Live Report : Antemasque + Le Butcherettes à la Gaîté Lyrique (11/10)
Coke et tacos à go go, le Mexique était à l’honneur ce samedi 11 octobre à la Gaîté Lyrique. Avec Antemasque, nouvelle formation pour la première foi en France, qui n’est autre que la réincarnation de The Mars Volta dans une formule resserrée avec un vocabulaire simplifié, et Le Butcherettes, trio mené par la très excentrique chanteuse Teri Gender Bender, la soirée s’annonçait pimentée !
Alors qu’on apprenait il y a peu le décès de Isaiah Ikey Owens, claviériste génial au sein de The Mars Volta, en plein milieu de la tournée avec Jack White sur le dernier album duquel il avait participé, j’étais dans la rédaction de ce live report. Alors, bien sûr, cet événement ne va rien changer au point de vue que j’adopte, mais c’était pour dire, quoi, que cet article est en plein dans l’actu, et se situe à cheval entre les rubriques live report, chroniques et nécrologique. Nécrologique, du coup, on voit pourquoi. Chronique, parce qu’il reviendra sur l’album d’ Antemasque, sorti en juillet dernier sur bandcamp et de nouveau annoncé pour le 10 novembre. Live report, parce que c’est leur passage exceptionnel à Paris que je vais décrire. Mon point de vue, c’est celui d’un fan de The Mars Volta, mais je vous rassure tout de suite, il est modéré par la grosse déception de la collaboration entre Teri Gender Bender, chanteuse des Butcherettes, et Omar Rodriguez-Lopez, guitariste d’Antemasque, sur l’album Bosnian Rainbows. Comme ils se trouvaient tous deux réunis ce soir là, chacun dans sa propre formation, c’était avec autant d’excitation que d’appréhension que je venais les voir, accompagné d’un pote, sur l’épaule de qui je pouvais pleurer, au cas où...
Avant même de juger la musique de Le Butcherettes, qu’on découvre, on est séduit par la qualité de la sonorisation qu’offre La Gaîté Lyrique. Lorsqu’on entre, Teri Gender Bender est à la guitare, elle est accompagnée par une batteuse efficace et un bassiste virtuose. L’ensemble, puissant sans être criard, est tenu dans un équilibre impeccable. Ça commence bien ! Le trio alterne chansons rock, typées punk, menées par une guitare tranchante, et titres pop, aux pulsations simples, faisant la part belle au synthé. La partie du set constituée par ces derniers est moins convaincante, l’énergie y étant moins manifeste (faute d’une base rythmique suffisamment riche) et le spectre sonore moins ample (le synthé n’a pas la présence d’une guitare saturée). Mais le garage rock des Butcherettes a le mérite de répondre à l’attente qu’un tel style suscite, un chant envoyé à gorge déployée, une distorsion appuyée, un rythme toujours soutenu... On est pas déçu.
Quant à la prestation de Madame Gender Bender, on est plus que satisfaits ! Il se dit que chacune de ses apparitions est unique tant la folie qui l’habite l’entraîne à faire les choses les plus surprenantes, voire indécentes, qu’une front girl puisse accomplir lors d’un concert. Mais bon, les "on dit...", on ne s’en suffit pas. il faut le voir pour le croire. Et bien ce qu’on a vu était à peine croyable !
Qu’elle se trémousse, s’égosille, tourne le dos au public, chante à quatre pattes parce que son micro est tombé par terre ou le dos tourné au public après avoir balancé le pied de micro de droite à gauche, bon, déjà, c’est assez surprenant. Mais encore rien de grave. C’est au moment où elle quitte la scène par le fond et pour on ne sait quelle raison que l’intrigue commence... Elle réapparait par une porte, sur le côté de la scène, qui mène directement dans la fosse. Coup de bol, c’est de notre côté, on est aux premières loges (ceux de l’autre côté du public ont dû trouver le temps long avant de comprendre que le spectacle s’était déplacé sur leur droite). Teri Gender Bender a le cul posé sur une poubelle retournée et se fraye un chemin dans la foule en effectuant des petits bonds d’amphibien. Sur son passage les gens s’écartent et se marrent, formant ainsi une haie d’honneur hilare. Les mieux équipés dégainent leurs appareils modernes pour capter des images. Teri se met debout et fait danser ceux qu’elle touche ainsi que sa poubelle. Finalement, elle se la met sur la tête et c’est le comble du fun. Dingue. Elle continue ainsi son cirque pendant plusieurs minutes en prolongeant son parcours aveugle et mouvementé jusqu’à l’autre extrémité du public, par où elle regagne la scène, sous les hourras muets d’une foule ébaubie.
