Ural Umbo - s/t
Cet éponyme est peut-être le premier album d’Ural Umbo mais fait preuve d’une maîtrise incroyable. C’est que les membres de ce duo, un pied à Berne et l’autre à Chicago, appartiennent à une nébuleuse musicale expérimentée, attirée par le gris et le noir, et livrent ici un disque où le drone fraye dans les marécages poisseux de nos pensées les plus noires.
1. The Lights Would Stop Flickering
2. Theme Of The Paranormal Feedback
3. Förlåta Jag
4. Voices From The Room Below
5. Don’t Eat Carrots, My Little Ghost Horse
6. Stumbling Upon Blood And Mercury
7. Pendulum Impact Test
8. Among The Bones
9. Mathieu 2004-2009
D’abord, un rapide résumé des forces en présence. Ural Umbo est un groupe à cheval sur deux continents, l’Europe et l’Amérique du nord. D’un côté, Reto Mäder, un Suisse dont le nom ne vous dit peut-être rien mais qui n’est pas à proprement parler un novice, auteur d’une tripotée d’albums en solo sous l’alias de RM74 ou avec Christoph Hess et Roger Ziegler au sein de Sum Of R où sons électroniques se mélangent à ceux plus organiques d’instruments divers (orgue, piano, harpe, gong, guitare, kalimba, etc.), il est également le big-boss du label Hinterzimmer. De l’autre, Steven Hess, percussionniste de Chicago, membre entre autres des groupes Haptic et ON (duo qu’il forme avec le français Sylvain Chauveau), lui-même assez au fait des choses ambient, déjà croisé à maintes reprises aux côtés de Pan.American, il a également collaboré avec Christian Fennesz, Jon Mueller ou encore Helge Sten (aka Deathprod). Et bien que l’on se doute très vite, à la lecture du line-up et du C.V. plutôt chargé des deux protagonistes, de ce que l’on s’apprête à entendre le long de ce premier long format, la musique d’Ural Umbo n’est pas si facile à décrire.
Dès lors que le disque est posé sur la platine, espace et temps mutent insidieusement. Les murs repeints à neuf se parent d’une fine pellicule grise tirant vers l’anthracite, les rayons de soleil salutaires qui traversaient les fenêtres s’estompent et font place à une brume épaisse, les toiles d’araignées envahissent les boiseries et tout sentiment, même bref, d’optimisme s’évapore au profit d’une sourde mélancolie lorgnant vers l’angoisse. Un disque étonnement claustrophobe et paradoxalement assez aéré où subsistent malgré tout quelques brèves éclaircies. Un disque qui nous arrive tout droit des fosses abyssales pour nous en décrire les coins les plus sombres. Ural Umbo, c’est un florilège de sons construits-déconstruits qui s’agrippent sournoisement à l’intérieur du crane, une expérience sonore que l’on ne s’infligera peut-être pas tous les jours mais à laquelle on reviendra régulièrement.
Les neuf pistes exclusivement instrumentales du disque présentent une large palette d’influences et de sons. The Lights Would Stop Flickering en ouverture résume parfaitement ce qui nous attend à l’écoute des huit morceaux suivants. Bâti autour d’un dialogue solennel entre gong et cymbale, un cor esseulé pointe le bout de son nez, bientôt rejoint par le bourdonnement d’une guitare, d’abord timide mais qui petit à petit envahit tout l’espace avant que les discrètes notes tintinnabulantes d’un xylophone offrent quelques repères à l’auditeur au sein du mur de bruit blanc ainsi créé. C’est assez court, c’est très lent et c’est magnifique. Et puis vient la suite. La suite, c’est d’abord quelques pistes au fort pouvoir d’évocation cinématographique, en témoignent le bien nommé Voices From The Room Below, un long tunnel drone ou les cloches font les folles sur des longues strates de larsens vicieux, Don’t Eat Carrots, My Little Ghost Horse et ses quelques notes de guitare qui s’égrènent tranquillement avant de subir moult déformations électroniques, une petite ballade rêveuse au milieu de la lande déserte sur le cadavre grouillant d’un cheval fantôme ou encore le magnifique Among The Bones et ses giclées brûlantes sur fond de percussions étouffées. La suite, c’est aussi un moment fort, ce Stumbling Upon Blood and Mercury (déjà, ce titre) qui fout réellement la pétoche, presque un vrai morceau classique avec batterie et guitares acido-basiques complètement patraques mais entourées d’une nuée de sons divers et opaques d’où ne s’échappe aucune lumière. Un vrai trou noir. La suite, c’est enfin quelques titres plus aérés qui ménagent également de vraies respirations, l’introduction solaire de Pendulum Impact Test par exemple ou les quelques nappes apaisées et le tempo lent de Förlåta Jag. Là, le bourdonnement se fait plus hospitalier, plus contemplatif, plus fenneszien presque. Et quand bien même, si obscurité et expérimentation semblent être les maîtres mots de ce premier disque, il montre également à bien des égards une grande musicalité, en témoignent les multiples astuces et trouvailles mélodiques disséminées ici ou là.
Et au grand jeu des influences, ou plutôt des réminiscences, outre le prodigue autrichien, on citera volontiers Pan.American dont Ural Umbo pourrait être le pendant négatif, Abel et Caïn d’une même contrée déserte et musicale. Un Pan.American un peu morbide, possédé par les fulgurances noires de Khanate ou de KTL car c’est dans ces eaux troubles-là que se meut Ural Umbo. Pour terminer, on notera qu’outre la musique, l’objet lui-même est magnifique, légèrement surdimensionné avec un splendide visuel dû à Rick Garrett (déjà responsable de l’artwork de l’éponyme de Sum Of R paru en 2008 sur le même label, auquel l’objet fait immanquablement penser, mais il est vrai que les deux groupes sont presque jumeaux) et qu’Utech Records vous proposera également un CD complètement taré (une longue pièce sonore gorgée d’infrabasses de Lasse Marhaug), réalisé à l’occasion de l’anniversaire de ses cinq années d’existence pour l’achat de ce disque uniquement disponible, hélas, qu’à 500 exemplaires.
Avec ce premier album, Ural Umbo entre directement dans la cour des grands, de la plus fracassante mais subtile des manières. Une identité forte, même si leur musique n’est pas nouvelle, mais c’est toute la maîtrise gagnée au fil des projets et collaborations, cette science du drone organique, que le duo donne à entendre jusque dans les tréfonds de ce disque impressionnant.
La musique évocatrice d’Ural Umbo exhale à nouveau de très belles atmosphères. Sorti en catimini la même année que le précédent et suivant le même sillage, Fog Tapes est une confirmation.
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