Filiamotsa - Like It Is
Bien plus qu’un disque, une épiphanie. Comme si tout le parcours déjà riche de Filiamotsa était tendu vers ce Like It Is intense et profond. Sept morceaux habités qui viennent se loger dans la boite crânienne sans jamais s’y diluer.
1. The Little Shop
2. Madsummer Midness
3. The Bus is Late Again
4. Sleepy Tigers
5. Blab/Blub
6. Maybe
7. Song
Like It Is est un album d’une grande élégance. Voilà, tout est dit, arrêtons-là, inutile d’aller plus loin. Enfin, si, peut-être pourrait-on rajouter qu’en quatre albums, Filiamotsa n’a cessé de progresser. Mais c’est un peu péjoratif, on pourrait croire alors que les trois précédents sont moins intéressants, ce qu’ils ne sont pas. Non, simplement, aujourd’hui, le duo nancéen (le violon d’Émilie Weber et la batterie d’Anthony Laguerre) semble avoir atteint une forme d’équilibre lui permettant de donner minutieusement corps à ce qu’il a en tête, dosant parfaitement le clair-obscur qui inonde la moindre parcelle de sa musique, comme de l’encre dans de l’eau, passant de l’indigo au bleu nuit, puis au charbon, à l’ébène et enfin au noir de jais. Le velours des morceaux s’est épaissi même si ces derniers restent en permanence grinçants. La chrysalide qui avait déjà bien de la gueule s’est transformée en un saisissant papillon de nuit, du genre à rester dans l’environnement immédiat de la lumière sans jamais en pénétrer le halo. On la distingue, on pourrait presque la toucher du doigt mais on n’y arrive pas, elle est à proximité mais reste inaccessible. Pas irrémédiablement sombre Like It Is mais pas non plus des plus apaisés, il charrie des vagues crépusculaires qui ont tôt fait d’inonder le cortex d’une mélancolie diffuse et l’on ressent bien des choses à son écoute.
En outre, le duo est resté fidèle à son credo collaboratif tous azimuts et s’est une nouvelle fois étoffé. Or, emprunter aux uns et aux autres pour asseoir ce que l’on porte en soi, modeler et reconfigurer ce que l’on est à la faveur des rencontres sans pour autant bouger d’un iota relève de la gageure à bien y regarder. Certes, le duo retrouve tous les intervenants rencontrés sur les disques précédents (Véronique Mougin, Antoine Arlot, Youssef Essawabi et Philippe Orivel) mais il s’acoquine également à Olivier Mellano et G.W. Sok (déjà présent toutefois sur 4QSO du split de 2012 avec Trunks) aujourd’hui et à tout ce qui fait leur singularité. La guitare élégante de l’un et la voix si particulière de l’autre. Pourtant, Filiamotsa reste indubitablement Filiamotsa. Like It Is présente tous les atours développés respectivement dans Tribute To K.C., Filiamotsa Soufflants Rhodes et Sentier Des Roches tout en leur étant supérieur. Le chant de G.W. Sok hante tous les titres - ce qui est une nouveauté pour un duo à l’origine strictement instrumental - sans que l’on ne pense systématiquement à The Ex (ça arrive parfois bien sûr mais pas tout le temps). Sa présence est déterminante. La guitare drape les structures de ses arabesques irradiantes et leur confère un aspect velouté sans en arrondir les angles, les cuivres et les cordes finissent d’apporter ce qu’il faut de chair et de muscles à des morceaux par ailleurs pelés. Eux aussi sont déterminants.
C’est tout le temps élégant et souvent magnifique, la faute à des morceaux qui déjà, à la base, se montrent sacrément bien écrits. Du coup, les interventions de chacun viennent magnifier les choses et ne sont pas là pour camoufler le vide : sous la densité instrumentale se trouve déjà beaucoup de densité tout court. Celle-ci se manifeste d’ailleurs dès l’entame, The Little Shop, où la déclamation caractéristique de G.W. Sok se déploie sur un tapis orchestral tendu constitué d’une nuée de détails, claviers et violon s’échouent en ressac contre la guitare anguleuse et le morceau gonfle en intensité jusqu’au bout de ses six minutes et quelque. À ce moment là, on est déjà complètement captif. Et c’est alors que déboule Madsummer Midness, l’estocade, la mise à mort des dernières résistances déjà réduites à peau de chagrin. La tête était immergée dans Like It Is mais cette fois-ci, c’est le corps tout entier qui est maintenu sous la ligne de flottaison : deux fois moins long que le précédent mais deux fois plus tendu. Martèlement rythmique, guitare exienne, violon en mode scie circulaire entre autres petites choses, l’épiderme s’électrise et les poils resteront désormais dressés tout du long. Des cuivres conquérants de The Bus Is Late Again à l’impressionnant Sleepy Tiger où la voix presque murmurée, apaisée s’oppose à un environnement extrêmement tendu, des claviers onomatopesques du bien nommé Blab/Blub aux dix minutes intenses de Maybe, vague clapotis à l’origine se transformant en diffuse lame de fond orchestrale jusqu’à la sombre psalmodie de la Song finale, l’album prend des allures de bréviaire et Filiamotsa y consigne toutes ses explorations.
Tiraillé entre textures veloutées et belliqueuses intentions, Like It is se tient en permanence sur le fil et joue les équilibristes sans jamais se casser la gueule. Sidéré, on suit sa lente progression et une fois qu’il est arrivé au bout, on n’a qu’une seule envie, celle de le voir repartir dans l’autre sens. Une grande élégance, on l’a déjà dit, une tension encore plus grande, une profondeur équivalente. Filiamotsa frappe fort et l’on devrait garder les stigmates habités de ses coups faussement feutrés pour un bout de temps encore.
Magnifique.
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