Il faut saluer la ténacité du backing band de la Mexicaine timbrée car durant tout ce temps, le basse-batterie doit meubler. Et c’est pas une mince affaire car le morceau durant lequel elle a décidé de faire son cinéma, I’m Getting Sick Of You, est plutôt rapide et groovy, ce qui ne rend pas aisée la prolongation indéterminée qu’elle impose. Mais le duo, laissé seul sur scène et délaissé des regards, a su tenir ferme l’intensité de la base rythmique tout au long de l’événement sans jamais fléchir, ni souffler d’ennui. Mention spéciale pour le bassiste dont la virtuosité se faisait ponctuellement entendre, sur un break ou sur un riff claquant, et d’autant plus qu’il avait la lourde tâche de reproduire les lignes jouées par Omar Rodriguez-Lopez sur album.
Le trio disparu et nous dirigeant vers le bar, on se dit que c’est une première partie, qu’elle en a de la gueule comme première partie, et que même ça met la barre haut pour la suite.
Quand on regagne la salle de concert, le public a déjà repris sa place et il faut jouer des coudes pour atteindre un point de vue intéressant. On choisit l’autre côté, pour avoir l’œil à proximité des doigts tentaculaires d’Omar. On s’aperçoit rapidement qu’on n’est pas les seuls fans venus pour voir nos idoles qu’on suit depuis la sortie de l’inégalé De-Loused In The Comatorium, en 2003, et depuis bien plus longtemps pour les plus vieux... Et oui, parce qu’Antemasque, ça vous dit peut-être rien, mais ce n’est pas vraiment une bande de jeunots venue se faire la main. Les mains d’Antemasque sont déjà bien caleuses ! Elles ont à leur actif un paquet de riffs plaqués à cent à l’heure lors des shows virevoltants d’At The Drive-In, une panoplie complète de solos fleuves allongés sur les plages étendues de The Mars Volta, et sur les milliers d’albums qu’Omar Rodriguez-Lopez a produits en solo. Beaucoup des groupies ici rassemblées avaient sur le cœur un tatouage rappelant le passé glorieux des deux leaders d’Antemasque. Mais ce passé, il faut le taire. Un malheureux a osé hurler le nom d’un de ces groupes, durant un moment de calme. Cedric Bixler-Zavala l’a immédiatement invité à fermer sa petite gueule de connard, expliquant ensuite que c’était comme leur rappeler des événements vécus avec leur ex-petite copine. Il est chou. Mais vaut mieux la fermer quand même si on veut voir la fin du concert...
IRM avait fait l’impasse sur la sortie de leur album éponyme, mais comme une nouvelle sortie (très probablement physique cette fois) est annoncée pour le 10 novembre, il n’est pas trop tard pour en dire quelques mots. Certains le considèrent comme le chaînon manquant entre le son d’At The Drive-In et celui de The Mars Volta, empruntant au premier sa concision, au second son lyrisme. Mais à mon avis, la chose est plus complexe. Antemasque constitue pour le duo Lopez/Zavala à la fois un retour aux sources et la continuité logique de leur histoire d’amitié rompue un temps par le trop plein d’activité du guitariste. C’est un retour aux sources d’une part, parce que les ex-At The Drive-In retrouvent ici un sens de l’efficacité radical, allant jusqu’à construire de façon stricte chacun de leur morceau selon une forme unique et évidente : couplet/refrain/couplet/refrain/pont/refrain. Vous pouvez compter sur vos doigts en l’écoutant, à chaque fois, la formule se répète. C’est aussi aux sources d’un Hard Rock dont ils pillent les codes depuis longtemps qu’ils se sont ici retrouvés. Les références à Led Zeppelin, déjà frappantes chez The Mars Volta sont ici plus qu’évidentes : elles transpirent à travers le son, le chant et les riffs. L’aspect stéréotypé de la démarche, avec ses refrains pop et ses solos héroïques dignes d’un groupe de stade (peut-être une conséquence de leur proximité avec des membres de Red Hot Chili Peppers, John Frusciante étant un collaborateur régulier de The Mars Volta et Flea étant à la basse ici), en rebutera certains, c’est certain.
Antemasque est d’autre part une façon de prolonger l’aventure initiée avec Bosnian Rainbows. Une aventure plutôt douteuse aux goûts de ceux à qui le rock fm des années 80 donne une vague nausée. Car ici, le son de guitare, vintage et faiblard, mais pour autant tout à fait réussi en son genre, est très proche de celui utilisé avec la chanteuse des Butcherettes, mais au profit d’une vision plus punk de la chanson. Enfin, plus punk, non, disons plutôt, plus couillue, plus virile si tu préfères. Cette part de testostérone qu’Antemasque ajoute à Bosnian Rainbows est en partie redevable du jeu musclé de Dave Elitch, batteur éclectique (accompagnateur de Miley Cyrus et de M83, entre autres...) qui avait rejoint The Mars Volta sur la tournée de l’album Octahedron. Le groove de la basse, bien que laissé à l’arrière plan, n’est pas pour rien dans le calibrage de l’ensemble. Enregistrée par Flea, pour qui la sortie de l’album et sa participation ont été une grande surprise (cf un twitt ironique envoyé après avoir découvert que les sessions d’enregistrement qu’il avait faites avec Antemasque, originellement sans but précis, juste entre copains, constituaient désormais la base d’un nouveau projet publié sur internet), la basse est tenue en live par un frangin Rodriguez-Lopez. Ça pourrait être n’importe qui d’autre, de toute façon, ici, il fait le boulot, sans plus.
