Top albums - mars 2014
A l’honneur de la sélection du Forum Indie Rock ce mois-ci, des albums qui déconstruisent les genres avec autant d’application que de jubilation pour mieux les mélanger, les rebâtir à leur manière et viser plus haut, plus loin, plus singulier - et ce quelque soit l’horizon abordé, du drone au hip-hop en passant par la pop, le jazz ou la noise.
Les résultats
1. Carla Bozulich - Boy
"Carla Bozulich (The Geraldine Fibbers, Evangelista) a mis au monde une nouvelle entité indescriptible, teintée de la noirceur punk propre à son âme désenchantée. L’album s’ouvre sur un blues suave (Ain’t No Grave), à la fois lourd et épuré, il traîne un fardeau de rage contenue qui prend le masque de la douceur pour mieux nous faire entendre palpiter son cœur étrange. L’épure, le blues, l’étrange, la rage, voilà donnés d’emblée les éléments essentiels de ce disque somptueux qui de bout en bout manifeste la maîtrise d’une artiste au sommet de son art.
Chaque morceau s’avance avec lenteur, s’insinuant par des voies obscures, rampe jusqu’en nos âmes difficiles et les fait vibrer d’une façon inouïe. Des ballades lancinantes où Bozulich alterne de sa voix rauque (qui rappelle souvent celle de Patti Smith) entre un spoken word lyrique et des mélodies tendues et habitées. Un songwriting exigeant qui réinvente à chaque titre la grammaire de la chanson rock.
Boy forme un ensemble homogène et équilibré dont les moments les plus forts sont constitués par les titres One Hard Man et son fond indus et âpre, Don’t Follow Me au refrain choral redoutable, et surtout Deeper Than The Well, où la chanteuse appuie son verbe sur un amalgame instrumental noisy pour suggérer au monde entier d’aller voir ailleurs si elle s’y trouve. Mais si ce dernier est le plus puissant, Lazy Crossbones est sans conteste le plus beau, qui s’organise autour d’un groove doux et déchirant. Petit Boy est déjà grand !"
(Le Crapaud)
2. Chris Weeks & The Sadmachine Orchestra - Conductor
"Nouveau chef-d’œuvre de drone radiant aux harmonies touchées du doigt par le divin, Conductor est une ode à la fin du règne de l’électricité, usant du bruit statique et autres buzz produits par divers équipements électriques pour donner vie à une symphonie de forces invisibles. En célébrant l’imperfection des vibrations presque organiques qui respirent entre les circuits et que les musiciens électroniques prennent habituellement soin d’éradiquer en post-production, en anticipant leur fin prochaine, l’auteur de The Lost Cosmonaut anticipe également les derniers instants de la civilisation dont la fulgurante évolution depuis deux siècles doit tant à cette énergie naturelle dont on sait désormais qu’elle a créé la vie à partir de rien, ou si peu.
Sur Electric Field puis Amber, le champ électrique semble ainsi incarner à lui seul l’univers tangible, prêt à replonger dans le néant des origines si cette tension vectrice d’une pâleur vacillante dont le cœur irradie doucement la pénombre venait à cesser de battre. Et pourtant, si l’électricité fait désormais partie de nos vies et contribue souvent à ses instants de féérie (Ions), c’est aussi elle qui nous consume comme en témoignent les déferlements harsh des fabuleux Phase Shift et Strange Oscillations ou le titre de l’épopée finale qui vous attend en bonus digital, point d’orgue d’un album dont la majestueuse et austère démesure n’incarne finalement rien d’autre que l’ambiguïté du rêve éternel de l’humanité : aller toujours plus loin dans la conquête des ténèbres, au risque de s’y brûler les ailes, l’âme et le reste."
(Rabbit)
3. Be My Weapon - ¡¡ GREASY !!
"Passé sous les radars depuis l’abandon de son pseudo Swell au profit d’une poignée de projets parallèles qui n’auront jamais vu la lumière des projecteurs indés, David Freel n’a pourtant rien perdu du panache et de l’audace des plus grandes heures de sa glorieuse formation psyché/lo-fi des 90s.
