Live Report : Xiu Xiu à L’Espace B
Avec Angel Guts : Red Classroom, en ce début d’année, Xiu Xiu produisait un dixième album asthmatique et paranoïaque qui ne respirait pas spécialement la joie de vivre. Jamie Stewart y détaillait son mal-être en le ponctuant de petits chats mignons et de beaux chibres d’ébène. En apprenant son passage mardi 18 novembre à L’Espace B, on pouvait préférer rester chez soi pour se faire un vieux Disney. Mais, trop attiré par l’idée d’apprendre comment est reproduite cette texture étrange, violemment électronique et foutraque que constitue la musique de Xiu Xiu, je décidais d’aller jeter un œil, un peu sceptique au départ. J’en reviendrai conquis.
Je ne m’appesantirai pas sur l’électro-pop tiède de Falabella dont la volonté bornée de faire danser les gens au rythme d’un kick droit et régulier sans nuance ma rapidement fatigué. Leur dispositif malin mêlant sonorités acoustiques à la batterie, basse et guitare live alternées, et une base programmée qui laisse une place à l’épiphanie du direct, n’était pourtant pas sans intérêt. Mais les sonorités catchy, le chant trendy et le beat busy m’ont complétement refroidi ! Bref, dommage que la musique ne soit pas à la hauteur de la maîtrise matérielle et technique du duo.
Xiu Xiu se présente avec un dispositif matériel similaire, mais qui semble plus lourd. D’autant plus lourd qu’il s’établit sous le regard patient d’un public attentif qui s’entasse peu à peu au fond du bar près du canal. Le duo installe son matos et très rapidement on comprend qu’il lui reste à faire les balances... S’en suit un réglage interminable où Angela Seo se voit obligée de frapper sans discontinuer et successivement sur la caisse claire et le gros tom. On comprend aussi bientôt qu’on va s’en prendre plein la gueule. Le volume sonore est très élevé. Non pas les éléments de batterie acoustiques, qui sont sonorisés de façon raisonnable, mais la base programmée des morceaux, hurlant à la mort. De même le clavier de Jamie Stewart et les multiples pédales d’effets qui sous ses doigts deviennent les instruments de sa haine. le moindre contact diffuse un bombardement grésillant énorme. Il faudra les bouchons. Avec ses cymbales, ses toms et la machine qui lui permet d’envoyer les morceaux, Seo est au four et au moulin pour tenter d’équilibrer tout ça, tandis que Stewart s’éclipse on ne sait où, la laissant sur place désarmée et mettant sa patience (et la nôtre) à l’épreuve, avant d’enfin donner son accord et sa présence pour le début du concert.
Entre chaque morceau, un temps assez long où Stewart prépare les sons du prochain (en les chargeant sur une tablette qu’il essuie frénétiquement) et les teste en direct : cela donne au concert un côté expérimental harsh noise qui n’est pas des moins intéressants, même si, pour les nerfs, ce n’est pas particulièrement apaisant (pour une idée de l’ambiance, écoutez Red Classroom, dernier morceau de l’album susnommé). Entre chaque morceau donc, durant ce moment d’attente un peu strident, on se demande quand le set de Xiu Xiu va vraiment devenir une escroquerie. C’est la personnalité froide et distante de Stewart qui invite à la méfiance. On a l’impression qu’il se fout de notre gueule. Mais en fait, pas du tout. Il est comme ça, c’est tout. Faudra se faire à l’idée qu’on n’obtiendra pas de sourire de sa part. Mais à chaque fois, lorsque le morceau suivant est lancé, qu’il s’avance jusqu’à son pinacle, la grâce touche le récent Californien, littéralement transporté.
Le concert est l’occasion de manifester le rapport qu’il entretient à sa musique. Car si on peut s’amuser en interrogeant la santé du cerveau qui engendre une musique si sombre et déglinguée, si austère et morbide, la voir interprétée en live permet de saisir le lien qui unit l’auteur à son œuvre. Jamie Stewart est habité par sa musique. Ses gesticulations, visuellement suffisantes, ne sont pas une simple pantomime pour meubler l’espace qu’il occupe, c’est la façon dont son corps se fait moyen, instrument de l’exécution. Ici, le mot d’exécution n’est pas trop fort pour désigner ce qui se joue. Ce n’est pas seulement l’œuvre, c’est encore son mal-être qu’il exécute, liquidé dans ses vocalisations noyées sous un amas noise. Et finalement, il semblerait bien que ce soit, oui, apparemment, c’est du plaisir qu’il prend devant nous. On s’amuse même parfois, comme durant l’interprétation de Lawrence Liquors, où on le voit miauler le refrain.
Angela Seo ne prend pas moins de plaisir. Plus expressive, son enthousiasme est assez communicatif, et l’on jouit de sa joie lorsqu’elle heurte les peaux, les cymbales ou les cercles métalliques. L’apothéose, c’est lorsqu’elle pince de l’index et du pouce, à chacune des mains qui prolonge ses bras, une petite cloche qu’elle agite, le regard perdu, dans une extase érotique. Ces deux petites cloches sont les mamelles d’une relation intense, on sent qu’avec elles Angela entretient un lien intime, sans nul doute freudien, mais si élégant pourtant !
Finalement, et c’est peut-être déjà une évidence pour ceux qui connaissaient Xiu Xiu en concert, c’est un groupe de scène, c’est-à-dire qui restitue une intensité spéciale à sa musique au moment du live. Sans chercher à faire nécessairement danser, ni à se rendre sympathique, Jamie Stewart conquiert le public grâce à la puissance de ses compositions et à sa présence exceptionnelle, toute en mouvements sincères. Je suis content de quitter la salle mieux qu’agréablement surpris, mais complètement conquis.
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