Moonjellies : sur le radeau de la méduse
Auteurs l’an passé du remarquable Inner Anger Feather, les Tourangeaux de Moonjellies méritaient bien que l’on s’attarde davantage sur eux. A l’heure du web 2.0, c’est par échange de mails que se réalise l’entretien. Un usage paradoxal des nouvelles technologies puisque l’on parle ici d’un groupe qui puise ses diverses influences au plus tard dans les années 90, et profondément attaché à l’objet CD (et même au vinyle) quand leurs congénères le désertent chaque jour un petit peu plus...
Bonjour, on doit toujours vous le demander, mais pourquoi avoir attribué ce nom de méduse à votre groupe ?
Damien Morisseau : Parce que la méduse (animal relativement disgracieux au demeurant) dont il est question réside à quelques milliers de mètres sous la surface de l’eau, et qu’elle fait une très jolie lumière rien que pour le plaisir, puisqu’il n’y a finalement pas grand monde pour en profiter. On trouvait cette image assez intéressante.
Julien Schmidt : On a hésité entre une méduse, un ver et un pigeon, ce devait être un animal majestueux.
Avant Inner Anger Feather, vous aviez sorti deux EPs. En terme de production, quelles sont les différences entre la sortie d’un LP et celle d’un EP ?
J.S. : On a envisagé nos EPs comme des démos un peu plus travaillées. Sur le second, Jellie Making Friends Under A Cloudless Sea, il y avait des cordes et du basson. Finalement, les idées de production étaient à peu près les mêmes sur les EPs ou sur l’album, seule la taille du studio a changé entre les deux.
L’album a été enregistré au studio Sophiane à Clermont-Ferrand, il y avait un parc de micros plus important et Pascal Mondaz (l’ingénieur du son) nous a guidés tout au long du processus d’enregistrement en proposant notamment plus de réflexion sur le placement des micros.
Une bonne partie des titres présents sur ces EPs sont présents sur l’album. Déterminer l’ordre des morceaux sur celui-ci fut-il un casse-tête ?
D.M. : On y a pas mal réfléchi en amont, et pour simplifier les choses, on s’est dit que si l’album devait sortir en vinyle, il fallait que les deux faces puissent s’écouter indépendamment de façon cohérente, et qu’on puisse aussi avoir envie de passer de l’une à l’autre. On est donc parti sur différents scénarii, et tout s’est finalement arrêté en quelques minutes au studio de mastering, où il a fallu donner un ordre définitif. Maintenant que l’album est disponible en vinyle, on a pu tester notre postulat de départ, mais comme on n’écoute pas souvent notre disque, on ne sait pas trop si le résultat espéré est atteint.
J.S. : D’autant plus que les douze chansons ont été créées sur une période de trois ans. Elles correspondent à des envies musicales très différentes.
Près d’un an après la sortie d’Inner Anger Feather, quel bilan en dressez-vous, que ce soit artistiquement ou commercialement ?
D.M. : Le bilan est très positif. Nous avons eu de nombreux retours critiques élogieux de la part du réseau fanzines/webzines, ainsi que sur scène, où des personnes d’âges et de cultures musicales très différents apprécient ce que nous faisons. Du coup, on vend pas mal de disques, eu égard à notre « notoriété » et aux moyens de promotion mobilisés jusqu’à présent. Nous sommes actuellement dans l’attente de différentes réponses, notamment en terme de distribution physique, afin que l’album puisse avoir une existence moins confidentielle que ça n’a été le cas jusqu’alors. On avance un pied devant l’autre, la sauce prend tranquillement, on apprend à être patient.
J.S. : La distribution physique est un aspect important. Pas forcément pour vendre des milliers d’albums mais parce qu’aujourd’hui, plus que jamais, le groupe qui a son premier album distribué bénéficie d’une vraie crédibilité et peut fédérer d’autres acteurs autour de son projet (tour, édition…). C’est quelque chose qui nous manque toujours.
