Bon Iver - 22, A Million
Nous ne l’avions pas vu venir, et c’est le moins que l’on puisse dire. Si la sortie du troisième disque de Bon Iver, cinq ans après Bon Iver, Bon Iver, était forcément attendue, nous ne pouvions soupçonner un tel virage.
1. 22 (OVER S∞∞N)
2. 10 d E A T h b R E a s T ⚄ ⚄
3. 715 - CR∑∑KS
4. 33 “GOD”
5. 29 #Strafford APTS
6. 666 ʇ
7. 21 M◊◊N WATER
8. 8 (circle)
9. ____45_____
10. 00000 Million
Alors certes, après un For Emma, Forever Ago tout ce qu’il y a de plus folk, l’artiste basé dans le Wisconsin avait bien convoqué quelques nappes de claviers évoquant les années 80 sur Bon Iver, Bon Iver mais, quand même, de là à entreprendre une telle mue, les bras nous en tombent.
Il va sans dire que la première écoute de ce 22, A Million fut déroutante voire même parfois frustrante. Justin Vernon choisit en effet de ne pas utiliser la totalité du talent dont, c’est évident, il regorge. Comme un enfant auquel on offre un jouet de valeur tout neuf et qui choisit délibérément, après s’en être amusé quelques temps, de le détruire dans les grandes largeurs.
Justin Vernon c’est donc une voix élégiaque qui parvient – et c’est heureusement toujours le cas ici – à ne jamais verser dans l’excès d’emphase ou d’une émotion quelconque. Souvent sur le fil, l’Américain est néanmoins particulièrement habile pour savoir raison garder. C’est surtout un compositeur hors pair qui, doté d’une guitare acoustique, peut imaginer des suites d’accords à vous déchirer le cœur et en faire des folk songs souvent dépouillées ayant peu d’équivalent.
Mais non, ici, l’artiste ne met pas tout ce talent au centre de son œuvre. Les effets électroniques sont nombreux, y compris sur une voix retouchée – déformée ? – par l’auto-tune à diverses reprises, particulièrement sur un 715 – CRΣΣKS presque a capella qui rappelle le Woods paru sur l’EP Blood Bank en 2009. La collaboration avec Kanye West a laissé des traces, mais c’est étonnamment subtil chez Bon Iver. Ou plus précisément, cela fait partie d’un ensemble au sein duquel chacun des éléments, même ceux qui sont apparemment plus disgracieux, prennent place de manière intelligible.
Aussi, quelques moments ressemblent à d’étranges digressions que l’on n’aurait pas nécessairement idée de s’infliger indépendamment du reste du disque. Tel est le cas de 21 M♢♢N WATER sur lequel cordes hantées, auto-tune, blips et fourmillements électroniques créent une ambiance mi-malsaine, mi-délectable, qui prépare de manière idéale le terrain pour un 8 (circle) plus en phase avec les précédents travaux de Vernon.
A l’instar de ____45_____, même lorsqu’il évolue dans un registre expérimental, Bon Iver parvient à créer de véritables hymnes mélancoliques relativement accessibles. Pas réellement de single en puissance sur 22, A Million, c’est évident – à l’exception peut-être d’un 10 d E A T h b R E a s T ⚄ ⚄ évoquant le Too Much de Sufjan Stevens – mais tel n’est pas le but lorsque l’on cherche sciemment à s’auto-saborder, ou du moins à saluer ses admirateurs d’un joli bras d’honneur.
Tel semble être le cas sur cet opus qui verra probablement bien des fans se détourner d’un Bon Iver dont la démarche d’ensemble est à rapprocher de celle entreprise par le Sufjan Stevens susnommé lorsqu’en 2010, il proposait un The Age of Adz toujours incompris par un bon nombre de ses fidèles alors qu’il répondait à un processus créatif intègre. Refuser de composer avec le génie qui sommeille en soi est une démarche courageuse, qu’a donc brillamment entrepris Bon Iver sur 22, A Million.
Préparez vos mouchoirs, c’est l’heure de la shitlist (d’avance toutes nos excuses aux défenseurs de l’exception française, on n’avait pas assez de Moltonel pour Paradis et PNL).
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