Membrane - Reflect Your Pain
Membrane creuse un peu plus le sillon post-hardcore/noise initié en 2011 lors de son split avec Sofy Major : toujours plus arraché, toujours plus dense. Reflect Your Pain pèse un sacré poids.
1. A Dead Weight
2. The Face
3. Leaving A Trail
4. Breath
5. Never Ending
6. Lonesome
Des arbres déracinés sur un parterre grisâtre et feuillu, une composition symétrique qui finit par ressembler à un thorax, Membrane en serait peut-être la plèvre, s’accrochant aux troncs et gonflant à l’unisson d’un souffle que l’on imagine tempétueux. Il est vrai que la respiration du trio a quelque chose de tellurique. À moins que ça ne soit sa musique qui pousse la flore à se coucher sur le flanc puisqu’il va de soi que Membrane défouraille. La basse creuse les abysses, la guitare, de tout son poids, appuie par-dessus et la batterie finit par enfoncer le tout en matraquant impitoyablement le moindre interstice laissé vacant. Et puis, bien sûr, il y a les cris, étonnamment clairs et fuselés, bien qu’en arrière-plan, quelque chose de plus guttural vienne s’ajouter à la massivité déjà importante de Reflect Your Pain. Cinquième album déjà (en incluant leur excellent split de 2011 avec Sofy Major) maîtrisant toujours plus leur amalgame noise/post-hardcore profondément sombre et massif. Bien sûr, ça tabasse mais ça respire aussi, par un jeu assez bien achalandé d’enclaves plus tranquilles où ne surnage souvent que la voix de Flo Impure (from Impure Muzik) ou bien un riff esseulé, basse et batterie s’étant fait la malle vers un ailleurs plus plombé. Il y a de la diversité dans la construction même des morceaux : l’attaque frontale n’est pas la seule convoquée, le tabassage impitoyable non plus, il arrive que Membrane leur préfère l’approche larvée, bien planqué derrière les hautes herbes, à attendre patiemment l’endormissement total de la proie. Des moments salutaires qui permettent de mettre en exergue le côté ciselé du matraquage plus souvent convoqué. Ce que semble privilégier le trio, c’est avant tout l’extrême lourdeur et en jouant ainsi sur les différences d’épaisseur, Membrane confère à sa musique un poids que l’on soupçonnait moins auparavant. L’écoute de Disaster (2010) le montre bien : certes, ce n’est pas le même groupe (seul Nico, le guitariste était déjà présent, basse et batterie étaient tenues par d’autres et aujourd’hui, c’est Alban et Max qui s’en occupent) mais c’est plus ou moins (plutôt moins à bien y regarder) la même musique, débarrassée en revanche de ses couches excédentaires qui lui donnent aujourd’hui toute son envergure. Pas une mue radicale mais un sacré épaississement que des morceaux comme A Dead Weight ou Breath suffisent à montrer et dont on ne trouve pas le moindre équivalent dans la discographie pré-2011 du trio.
Une orientation qui rapprochera fatalement Membrane de Neurosis (circa- Through Silver In Blood) ou de Breach mais avec ce côté foncièrement noise toujours très marqué qui rappelle, lui, carrément Pord ou, évidemment, Sofy Major, la totale dislocation des structures en moins, le gros grain en plus. Autant donc envoyer valdinguer les étiquettes dans le décor puisqu’on voit bien qu’aucune ne suffira à circonscrire parfaitement Reflect Your Pain, le groupe offrant une musique qui lui est propre et qu’il a mis du temps à forger (les premiers enregistrements datent tout de même de 2001 et dans l’intervalle, un changement de line-up, un autre d’orientation musicale sont passés par-là). On retrouve ici quelques traits prototypiques de Membrane - sa sensibilité en premier lieu, ce côté écorché montrant bien que l’émotion brute a toujours été recherchée - mais amalgamés à des accents plus inédits : la rythmique plus alambiquée, filant à certains moments droit devant, se rapprochant dangereusement du sol à d’autres, cette envie tenace de faire entrer l’auditeur en lévitation mais à l’envers, l’amenant à s’enfoncer bien bas dans le sol et à traverser les strates par le biais d’un écrasement consciencieux de tout son corps. Et là où Membrane fait très fort, c’est qu’à aucun moment sa musique ne montre d’embonpoint. Les morceaux ne sont jamais adipeux ni ventripotents, leur densité vient d’ailleurs, du propos majoritairement torturé, des atmosphères invariablement froides et renfrognées développées tout du long. Reflect Your Pain est à l’image de son titre, une collection d’hématomes qui appuient invariablement là où ça fait mal. À ce petit jeu, certains titres sortent du lot, A Dead Weight en ouverture, avec sa basse tentant d’échapper à la gravité mais n’y arrivant jamais préparant parfaitement le terrain pour les hostilités à venir, Breath, magnifique uppercut de huit minutes qui balance un rouleau-compresseur contre les enceintes avant qu’une voix féminine n’entre en scène à la toute fin pour envoyer le tout flotter dans un cosmos mental accaparant ou encore Never Ending, furieux et abrasif, ultra-ciselé, dont on voudrait justement qu’il soit fidèle à son titre. Mais finalement, on pourrait parler de tous les morceaux, le côté monolithique qu’offre Reflect Your Pain de prime abord est bien vite battu en brèche par la multitude de fractures venant lézarder son enveloppe noire. Le trio maîtrise ses instruments, sait comment développer une dynamique. Maintenant son curseur à égale distance des bornes strictement metal et noise, le groupe décuple sa puissance et sonne plus sauvage que jamais.
Et puis, Membrane bénéficie d’une production à la hauteur de ses envies extrêmes, enregistré par Yann Marchadour puis mixé par Guillaume Doussaud et enfin masterisé par Alan Douches (pas vraiment les premiers venus), sa capture lui confère tout le poids idoine et l’habille d’un fuselage plombé qui n’empêche en rien sa liberté de mouvement. Du kevlar bien plus que du plomb. Quoi qu’il en soit, Membrane conserve ses inflexions profondément post-hardcore, les mêle à son orthodoxie carrément noise et accouche d’un disque simplement dense et profond. Grattant toujours plus la plaie pour atteindre l’os, on a vraiment l’impression que le groupe avance à poil, expose au grand jour ses ecchymoses en se drapant d’une aura pachydermique à même de le protéger des regards trop insistants. Il touche tout autant qu’il maintient à distance. Une belle équation parfaitement résumée par sa pochette : c’est touffu mais c’est pourtant un squelette.
Reflect Your Pain est disponible chez Basement Apes Industries en LP/CD (on y retrouve d’ailleurs PLEVRE - saura-t-on un jour à quelle heure ils jouent ? - ou encore Fange) et chez Atypeek Music au format digital.
Le groupe prendra la route dès samedi en partant de Paris (chouette release party à l’Espace B en compagnie de Sheik Anorak, The Kurws et Noyades) pour revenir à Vesoul (en mai) et, dans l’intervalle, partagera la scène (entre autres) avec Revok (toutes les informations ici).
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