Lorsque l’on écoute certains morceaux, notamment l’excellent Man in a Crowd, on pense tout de suite à Elliott Smith. Dans une récente interview, vous l’évoquiez comme l’une des influences principales du groupe. Vous avez également évoqué les compositions de Mark Oliver Everett, dont on retrouve, sur Black Cloud par exemple, des similitudes dans le jeu de guitare. Quel rôle ont pu jouer ces artistes, mais aussi Neil Young ou Midlake, par rapport à votre travail ?
D.M. : Tous les artistes et groupes que tu cites font une musique dans laquelle on se reconnaît complètement. On part forcément de quelque chose pour écrire une chanson, et tous ces gens ont contribué à nous donner envie de nous y mettre. On ne se fixe néanmoins pas de « cahier des charges ». Il est évident que notre musique peut être comparée à d’autres, mais ce n’est pas notre objectif de sonner comme untel ou pas. On souhaite juste écrire des chansons qu’on aimerait entendre. Certains trouvent que c’est très « référencé », d’autres au contraire estiment que ces références sont mises au profit d’une personnalité plus avérée, que « l’entité Moonjellies » existe et a sa raison d’être. Après, à chacun de se reconnaître ou pas dans ce qu’on fait.
J.S. : Parmi tous ceux que tu cites, chronologiquement, le premier pour moi fut vraiment Mark Oliver Everett aka « Eels à lui tout seul ». Il fait partie de ces artistes qui marquent nos vies à jamais parce qu’on les a écoutés adolescents, qu’on pouvait s’identifier à ces beautiful losers, alors qu’on était juste losers et parce qu’ils savaient transformer la défaite et l’ennui en une chose belle, puissante et énervée.
Néanmoins, chaque membre du groupe a des influences bien distinctes. Comment s’arrange-t-on pour digérer toutes ces influences diverses et réussir un disque homogène ?
D.M. : On a en effet des affinités plus personnelles, mais on s’entend quand même sur un grand nombre de choses, même sur d’autres médias que la musique. Il y a une sorte de sensibilité commune qui fait assez facilement le tri entre les morceaux qu’on souhaite garder et partager avec le reste du monde, et ceux qui ne sortiront jamais de notre garage.
J.S. : On vient d’univers musicaux différents mais il y a un vrai consensus sur tous les musiciens que tu citais plus haut donc c’est plutôt facile.
Malgré plusieurs concerts, Moonjellies n’a pas effectué de véritable tournée. Se produire sur scène est-il vraiment primordial pour vous, ou préférez-vous le travail de création et de composition ?
D.M. : Ces deux aspects sont intéressants et complémentaires. Le processus de création est génial lorsque tu constates qu’un morceau prend forme et qu’il se passe quelque chose. A l’inverse, tu peux aussi passer des heures et des journées sans que rien ne vienne, ce qui est très ingrat. Les concerts amènent de la vie dans tout ça, permettent de se faire plaisir, de croiser du monde, de partager ça directement avec d’autres. Et c’est aussi un moyen nécessaire pour faire connaître le groupe. Ces deux aspects impliquent beaucoup de travail, mais c’est un travail qui nous plaît. On en est encore à jouer au coup par coup, vu qu’il est assez complexe de monter seul une véritable tournée. Cela dit, on tient à jouer partout, et à ne pas s’enfermer dans notre région, donc on passe pas mal de temps sur la route. Il se peut que les choses se structurent davantage dans les mois à venir.
Votre batteur a quitté le groupe pour des raisons personnelles. Sur le site de votre label (Un je-ne-sais-quoi), vous passiez une annonce précisant rechercher un croisement de Jason Falkner (Beck), Denis Wilson (Beach Boys), Josh Tillman (Fleet Foxes) et Phil Selway (Radiohead). Vous l’avez trouvée cette perle rare ?