Comparée à la prestation des Butcherettes, l’un des premiers constats que l’on puisse faire devant celle d’Antemasque, c’est que le son est moins bon. La batterie est très forte (comme sur l’album), la voix itou, et ça manque cruellement de guitare. Quand le tympan ne saigne pas à la sortie d’un concert, il y a un problème, on est d’accord ?! Mais très vite, on est agréablement surpris par la qualité du chant. On sait que Cedric Bixler-Zavala, capable de pondre des lignes à pleurer en studio, avec des montées dans les aiguës admirables, n’est pas toujours à la hauteur sur scène. Son interprétation alors souvent approximative se laisse gagner par l’enthousiasme et abandonne ça et là des bribes de justesse nécessaire. Là, il est au top. La note est atteinte du premier coup et la voix demeure égale jusqu’au bout. Faut dire, le petit gars prend soin de sa gorge fragile. À ses côtés il dispose d’une bouilloire et d’une tasse desquelles il use systématiquement entre les morceaux pour se faire une petite verveine. Il prend son temps, le petit doigt en l’air, il sirote... tellement qu’il fait parfois attendre ses partenaires qui l’observent médusés. La bouilloire, posée à sa droite sur un cube, prenant autant de place qu’un musicien, par la vapeur épaisse et les gerbes d’eau bouillante qu’elle dégage en permanence, inquiète beaucoup le régisseur. Zavala s’en cogne. Et si une faiblesse le gagne, il sait qu’il peut compter sur le fanatisme de son public qui connait déjà tous les refrains par cœur et ne se fait pas prier pour les reprendre, lorsque le chanteur lui tend son micro.
Dans l’ensemble, les garçons se sont quand même bien assagis. Les violents déhanchés de Rodrigez-Lopez et ses dangereux mouvements de guitare ont presque entièrement disparu, et Bixler-Zavala ne s’étrangle même plus avec le fil de son micro... Sur le plan visuel, on a vachement perdu. Mais c’est au profit d’une interprétation musicale plus précise, plus concise, fidèle.
Faisant l’impasse sur les morceaux plus calmes, le quatuor rejoue la quasi intégralité de l’album sans embuche. C’était aussi ça, le retour aux sources pour le couple à la tête du groupe. Cela devait faire partie du contrat. On imagine la scène :
Omar : Allez, Cedric, arrête de faire la gueule ! Vas-y, viens, on fait un nouveau groupe et tu pourras faire tes vocalises de gonzesse, comme tu les aimes, comme avant...
Cedric : Omar, j’en ai marre que tu ailles jouer à droite et à gauche avec n’importe qui ! Et surtout, j’en ai marre que tu fasses n’importe quoi sur les albums !
Omar : Ok, si tu reviens, j’annule tout !
Cedric : Alors c’est d’accord, on s’y remet !... Omar ?
Omar : Oui ?
Cedric : Je t’aime.
...
Bref, inutile d’entrer davantage dans l’intimité du couple. On se doute qu’il y a eu une mise au point pour que le projet Antemasque, aussi classique qu’il soit, relève d’un compromis de la part des deux musiciens. Cette exigence de simplicité ne les empêche pas, cependant, de se laisser aller à de longues digressions techniques et psychédéliques. On est beaucoup à avoir jubilé durant le long jam qui s’est invité au beau milieu de Providence. Comme une réminiscence de ceux-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom-tout-fort-sinon-ils-nous-insultent, le quatuor divague sur un groove éthéré. Oui, c’était bien eux les auteurs du très jazz-rock Frances The Mute, cet album incroyable, la médaille d’argent dans la course au meilleurs albums de The Mars Volta, avec son morceau de 35 minutes découpé en 5 phases inspirées par le rock progressif des années 70. Oui, c’était bien eux que l’on retrouvait un instant. Même si, on le sait, on le sent, la prise de risque restait ici toute relative, bridée par un cahier des charges sérieux, on ne pouvait qu’apprécier le clin d’œil.
Finalement, malgré une certaine déception liée au son et peut-être aussi à une attente impossible à satisfaire (nous étions nombreux à espérer le retour d’un vieux morceau d’At The Drive-In), une fois mis dehors par les vigiles, on ne rechigne pas à rester devant la salle pour attendre la sortie des artistes qui, courtois et accessibles, se prêtent avec le sourire aux nombreuses demandes de photos et d’autographes de la horde de fans, parfois venus de très loin pour les entendre. On glisse quelques formules de félicitations minables à Dave Elitch, on ose à peine regarder Omar dans les yeux, figés par le charme de son visage adolescent. On repart, heureux et penauds.
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