2010 sans virus
2010. Une année, plus que jamais, passée à défendre des albums contestés par certains de mes collègues. Pas étonnant donc de retrouver ces derniers dans les lignes qui suivent... 2010 restera pour moi un bon cru musical. Peut-être même un très bon cru selon les éventuelles découvertes postérieures à ce classement... Quoi qu’il en soit, cette année aura accouché d’un véritable ovni, dont le choix en tant que numéro 1 se sera imposé à moi tant il est rare qu’un album soit aussi ambitieux, et appelé à marquer les décennies musicales futures... Retour sur une bien belle année qui aura presque réussi à effacer la morosité de 2009...
20. Eels - Tomorrow Morning
Mark Oliver Everett est décidément très productif ces derniers temps. Après Hombre Lobo l’an passé, et End Times en janvier, il nous revenait il y a quelques mois avec la troisième partie de sa trilogie, au versant plus lumineux. Cela faisait en effet bien longtemps que l’on n’avait pas vu notre Américain préféré aussi radieux. Dix ans tout rond, à vrai dire, puisqu’il faut remonter à Daisies of the Galaxy pour voir un E aussi enjoué. Si l’on appréciera les ritournelles folk de ce nouvel album (What I Have To Offer est l’un des plus beaux morceaux de la discographie du natif de Virginie), Eels titille aussi la soul (Looking Up) et revient aux claviers omniprésents sur Beautiful Freak, donnant parfois une impression de s’éparpiller. Un très bel album, mais on sait le génie de Mark Oliver Everett capable d’en réaliser de meilleurs que celui-ci...
19. Moonjellies - Inner Anger Feather
Avec Inner Anger Feather, les Tourangeaux réussissent haut la main l’épreuve du premier album. Alternant ritournelles douces au piano ou chansons plus enjouées à la guitare, l’album suit une évolution parfaitement réfléchie. Au final, ces douze pistes constituent l’une des satisfactions de l’année et Moonjellies, en gommant les quelques longueurs aperçues en milieu de disque, pourrait même accoucher d’albums encore plus fascinants à l’avenir.
18. Menomena - Mines
Le quatrième album du groupe de Portland n’est pas révolutionnaire. Pourtant, les membres de Menomena semblent avoir tiré bien des enseignements de leurs trois premiers opus. Les compositions sont plus maîtrisées, le chant moins tourmenté et l’on pourrait même arguer sans trop s’avancer que techniquement, le groupe a franchi un palier. Et se priver des pépites (TAOS, Dirty Cartoons) qui compensent largement cette hideuse pochette serait fort dommageable.
17. Lost In The Trees - All Alone In An Empty House
Pour ce nouvel album, les Américains - en écoutant leur musique, on parierait pourtant sur une origine scandinave - nous livrent des arrangements de cordes bien sentis et nullement prétentieux, qui viennent se marier à la délicieuse voix d’Ari Picker. On regrettera néanmoins la présence de deux instrumentaux (Mvt. I Sketch et Mvt. II Sketch), clairement dispensables, qui nuisent à l’homogénéité de l’album. Dommage, mais cela ne justifie néanmoins pas de bouder ce disque qui aurait pu frapper à la porte du top 10 sans ces deux excès.
16. The Album Leaf - A Chorus of Storytellers
Jimmy LaValle nous fournit, avec A Chorus of Storytellers, un passionnant album minimaliste. Ses compositions sombres ne font jamais dans le larmoyant, laissant même place à quelques passages plus chauds. Aux sublimes nappes mélodiques se mêlent également quelques bruits divers dont l’origine nous échappe. Il vaut parfois mieux ne pas chercher à comprendre. Écouter suffit amplement le cas échéant...
15. Maximum Balloon - Maximum Balloon
Le projet récréatif de David Andrew Sitrek, multi-instrumentiste et producteur de TV on the Radio s’avère plus ambitieux qu’il n’y paraît au premier abord. Sans atteindre l’exigence des compositions du groupe new-yorkais, Maximum Balloon s’avère être un album d’électro-pop passionnant. Et cohérent de surcroît, ce qui n’est pas toujours évident lorsque, comme ici, on multiplie le nombre de guests. Ainsi, Karen O, chanteuse des Yeah Yeah Yeahs s’amuse sur Communion, Tunde Adebimpe, voix principale de TV on the Radio sublime le déjà splendide Absence of Light, tandis qu’Ambrosia Parsley de Shivaree est également conviée à la fête... Sacré casting pour un album réjouissant.
