commence un morceau, j’y travaille quelques minutes, j’enregistre le fichier, puis je vais faire autre chose ou je vais m’allonger et je ne reviens au morceau que plus tard ce jour-là voire quelques jours après. Il me faut plusieurs jours pour terminer une piste, ce qui est nouveau pour moi. (sourire)
Jusqu’à présent trois choses ont déjà été arrangées pour 2017, deux sorties virtuelles sur des labels en janvier, l’un anglais et l’autre brésilien (deux albums de 2 pistes), et une édition CD très limitée d’une autre sortie sur un autre label anglais pour février (un seul long morceau de presque 50 minutes).
Un album de 6 morceaux paraîtra aussi en CD sur un label américain mais il n’y a pas encore de date de sortie.
Et puis il y a un autre album... mais je ne lui ai pas encore trouvé de maison. J’ai été en contact avec des labels, vous savez.
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Original english version
IRM : How would you describe your relationship with Twin Peaks ? With the work/world of David Lynch in general ?
Gimu : In 1991 Twin Peaks was on the most popular channel in Brazil, on sunday evenings if I am not wrong. I was 20 and as far as I remember, I think I had never watched something like that on tv, THAT kind of tv series. I was intrigued and then I was hooked. I didn’t know much about Lynch, the man. My contact with the - say - more alternative art world was through a brazilian music magazine I used to read and Blue Velvet was received with great enthusiasm on it, great reviews. I watched and loved it. And only then I could see The Elephant Man and Eraserhead since I was only a boy when they came out. (smile) I think The Elephant Man is just magnificent and it’s never become a "smaller" movie because I grew older, blah blah blah. Eraserhead is one of the scariest thing I’ve ever seen and one can’t feel immune to it. And there’s something about them, the fact they are visually very very beautiful movies which is totally Lynch and I am only saying very obvious things here, right ? (smile) I am a teacher and when I know a student of mine, a teenager, is interested in different, unusual movies and doesn’t know about Lynch yet, I always suggest some of his movies because, even you hate them, you’ve got to WATCH them (smile) for the experience.
Your favorite character in the series ?
Don’t ask me about favorite anything. I suck at that. (smile) I am never sure about my favorite album, favorite movie, etc.
A scene that particularly moved - or scared - you ?
I am really sorry, SO obvious of me but... the "dwarf" Red Room scene. Whenever I watch it, it STILL feels like I am REALLY drunk or under the effect of something... I didn’t understand why that scene could do that to me. I understand that now, the reversed voice effect and stuff, very simple thing and VERY VERY clever and disorienting (smile) and all that red.... sometimes my dreams are so absurd, I’d make stories out of them if I were creative enough. (smile)
You recorded a track for our forthcoming Twin Peaks compilation, what aspect of the series inspired you ? Any anecdote about that ?
I had the Red Room scene in mind and wanted to be able to cause something with the song. I want those who listen to it to feel like they are, somehow, high. I wanted the song to feel like it’s a puzzling, very confusing dream. That kind of dream that when you wake up from it, for some seconds you’re not sure that was real or not.
You heard about some of the musicians involved in this project. Which one are you the most curious to hear the contribution from ?
When I saw the list I thought "fuck. I should’ve been more careful and complex. I should’ve tried harder" and I immediately felt really embarrassed. Happy and embarrassed because there are musicians on that list whose music I really really admire. Some years ago I would never think I’d be on a compilation with them. Life is definitely funny. (smile)
An album you often listen to when you need all your Garmonbozia ?
It’s got to be something I would listen when I was a teenager to feel more miserable when I was feeling too miserable and wanted to die. (smile) I could choose something to make me sound really cool but.... Closer by Joy Division is a good one and in 2016 a LOT to me has been about Cocteau Twins, mainly Milk & Kisses, an album I used to think I didn’t like. Through my hardest moments this year there was a lot of Cocteau Twins [editor’s note : the Narwhals EP below is a tribute to them].
In 2016 you released four new records through Bandcamp, including recently L. Magno A. Bravo Or Weakness, Anxiety And Truth. A few words about this one ? Some other projects on the way ?
Luciano is a friend I love. A very special man with great and fine sense of humor. Not many of my closest friends listen to my music or like it. (smile) Luciano does listen to it, likes it and when he listens to something new I’ve made, he wants to talk to me about that and understand how I did things. He deserved that homage as an album for him. The 3rd track on that album, the longest piece, is a song I am happy I could make. I couldn’t work a lot on music in 2016 and it might be like that from this year on because of some painful spine problems, my neck REALLY hurts if I am at the computer for a long time. I’ve had to change the way I work. Now I begin a song, work on it for some minutes, save the file, go do something else or lie down and will only go back to the song later that day or some days after that. It takes me many days to finish a track which is something new for me. (smile)
So far three things have been arranged already for 2017, two virtual releases on labels for January, one from England and one from Brazil (both 2-track albums), and a very limited CD edition of another release on ANOTHER label from England for February (one long piece of almost 50 minutes).
A proper album of 6 tracks will also come out on CD on an American label but no release date yet.
And there is another album... but I haven’t found a home for it yet. I’ve been getting in touch with labels, you know.
Un grand merci à Gimu. Son morceau intitulé The Vertical Plane paraîtra sur notre compilation Twin Peaks au printemps prochain.
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