Déglingué et larsenisant, pétri d’ironie et de névroses à fleur de peau, ¡¡ GREASY !! évoque ainsi dans sa première partie la flamboyance baroque d’un Menomena voire même d’un TV On The Radio, dans la continuité des passages les plus weird et habités de For All The Beautiful People, avant de calmer le jeu mais pas l’intensité sur les fabuleux Please Pardon Me et From Sea To Shining Sea.
Mais... une pirouette délicatement bruitiste (The Reason We Got Named) et voilà que l’album se met à tirer sur l’atonalité, à coups d’électronique et de synthés discordants puis dans une veine plus ouvertement expérimentale à l’entame du drogué We Know You Know We Know dont les nappes rétro-futuristes ouvrent pourtant sur une ballade comme on n’en fait plus, capable de coller des frissons au plus blasé des nostalgiques de Gastr Del Sol comme de Grandaddy."
(Rabbit)
4. Figures In Motion - Confusion Will Pass
"Des nouveaux Radiohead, on en a vu. Souvent. Il ne s’agit donc pas de répéter ce processus de comparaison somme toute assez vain. Figures In Motion n’en est qu’à son premier album et il ne serait pas très raisonnable d’encombrer ce trio prometteur d’une telle référence. Cependant, des intonations vocales de Mickaël Menu aux harmonies utilisées, en passant par certaines rythmiques, l’influence de Thom Yorke et ses acolytes est prégnante sur Confusion Will Pass quoique légèrement moins perceptible qu’autrefois, signe de la constitution d’une identité sonore bien personnelle.
S’il est entendu que la cohérence est le maître-mot de Confusion Will Pass, il est particulièrement difficile de résister à Dust, sa construction labyrinthique et ses sonorités tournées vers l’indietronica qui ne sont pas sans rappeler The Notwist. On succombera par ailleurs au minimalisme de Shift of Weight ou à la pop acérée de Get Momentum, la formation ayant tout pour faire partie de celle qui compteront dans les prochaines années."
(Elnorton)
5. Horseback - Piemont Apocrypha
< avis express >
"On ne sait jamais exactement sur quels sentiers va nous entraîner le prolifique et talentueux Jenks Miller, et après sept années de carrière on s’habitue au voile de mystère qui entoure chacune des sorties de l’artiste. Lent, minimaliste, mais néanmoins chaleureux, Piedmont Apocrypha se révèle un très grand disque de Horseback. Le groupe y dévoile au grand jour une facette jusqu’alors seulement esquissée et l’objectif semble être ouvertement d’amener l’auditeur à un état primal de communion physique apaisée avec les éléments.
Piedmont Apocrypha renoue avec la majesté organique de Impale Golden Horn tout en s’affranchissant des dernières scories de psych-rock. Lumineux et épuré, le drone folk chamanique offert ici rappelle le cœur palpitant d’une nature renaissante."
(Nono)
6. Hydras Dream - The Little Match Girl
La petite fille aux allumettes d’Hans Christian Andersen revu par Matti Bye et Anna Von Hausswolf sur le label Denovali, c’est l’assurance d’un bel album, empreint de noirceur et de mélancolie, cinématographique et rêveur, dont les répétitions tiennent autant de l’ambient, du post-classique, que de la dream pop. Alchimie pleinement réussie pour un premier essai entre les deux musiciens... ça a beaucoup plus d’allure (pardon les enfants) que La reine des neiges par Disney !
(Riton)
7. Daggers - It’s Not Jazz It’s Blues
< avis express >
"Depuis cinq ans les Belges de Daggers s’échinent à bousculer les codes du hardcore et à élaborer un univers musical insolite. Complètement à contre-courant, ils balancent sur ce nouvel opus douze morceaux audacieux.