14. Martina Topley-Bird - Some Place Simple
Simple. C’est effectivement ainsi que l’on pourrait définir le dernier album de Martina Topley-Bird. Simple, mais jamais simpliste. En s’appuyant majoritairement sur des compositions issues de ses opus précédents, celle qui apparaît sur le dernier album de Massive Attack joue la carte de l’intimité. Et cela lui sied à ravir... On retrouve la compositrice finalement plus inspirée que sur ses premiers essais (Sandpaper Kisses, Orchids, Phoenix...). Dans un style épuré et intimiste, Martina Topley-Bird réussit à nous emmener dans son monde. Sa divine voix n’a pas fini de hanter nos nuits...
13. Arcade Fire - The Suburbs
Après un Neon Bible clairement plus dispensable que le premier album des Canadiens, on craignait une orientation "radio friendly". Au final, malgré quelques difficultés à appréhender cet album au premier abord, il n’en est rien. Et si quelques morceaux se démarquent (The Suburbs et le sublime Rococo...), nous voici désormais épargnés par les quelques dérives de mauvais goût présentes sur l’opus précédent qui nous laissaient craindre le pire quand à l’avenir d’un groupe qui bascule désormais de nouveau vers sa veine la plus intéressante.
12. Earthling - Insomniacs’ Ball
Au milieu des années 90, Earthling sortait Radar, disque majeur du courant trip-hop. Deux ans plus tard, son successeur Humandust, sans doute encore plus poignant, était refusé par sa maison de disque (avant de sortir sous un autre label sept ans plus tard), signant ainsi la mise en sommeil du groupe. Le retour d’Earthling pour un troisième opus était une aubaine pour rappeler l’urgence d’écouter ses deux premiers albums. Mais pas seulement. Les Bristoliens ne se sont en effet pas reformés pour faire de la figuration. Le flow de Mau est toujours aussi efficace et, sans délaisser son trip-hop initial, le producteur Tim Saul a enrichi celui-ci de nouvelles influences subtiles. Au final, Earthling nous propose un disque noir qui tend à prouver que le trip-hop n’est pas mort...
11. Midlake - The Courage of Others
La très séduisante introduction d’Acts of Man et ses arpèges suffiront à nous rassurer d’entrée : les Texans n’ont toujours pas cédé aux sirènes de la hype et leurs compositions refusent toujours de sombrer dans la facilité (Rulers, Ruling All Things, Small Mountain...). La bande de Tim Smith (dont l’utilisation régulière de la flûte et le jeu de guitare s’inspirent fortement des musiques celtes) parvient à nous hypnotiser pendant ces quarante deux minutes, du moins, si l’on se donne la peine d’apprécier ce disque qui mérite que l’on n’y revienne régulièrement avant de livrer tout son charme. C’est aussi ça la contrepartie du travail de ceux qui ne cèdent pas à la facilité...
10. Shearwater - The Golden Archipelago
Avec cet album, les Texans ont gommé les défauts de leurs deux derniers opus (que ce soit le manque de subtilité de Palo Santo, et le trop-plein d’émotion de Rook ), si bien que dans les meilleurs passages du disque, l’influence du Spirit of Eden de Talk Talk est parfois perceptible pour ses compositions labyrinthiques. Disque doux rempli de morceaux délicieux (le final au piano de Missing Islands, An Insular Life, Hidden Lakes), la bande de Jonathan Meiburg sait aussi faire accélérer les choses lorsque l’émotion ne peut plus se contenter d’être sous-entendue (Corridors, Black Eyes). Une véritable réussite qui nous a accompagnés tout au long de l’année...
