Coax au cirque, interview sur le fil
Peu de temps avant l’un des premiers concerts du duo Aïe en ouverture de Radiation 10, j’arrive au Cirque Electrique qui s’emplit gentiment. C’est la dernière soirée de la série Coax au Cirque, c’est le 29 mai 2013, le temps est pourri. On avait déjà eu l’occasion de rencontrer le collectif lors des soirées Bourrin et celle du 24 avril et de dire toute l’énergie qui se dégage de sa multitude de formations. Il était temps d’en connaître la nature avec sa profusion tentaculaire. Yann Joussein (Aïe, DDJ, SnAP, Rétroviseur, etc.), membre fondateur de Coax, et Julien Chamla (Helved Rüm, Hippie Diktat) prennent le temps de répondre à mes questions. Un coin de scène est disponible. Nous y bavardons quelques minutes.
IRM : Est-ce que vous pourriez présenter le collectif ?
Yann Joussein : Aujourd’hui COAX, c’est entre 10 et 15 groupes, on a un site, www.collectifcoax.com. C’est aussi un label qui a produit une quinzaine de disques. Mais on n’a jamais réussi à savoir ce qu’on était exactement, un collectif de musiciens, une coopérative, ou un rassemblement de groupes… Qui en fait partie, qui n’en fait pas partie… à la base, on était plusieurs potes à faire de la musique avec un style, ou plutôt une démarche artistique commune et on a commencé à organiser des concerts ensemble, démarcher ensemble. Et puis il y a plusieurs groupes qui se sont constitués autour de tout ça, ce qui fait que plein de gens participent au collectif de près ou de loin. Grosso modo, ça tourne autour de cinq ou six musiciens, mais une trentaine de personnes au total participent à l’énergie du collectif et font avancer l’association.
Vous êtes une structure associative du coup ?
YJ : Oui, qui fonctionne avec deux employés. Un qui s’occupe uniquement de Radiation 10, la formation qu’on va voir après et une employée qui fait de l’administratif et gère plein de choses, et qu’est là avec nous lors des concerts.
Le collectif a donc été créé pour donner un nom à un ensemble de personnes qui faisaient des choses ensemble ?
YJ : Oui, autour d’une démarche artistique surtout. C’est vraiment le nom d’une démarche, s’il y avait des peintres ça pourrait marcher aussi… Il y a Julien, là, qui veut peut-être ajouter quelque chose.
Julien Chamla : Euh…
Rires.
YJ : On ne se connaît pas depuis très longtemps, mais en même temps, peu importe d’où l’on vient, on a cette envie commune d’aller vers quelque chose de plus improvisé, de plus libre, de plus à l’écoute, un partage collectif…
JC : … je le laisse parler parce que je suis arrivé plus tard dans le collectif, mais ce dont Yann parle, cette esthétique, moi, quand je suis arrivé à Paris je m’y suis tout de suite retrouvé. J’ai assez rapidement rencontré ces musiciens et c’était avec eux que j’avais envie de faire des trucs. Donc c’est vraiment une esthétique qui nous rassemble.
YJ : Mais toi t’écoutes plutôt du « rock métal » ?
JC : Oui c’est ça et puis, j’ai fait une école de jazz, donc ça fait un moment que je m’intéressais plus aux musiques improvisées. Moi je viens de Reims, où il y avait peu de musiciens qui voulaient jouer ces musiques là, donc je me suis très vite tourné vers les gens de Coax parce qu’on a des influences communes malgré nos différences. Et puis c’est un truc humain, tout simple, on a les mêmes âges…
Comment tu as fait connaissance avec le collectif, toi ?
JC : En allant à un concert de Coax. En fait, on m’en avait parlé. C’est un ami guitariste qui jouait avec Benjamin Flament, de Radiation 10, qui m’avait dit « va voir ces mecs là, ça va t’intéresser ». A l’époque c’était à l’imprimerie 168, un ancien squat rue de Crimée, il y avait un festival Coax et j’ai rencontré Antoine Viard, le saxophoniste avec qui je suis resté en contact et ça s’est fait comme ça.
Ok, et ça existe depuis combien de temps ?
YJ : Depuis 2007, 2008, ça correspond à peu près au moment où certains d’entre nous ont fini leurs études au conservatoire.
Bah tiens, justement, parlons-en ! Quel rapport vous avez avec le conservatoire ? Est-ce que c’est là que vous vous êtes rencontrés et avez décidé de créer le collectif ?