Oubliez les errements crust/black metal/postHC de la majorité des productions actuelles, le groupe s’attache aux fondamentaux de l’expression d’une certaine forme de malaise populaire, de l’angoisse et des déboires du quotidien. Vocalises éraillées, basses ronflantes et hypnotiques, riffs corrompus : dans le fond comme dans la forme It’s Not Jazz It’s Blues rappelle les univers tourmentés et claustrophobiques de Helms Alee ou Cowards.
Parfait exutoire au stress urbain, savant mélange de hardcore, de noise et de punk, l’album opte pour l’excès d’analgésique fracassant comme unique médecine."
(Nono)
8. Freddie Gibbs & Madlib - Piñata
< chronique >
"Trois ans que Madlib et Freddie Gibbs se tournent autour ; d’abord avec l’excellent Thuggin’ en 2011 et son sample diabolique de Rubba (que seul le crate-digger superstar Beat Konducta doit connaître), puis deux autres maxis ont suivi, Shame en 2012 et Deeper l’année dernière. Tous ces titres, nous les retrouvons sur ce Piñata et ils en sont un peu la genèse, comme s’il avait fallu que le producteur californien et l’emcee se domptent par petites touches avant de passer aux choses sérieuses.
Mais attention, Piñata n’est pas non plus une compilation de titres déjà sortis, l’album est incroyablement bien ficelé, long et pourtant hyper-dense, 17 titres oscillants entre le pur gangsta gritty et la mélancolie organique toute Madlibienne. Le producteur atteint ainsi des sommets de cordes solaires (Deeper), de cool West Coast (Harold’s), d’acrobaties (Shitsville), de Blaxploitation (Shame), d’expérimentations à tiroirs (Real) ou de pur soulful (Knicks). Le travail de Madlib est simple mais pourquoi en faire des caisses quand on a de l’or dans les doigts ? Et niveau flow, Freddie Gibbs est très haut, à la fois froid et conscient, gavé de classe et de substance avec un style proche d’un Tupac, d’un Master P ou d’un Scarface - lui-même présent comme bon nombre de guests triés sur le volet."
(Spoutnik)
9. Chicago Underground Duo - Locus
12 ans après les promesses rétro-futuristes du génial Synesthesia dont les successeurs parus chez Thrill Jockey délaissèrent souvent le groove hypnotique pour une approche plus atonale voire erratique de l’impro jazz culminant sur Boca Negra en 2010, le cornettiste Rob Mazurek et le batteur Chad Taylor reprenaient goût aux rondeurs rythmiques et aux synthés analogiques avec The Age of Energy. C’était il y a deux ans, un retour vers l’abstraction dont Locus, seconde sortie chez Northern Spy, continue de creuser les jams hybrides aussi jouissifs qu’alambiqués, lorgnant dès l’entame sur le mètre-étalon de ces métissages entre jazz, post-rock et électronique, le fameux Standards des compères Tortoise que Mazurek côtoya il y a quelques années au sein d’Isotope 217.
De rêveries martiennes (The Human Economy, House of the Axe) en réminiscences afrobeat (Yaa Yaa Kole) entre deux détours par les errements discordants de l’étrange Borrow and Burry ou la transe cuivrée de Blink Out, le groupe ne se contente pas pour autant de parfaire ce qu’il fait de mieux (de l’impeccable Boss à l’épique Dante) et gageons que d’ici une décade ou deux, Locus sera devenu lui aussi l’un de ces modèles que les explorateurs du jazz tenteront de digérer faute de pouvoir le copier.
(Rabbit)
10. The One Burned Ma - Au sens large du terme
"Quelques semaines après l’excellent EP Gris Amer, le Parisien The One Burned Ma remet le couvert avec un format long qui porte bien son nom : du rock déconstruit au harsh noise, de jams hypnotiques en loops abrasives, Au sens large du terme fait état d’une palette musicale sans concession et riche en chemins de traverse.