9. Caribou - Swim
Dan Snaith est décidément un individu passionnant. Après un très pop mais remarquable Andorra il y a déjà trois ans, le voici qui revient avec Swim dans une veine plus électronique et expérimentale rappelant ses travaux sous le pseudonyme de Manitoba. Le style évolue, mais le Canadien parvient à maintenir la qualité au même degré. Preuve en est ce véritable ovni que constitue Odessa, paradoxal au point d’être à la fois labyrinthique et dansant à souhait... Swim, dans sa globalité, a une tonalité qui pousse l’auditeur à remuer l’arrière-train, sans que jamais cela ne soit au détriment d’un travail exigeant en amont. Un album de qualité extrêmement homogène qui repousse les limites de l’électronica dansante...
8. The Radio Dept - Clinging To A Scheme
Dès les premières notes de Domestic Scene, la certitude de tenir entre les mains un excellent album émerge. Certitude qui ne sera en aucun cas remise en doute durant les trente-quatre minutes du disque. Jamais, sur Clinging To A Scheme, le combo suèdois ne fait dans l’inutile. L’influence d’un groupe comme M83 peut se repérer sur un morceau comme Four Months In The Shade. Pour le reste, les morceaux sont directs, très pop, mais toujours très inspirés, avec ces synthés qui contribuent à mettre en place une ambiance quelque peu planante de temps à autre (This Time Around, Never Follow Suit, David). Soulignons aussi la présence d’un véritable hymne à la bonne humeur que constitue Heaven’s On Fire... Un album qui se bonifie au fil des écoutes...
7. Siskiyou - s/t
Colin Huebert, ancien membre des Great Lake Swimmers, et Erik Arnesen, toujours actif quant à lui au sein du combo canadien, ont pour leur premier album fourni une livraison de qualité qui, brouillonne dans un premier temps, livre toute sa subtilité au fil des écoutes. Siskiyou joue sur les contrastes, s’appuyant sur des rythmiques variées dont découlent tantôt des sentiments d’oppression, tantôt des impressions de liberté...
6. Massive Attack - Heligoland
Ce n’est pas parce qu’il ne s’agit pas là de l’album le plus passionnant du combo bristolien que l’appropriation de Heligoland est dispensable. Massive Attack explore encore de nouveaux horizons sur cet album, dans un style plus pop que par le passé. Certains des plus beaux morceaux de la discographie du groupe (Paradise Circus qui vaut bien un Teardrop, Girl I Love You...) figurent sur ce cinquième opus, dont la production est toujours impeccable. Le seul reproche que l’on pourra faire à cet album est son nombre trop élevé de guests qui nuit à l’homogénéité du successeur de 100th Window. Le savoir-faire de Massive Attack reste malgré tout toujours un cran au-dessus de celui de ses contemporains.
5. Eels - End Times
L’acharnement des détracteurs (de plus en plus nombreux) de Eels avait presque suffi à nous convaincre que, tel Hombre Lobo l’an passé, End Times était un album mineur, et que ses compositions ne parvenaient plus à se hisser au-dessus de la moyenne. Il n’en est rien. End Times est l’album le plus intimiste de la longue discographie du groupe américain. Certainement l’un des plus touchants également. Mark Oliver Everett est désormais un vieux loup de mer qui, approchant dangereusement de la cinquantaine, a mûri dans ses préoccupations. Il s’interroge sur la fin de vie ou d’une époque, lui qui, récemment divorcé, goûte de nouveau à une solitude que la vie lui a si souvent imposée.
Eels ne composera plus jamais d’albums du calibre de Beautiful Freak ou Electro-Shock Blues. En revanche, End Times est la preuve que l’inspiration de Mr. E n’est pas en berne et qu’il est toujours capable de nous émouvoir sur de grands disques.
4. Owen Pallett - Heartland
Album-concept autour d’un jeune fermier violent nommé Lewis qui s’adresse à son dieu-créateur nommé Owen... Légérement égocentrique, le Canadien a malgré tout réalisé une galette à l’élégance rare. Armé de son violon qu’il manie aussi bien de manière classique qu’en se passant de l’archet, Owen Pallett nous entraîne dans diverses parcelles de son univers bien spécifique. Un disque qui risque bien, dans un premier temps, de ne pas recueillir l’adhésion totale de l’auditeur, avant de dévoiler tout son charme. Heartland se mérite et tient la durée puisque le voilà déjà sorti depuis près de douze mois sans qu’en émane la moindre lassitude.
