Le streaming du jour #1305 : Benjamin Bleuez - ’CAC 40’
Avec l’ambition musicale décalée d’un Julien Ribot, force samples caustiques et un humour au diapason, Benjamin Bleuez revisite le krautrock a l’ère des traders, parasites autosatisfaits élevés au rang de tenanciers d’un pouvoir virtuel aux effets pervers bien réels qui méritaient bien de piquer une tête dans les toilettes du Français, en compagnie des collaborateurs passifs de la désespérance individualiste et autres zélateurs ultra-favorisés de l’injustice sociale. Le tout avec une bonne dose de scatophilie assumée, que celui qui gamin n’a jamais digressé sur ce drôle de nom "Cacarante" lui jette donc le premier étron.
Les gogues seraient d’ailleurs le dernier lieu où s’appliquent liberté et égalité à en croire le facétieux pensionnaire du passionnant label passeur La Souterraine, successeur d’Almost Musique dont l’ex patron perpétue ici la démarche de défrichage des Mostla Tapes et dont les caveaux regorgent de french pop à nulle autre pareille (citons pour cette année la noisy-pop-folk nonchalante et lo-fi de Thomas Pradier, la synth-pop mortifère et habitée d’Antoine Bellanger alias GRATUIT que l’on retrouve également du côté de Kythibong avec le très chouette Là, ou surtout les bijoux aussi tristes que truculents de l’ex Hiddentracks Thomas Boudineau aka Flegmatic dont on reparlera assurément bientôt).
Pour autant, il ne sera pas question que de "crotterock" (j’vous jure c’est pas moi qui l’écrit !) sur cette satire instrumentale volontiers régressive et absurde (cf. À la rescousse, où se mêlent motorik, flûtes bucoliques et synthétiseurs à la Philip Glass des débuts sur fond de monologues scato-philosophiques ; l’ode au stade anal de la comptine Pimprenelle ; le bruitisme peu ragoûtant du bien-nommé Youpi aux chiottes) à l’image de notre société d’asservissement docile, de violence institutionnelle et de repli sur soi. À la tension sombre et psyché de l’introductif Le cours objectif succède en effet le plus pop et second degré Il faut aller très vite aux chorus scandés "Cac 40" dignes de Katerine ou Fleurent-Didier, et cette ambivalence entre la crudité grinçante du propos et une certaine légèreté présidera ensuite à l’album dans son entier.
Ainsi, L’air de Rien plane au son des vents indolents et des guitares bluesy aussi haut que les hypocrisies de ses intervenants imbus de leur impunité à manipuler l’épargne du citoyen lambda, Le goût de la merde célèbre l’obscène immaturité du capitalisme en badinant élégamment dans l’éther des reverbs et claviers en tous genres, tandis qu’Avec ou sans lendemain convoque les crescendos méditatifs d’un post-rock tout en arpèges mélancoliques et nappes de synthés vintage. C’est dire si le leader des poppeux psyché crayola québecois Frank Feutré, en huit titres seulement et avec l’audace d’un Gontard ! dans l’esprit, n’est pas loin, l’air de rien, de nous avoir moulé un bronze en or massif (désolé il fallait que ça sorte).
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