YJ : En fait, je crois qu’on a tous un parcours différent. Moi, j’ai fait de la musique classique. Déjà au lycée, j’étais en horaires aménagés, j’ai découvert les percussions. Et puis j’ai toujours aimé le jazz et je suis passé d’école en conservatoire en école et c’est pas complètement grâce à ça que j’ai appris à jouer de mon instrument, mais c’est grâce à ça que j’ai rencontré plein de monde. Le conservatoire de Paris nous a quand même permis d’avoir de gros moyens, de faire des tournées, notamment au Canada, de rencontrer des journalistes de la presse spécialisée, enfin, voilà, ça nous a ouvert beaucoup de portes. Ce lien que je fait avec le conservatoire est assez personnel. On est plusieurs à y être passés et je crois qu’on a tous des vécus différents. En tout cas, c’est pas le conservatoire qui nous a appris à jouer de la musique. Mais, les conditions étaient réunies pour qu’on se sente libre de faire notre chemin.
Mais le fait que votre musique soit basée sur l’improvisation, la liberté, est-ce que ce n’est pas justement une révolte contre le Conservatoire ?
YJ : C’est possible… Mais c’est peut-être une révolte tout court. Peut-être aussi, l’esprit de contradiction ou plus simplement une envie de liberté. Quand j’écris de la musique, j’entends des trucs qui sonnent, j’y vais, je me pose pas la question de savoir si c’est scolaire ou non.
Vous disiez que c’est une ligne esthétique qui vous a rassemblés, comment vous la définiriez ?
YJ : Je dirais que c’est plus une démarche qu’une esthétique. Parce que je vois pas comment nommer notre esthétique. Peut-être que tu pourrais, toi, t’as vu plusieurs de nos concerts ?
J’ai pu constater plusieurs points communs. Notamment vis-à-vis des trios que j’ai déjà vus, DDJ, Hippie Diktat et The A.A’s, il y a une espèce de logique entre vous, dans votre manière d’aborder la musique…
YJ : Ça c’est plus lié à la formation...
Justement, est-ce que vous trouvez quelque chose de particulier dans la formule trio, parce qu’il y en a quand même plusieurs ?
JC : Ben déjà c’est simple, d’un point de vue logistique !
Rires.
Ouais, c’est sûr, c’est plus facile pour tourner…
Un mec : C’est la formule idéale. A partir de quatre, ça devient compliqué…
JC : Par contre faut pas écouter ce qu’il dit, lui, parce qu’il est pas de COAX.
Rires. Effectivement, il n’était pas de COAX.
JC : Non, sérieusement, il y a quelque chose de simple, musicalement. Les idées circulent très rapidement, chacun peut avoir beaucoup de liberté pour s’exprimer, ce qui est moins la cas dans une formation plus grosse.
YJ : Après, il y a plein d’autres raisons pour lesquelles tu te lances dans un duo, un trio ou un solo…
JC : Ça dépend aussi des gens que tu rencontres. Il y a un truc humain, un équilibre humain qui se fait.
YJ : Avec untel et untel, j’entends ça, j’entends telle formation. Ça dépend de ce que ça donne. Et puis des fois tu peux avoir envie de monter un groupe en particulier, un trio de jazz acoustique, et puis après t’as envie de monter un groupe de métal hardcore. C’est pareil pour les trios, il n’y a pas forcément de raison.
Le nom COAX, ça vient d’où ?
YJ : C’est un câble, une connectique. Je pense que la thématique à la base… heu… c’est... pfff…
Qui est-ce qu’est à l’origine du nom ?
YJ : C’est pas moi ! Il se marre. Moi je voulais l’appeler Lapin Pendu, ou un truc comme ça… Je me marre. Bon, COAX, ça faisait plus sérieux et voilà, c’est ce truc, un bidouillage électronique…
Ça a un rapport avec l’électricité ?
YJ : Voilà, parce qu’il y a beaucoup d’électricité dans nos groupes et puis il y a aussi l’idée de bidouillage, d’artisanal,
Je me disais que c’était peut-être parce que vous êtes branchés ?!
Pas de rire.
YJ : Oui, on peu voir ça comme ça…
JC : Il y a déjà eu une soirée branchée...
Et comment vous faites pour vous y retrouver dans les différentes formations ? Toi, par exemple, Yann, je t’ai vu au moins dans trois groupes… Comment tu fais pour proposer des choses différentes à chacun ?
YJ : Ben, déjà on vit de ça.
Ha, du coup c’est comme une nécessité de faire pleins de choses ?
YJ : C’est avant tout une envie. C’est les deux. Aujourd’hui je vais jouer avec Raphaëlle [Rinaudo, harpe électrique, omnichord, voix, ndlr], j’utilise ma voix, l’ordi, c’est un peu des blagues. Tandis que DDJ, c’est un groupe qui existe depuis déjà huit ans, autour de l’impro, où on crée ensemble. J’ai un quartet qui s’appelle Rétroviseur où j’ai écrit la musique et l’ai pensée pour ces gens là en particulier. En fait, ce qui fait l’identité de notre collectif, c’est que chaque groupe pousse son propre truc jusqu’au bout. Ce qu’on fait avec un groupe, on le fait pas avec les autres.