J.S. : On continue de chercher mais il y a des pistes. Les noms sur l’annonce, c’est uniquement parce qu’il faut faire des références à des choses qui existent mais on ne cherche pas la synthèse de tous ces types, bien sûr.
Dans cette même annonce, vous souligniez également la volonté de voir ce dernier s’inscrire dans l’ensemble des démarches relatives au développement du groupe. Par pure conviction ou, comme vous le déclariez lors d’une récente interview, parce que les paperasses liées à la production d’un disque sont contraignantes ?
D.M. : Qu’il s’agisse de la musique ou des démarches liées au développement du projet, on souhaite être un groupe avant tout, c’est-à-dire quatre personnes souhaitant s’investir et se reconnaissant à 100% dans le truc. Donc au-delà d’affinités musicales, il faut que tous les à-côtés tiennent aussi. C’est une drôle d’alchimie, mais quand ça fonctionne, c’est génial.
On parle souvent de la difficulté de réussir son deuxième album, celui de la confirmation. Qu’en est-il du prochain opus de Moonjellies ? Avez-vous avancé dans l’écriture ?
D.M. : Nous commençons tout juste à reprendre le processus d’écriture. L’année écoulée a été très remplie par tout un tas de démarches annexes à la sortie de l’album, certaines assez rebutantes (paperasses diverses), d’autres vraiment plaisantes (concerts, résidences…). Du coup, nous repartons assez « vierges » sur l’écriture de nouveaux morceaux. On ne va pas nécessairement chercher à s’identifier à ce que nous avons fait jusqu’alors, mais surtout essayer d’écrire des morceaux que nous aurons plaisir à jouer. En l’état, nous avons pas mal de petits bouts de mélodies, que nous allons devoir structurer pour en tirer des chansons à part entière. Nous ne nous sommes pas arrêté de planning précis à ce propos, donc nous envisageons les choses assez sereinement.
Sur Inner Anger Feather, vous aviez exclusivement opté pour la langue de Shakespeare. Un choix courageux, d’autant plus qu’il est souvent mal compris lorsqu’il émane d’un groupe français. Cela sera-t-il toujours le cas sur ce prochain opus ?
D.M. : Il n’est absolument pas exclu d’avoir un jour des paroles en français. Il faudra juste que nous soyons suffisamment convaincus du rendu. Nous avons déjà essayé, mais en l’état, le résultat ne mérite absolument pas de figurer sur un disque.
Vous avez eu la chance de sortir physiquement votre disque, alors que certains artistes doivent se contenter d’une version numérique. Quelle importance attachez-vous à l’objet CD ?
D.M. : Nous avons grandi dans les années 90, à une époque où internet était encore à l’état embryonnaire. Du coup, notre rapport à l’objet disque est quasi mystique ; j’ai des souvenirs très précis d’avoir épluché dans les moindres recoins des livrets d’albums. Forcément, ce genre de pratique fétichiste laisse des traces. On accorde donc une grande importance à l’objet. Nous avons d’ailleurs eu l’occasion de réaliser un pressage vinyle de l’album, qui est à nos yeux la seule version qui devrait idéalement exister.
Enfin, comme c’est la période, quels disques vous ont le plus marqués en cette année 2010 ?
D.M. : Ma réponse risque de ne pas surprendre grand monde, mais en vrac : The Courage Of Others de Midlake, The Suburbs d’Arcade Fire, l’album de Local Natives… En d’autres termes, de beaux disques avec de belles chansons dedans.
J.S. : Local Natives, Edward Sharpe, Midlake et Sufjan Stevens (Illinoise : album de 2005 découvert en 2010, ça compte ?)
Interviews - 04.02.2011 par
Un nom de méduse répugnante pour un groupe qui, de fait, porte bien mal son nom. Car la musique de Moonjellies n’a absolument rien de répugnant, bien au contraire. Accessible et pur, le son de cette bande de tourangeaux dégage une douceur naïve dont on ne se lasse pas.
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