3. Minor Majority - Either Way I Think You Know
Les arrangements sur un To Let Go (Of That Load) devraient suffire à nous en convaincre : Minor Majority a (encore) franchi un cap. Les Norvégiens nous livrent ici un album d’une richesse et d’une douceur exquises, contrastant avec la voix grave de Pål Angelskår (dont on ne se lassera pas de souligner la similitude avec celle de Stuart A. Staples, leader des Tindersticks) qui nous charme dès ses premières envolées. Un album lyrique dont la production et les enchaînements ont été soigneusement travaillés et où chaque morceau, chaque accord même, participe à l’équilibre des cinquantes minutes que dure Either Way I Think You Know ...
2. The National - High Violet
Après Boxer en 2007, on imaginait mal les New-Yorkais maintenir un tel niveau de qualité pour leur prochain album. C’était mal les connaître... Terrible Love, premier titre d’ High Violet, suffit à nous convaincre que l’on est en présence d’un disque majeur. Aucune baisse de régime au cours de l’album, bien au contraire. Ainsi, Afraid Of Everyone est sans doute l’un des morceaux les plus poignants que le groupe ait jamais composé, suivi d’un Bloodbuzz Ohio où la facette plus dynamique de The National est brillamment mise en avant. Les New-Yorkais n’innovent en rien, mais ne se répètent jamais. Et fournissent un opus au moins aussi passionnant que le précédent. Pari gagné, donc...
1. Sufjan Stevens - The Age of ADZ
Successeur d’ Illinois, l’attente que suscitait The Age of Adz était grande. C’est un euphémisme. Et cet album déroutera forcément l’auditeur habitué aux douces ritournelles au banjo du natif du Michigan. Car ici, Sufjan Stevens, victime d’une crise existentielle pendant l’élaboration du disque, réussit un improbable mariage entre ses habituels ingrédients et les beats électro.
Néanmoins, ce disque est clairement le plus difficile d’accès de sa discographie. Il est même tout à fait possible, comme ce fut mon cas, de le détester avant de l’adorer. C’est souvent ce qui fait la marque des grands disques et, plus qu’à Illinois, c’est à Kid A, autre disque majeur des années 2000 que l’on pense en écoutant The Age of Adz. La remise en question de sa pratique (débouchant dans les deux cas sur une utilisation immodérée de l’électronique) et les structures tantôt labyrinthiques, tantôt épurées justifient ce rapprochement. Un album rempli de perles (Vesuvius, Too Much, Get Real, Get Right) dont on reparlera dans dix ans...
EPs
3. Sufjan Stevens - All Delighted People
Sufjan Stevens, non content de réaliser un véritable chef-d’œuvre avec The Age Of Adz, s’offre le luxe de livrer la même année un EP d’une qualité équivalente, mais à l’ambition moindre. Aucun arrangement électronique ici, notre Américain reste dans son registre traditionnel. La preuve, pour ceux qui ne sont pas convaincus par son dernier album, qu’il n’a pas perdu l’inspiration. Ni son banjo d’ailleurs...
2. Trent Reznor & Atticus Ross - The Social Network
Pour David Fincher, réaliser un film sur Facebook avait tout du piège. Et si le réalisateur de Se7en et Fight Club s’en est remarquablement tiré, il en va de même pour Trent Reznor, tête pensante de Nine Inch Nails qui, au côté d’Atticus Ross, a réalisé la B.O. du film. Clairement inspiré ces derniers temps, il met quelque peu de côté ses tendances indus pour nous proposer, armé de son piano, de magnifiques ritournelles comme il semble capable d’en inventer à l’infini...
1. Pretty Lights - Glowing In The Darkest Night
Si RJD2 nous a pondu un album plus dispensable en ce début d’année, le digne héritier de Deadringer pour le cru 2010 n’est finalement pas l’œuvre de Ramble John Krohn, mais de Derek Vincent Smith. La tête pensante de Pretty Lights nous livre ainsi un EP aussi groovant que raffiné, évoquant également certaines compositions de DJ Shadow. Rien que ça.
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