JC : J’ai pas l’impression qu’il y ait deux groupes qui se ressemblent vraiment dans COAX. Par exemple, tous les groupes dans lesquels joue Yann cherchent à produire des choses différentes. Moi, j’ai deux groupes qui sont aussi très différents. Hippie Diktat est très rock, Helved Rüm est plus axé sur la recherche d’un son, autour de l’improvisation électro-acoustique.
Toi, tu viens plutôt du métal c’est ça ?
Yann me fait remarquer ses cheveux longs.
JC : Ouais, c’est vrai mais je suis pas le seul, les autres ça se voit moins parce qu’ils n’ont plus les cheveux longs mais on est quand même plusieurs dans ce cas là.
On entend bien cette influence chez Hippie Diktat...
JC : Oui, c’est vrai que c’est flagrant là, mais j’ai aussi rapidement écouté d’autres choses. Du jazz, évidemment, la musique contemporaine, et… voilà.
A ce moment, on comprend que si Yann ne répond plus aux questions, c’est que Raphaëlle, sa partenaire, lui dit qu’il est temps.
JC : Ha, je crois qu’ils vont jouer…
Le duo prend place devant la scène. Yann est à la batterie. Il a un clavier midi à la place du tom médium et un ordinateur, sur sa droite. La harpe de Raphaëlle est sur un piédestal, équipée de pédales.
Aïe fait des chansons décousues, avec des voix aiguës et des textes naïfs (« aïe tu m’as fait mal ! »). On comprend pourquoi Yann parlait de blague tout à l’heure. On s’amuse. Le clavier fait pouet-pouet dans les basses. C’est à la fois funky, vintage et cheap. La harpe apporte la touche mélodique et une atmosphère féérique, parfois presque médiévale.
Ça joue du cut up. Ça emprunte, un Avé Maria par-ci, le thème de Rosemary’s Baby par-là (Mike Patton est cité dans leurs influences…). Ça chante dans tous les sens.
Parmi les blagues et les expérimentations, de vrais moments de grâce émergent, composés d’arpèges saturés, de rythmes syncopés et de voix célestes.
Quelques morceaux sont en écoute ici, très fidèles à ce que le duo produit en concert et confirment ainsi que quelque chose d’intéressant réside derrière le jeu de Aïe.
La suite se déroule sous le grand chapiteau. C’est désormais au tour des "vétérans" de défendre leurs nouveautés. En effet, c’est autour de Radiation 10 qu’à l’origine le collectif s’est constitué. Composé de neuf musiciens, l’orchestre s’est fait connaître dans le milieu des gens qui s’y connaissent, en remportant, notamment, le premier prix du concours National de Jazz de la Défense en 2007.
Là, c’était la claque. Après avoir eu la chance d’assister aux trios jazz-core/free-noise que sont The A.A’s, Hippie Diktat et DDJ qui, bien qu’ils s’en défendent, ont tout de même de nombreuses similitudes, après avoir aussi entendu le drone de Richard Comte et la folie primaire de Aïe, je découvre où l’esprit du collectif a pris sa source. Les musiciens de Radiation 10 font du jazz rock un médium ouvert au sein duquel leurs personnalités débridées ont l’opportunité d’investir les champs encore inertes de la musique improvisée.
On pense au Miles Davies électrique à certains moments, à Tortoise à d’autres. Puis le groupe se dirige vers une mélodie orientale, guidé par la trompette. Passe par un blues progressif puis une phase free typique. Le violon apporte ce qu’il faut de contemporain. Aux baguettes de son vibraphone, Benjamin Flament mène ses hommes par télépathie. En face de lui, les touches du Fender Rhodes de Bruno Ruder ne prennent pas la poussière. Ça fuse, et les sonorités chaudes et saturées de l’orgue marquent de leur empreinte indélébile l’ambiance de l’ensemble.
Impossible de décrire toute la musicalité du set, on ne peut faire que balbutier quelques détails insignifiants : plus d’une heure de concert, deux longues plages et un rappel l’ont composé. Il y eu des montées intenses qui mobilisaient l’intégralité de l’orchestre et des moments posés, à la variabilité timbrale relative aux diverses formules permises par l’instrumentarium (ici un solo de basse, là un duo violon et guitare, plus loin encore, un quatuor, batterie, sax, trombone et vibraphone). Bref, pas de quoi s’ennuyer !
Le nouvel album de Radiation 10, Bossa Super Nova, sorti le 29 mai, est à écouter d’urgence. Et le groupe, à voir au plus tôt.
Interviews - 14.06.2013 par
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