Le streaming du jour #752 : The Healthy Boy & The Badass Motherfuckers - ’Carne Farce Camisole’
Honte sur nous, nous sommes scandaleusement en retard pour vous signaler ce bout de musique absolument formidable sorti fin février, autant dire une éternité à l’heure de l’Internet carnassier balançant un bon milliard de nouveaux disques tous les jours, tout au long de l’année dans un flot ininterrompu que l’on a parfois bien du mal à suivre. C’est que ce disque, justement, demande du temps et nage un peu à contre-courant du rythme effréné imposé par notre époque bien trop pressée.
Non pas qu’il soit à tel point complexe qu’il faille multiplier les écoutes encore et encore pour tenter de comprendre ce que l’on écoute et savoir précisément si on l’aime ou non. C’est même plutôt l’inverse, Carne Farce Camisole se laisse cerner facilement et l’adhésion est immédiate : sa folk décharnée et veloutée à la fois s’agrippe au cortex dès la première écoute. Cette voix profonde travaillée au whisky et au tabac enveloppe, subjugue et pour finir, hypnotise. Les arrangements sur lesquels elle se meut ne manquent pas, eux aussi, d’enfermer l’auditeur dans une nasse simple et ténue où la retenue est de mise. Un parfait équilibre qui concoure à la construction de morceaux habités qui pourraient parfaitement illustrer n’importe quel épisode de l’épopée Blueberry : à les écouter, une multitude d’images mentales prennent vie derrière les yeux où s’entrechoquent sueur et soleil cuisant, bourbon et crépuscule inquiet, cowboys et indiens, rebondissements et péripéties romanesques jamais désuètes.
Un disque pour chialer dans sa bière ou pour montrer les crocs, ça dépend car pour une collection de chansons dépouillées et magnifiques (entre autres, Our Story’s Grave qui ne pouvait mieux ouvrir le disque, Not Gonna Loose You ou encore I’ll Never Take You Along In My Fall littéralement parcourue d’un vent dont on imagine très bien qu’il fasse virevolter les tumbleweeds), Crane Farce Camisole oppose quelques épisodes plus tendus (l’impérial Boneman et son rockab’ enlevé qui convoque crânement le fantôme des trois premiers Gun Club ou encore son frère jumeau légèrement plus fuselé, Grapes). On le voit, si ce disque demande du temps, c’est uniquement parce qu’on ne veut pas en perdre une miette et que l’on se refuse à déchirer le fragile canevas qu’il tisse patiemment par des gestes trop brusques ou précipités. Carne Farce Camisole ne supporte pas une écoute distraite et demande de l’attention pour en saisir les multiples détails et les différentes épaisseurs.
Deuxième album du Healthy Boy - Benjamin Nerot déjà croisé dans Belone Quartet mais aussi sous l’alias Noir Animal - mais premier auquel les Badass Motherfuckers - à savoir les trois quarts de Zëro sans François Cuilleron mais avec Jean-Paul Brely - participent pleinement, Carne Farce Camisole frappe par son élégance racée et sa grande sincérité qui font qu’à son écoute, une multitude de frissons parcourent l’échine et qui font surtout regretter de n’en parler que si tard. Mais trêve de discours, le mieux, c’est encore d’écouter ces ballades en clair-obscur et ces rocks fortement maltés cachant, derrière leur grande simplicité, une réelle densité que l’on n’a pas fini d’explorer.
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