De sortie en sortie, on ressent néanmoins un certain glissement vers l’abstraction, les guitares se muent en apocalypses de bruit blanc (Ciselé, Au large) ou en pulsations constellées de larsens tranchants (A point nommé), les synthés volent en éclats de radiations noisy (Une marche après l’autre), la batterie pilonne ses météores sursaturés (Ephémère) et même ce qu’il reste de groove semble passé au crible des dissections laborantines de quelque savant fou de l’avant-garde électronique (De sous les pas).
L’ouragan One Burned Ma nous laissera ainsi épuisés et bardés d’acouphènes mais heureux d’avoir si bien souffert."
(Rabbit)
Les choix des rédacteurs
Elnorton :
1. Figures In Motion - Confusion Will Pass
2. Shizuka - Between
3. Tycho - Awake
4. Work Drugs - Insurgents
5. Be My Weapon - ¡¡ GREASY !!
Le Crapaud :
1. Carla Bozulich - Boy
2. The Bad Plus - The Rite Of Spring
3. Horseback - Piedmont Apocrypha
4. Daggers - It’s Not Jazz It’s Blues
5. Louis Minus 16 - Kindergarten
Leoluce :
1. Carla Bozulich - Boy
2. Noxagt - Brutage
3. Noxagt - Collection 1
4. Louis Minus 16 - Kindergarten
5. Zëro - Places Where We Go In Dreams
Nono :
1. Horseback - Piemont Apocrypha
2. Drive-By Truckers - English Oceans
3. Motorpsycho - Behind The Sun
4. Daggers - It’s Not Jazz It’s Blues
5. Dirge - Hyperion
Rabbit :
1. Chris Weeks & The Sadmachine Orchestra - Conductor
2. Carla Bozulich - Boy
3. Chicago Underground Duo - Locus
4. Be My Weapon - ¡¡ GREASY !!
5. The One Burned Ma - Au sens large du terme
Riton :
1. Hydras Dream - The Little Match Girl
2. The One Burned Ma - Au sens large du terme
3. Daggers - It’s Not Jazz It’s Blues
4. Fenster - The Pink Caves
5. Chicago Underground Duo - Locus
Spoutnik :
1. Freddie Gibbs & Madlib - Piñata
2. Frankenstein - The Science Of Sound
3. Nocando - Jimmy The Burnout
4. Castle - Return Of The Gasface (The Has-Lo Passages)
5. Monsieur Saï - Première Volte Digitale
Carla Bozulich sur IRM
Be My Weapon sur IRM - Myspace
Chicago Underground Duo sur IRM
Madlib sur IRM
Horseback sur IRM - Bandcamp
Chris Weeks sur IRM - Bandcamp
Daggers sur IRM
The One Burned Ma sur IRM
Hydras Dream sur IRM
Figures In Motion sur IRM
Freddie Gibbs sur IRM
- Sulfure Session #1 : Aidan Baker (Canada) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Sulfure Session #2 : The Eye of Time (France) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Aidan Baker + The Eye of Time (concert IRM / Dcalc - intro du Sulfure Festival) - Le Vent Se Lève (Paris)
- Squarepusher - Dostrotime
- Tomin - Flores para Verene / Cantos para Caramina
- 2 Tones - No answer from Retrograd
- Spice Programmers - U.S.S.R.
- Lynn Avery & Cole Pulice - Phantasy & Reality
- CID - Central Organ for the Interests of All Dissidents - Opium EP
- Darko the Super & steel tipped dove - Darko Cheats Death
- Leaf Dog - When Sleeping Giants Wake
- Stefano Guzzetti - Marching people EP
- Leaf Dog - Anything is Possible
- Tomin - Flores para Verene / Cantos para Caramina
- 2024 à la loupe : 24 EPs (+ bonus)
- Novembre 2024 - les albums de la rédaction
- 2024 à la loupe : 24 labels
- Leaf Dog - When Sleeping Giants Wake