100 artistes, 100 albums : les incontournables (Part. 7)
Été 2008, Indie Rock Mag vous propose un dossier incontournable, inédit et indispensable. Prenez un sujet du Forum Indie Rock intitulé "vos 100 meilleurs disques de tous les temps", ajoutez-y une poignée de formules validées par l’INSEE, mixez le tout avec des choix de la rédaction intercalés en parfaite cohabitation et vous voici face à ce que l’on peut considérer comme 100 artistes, 100 albums incontournables (des temps modernes).
20. Bob Dylan - Blonde On Blonde (US - 1966)
Pour Indie Rock Mag, la galette archi-célébrée de Dylan, troisième volet de la trilogie électrique entamée avec Bringing It All Back Home l’année précédente et poursuivie avec Highway 61 Revisited, restera blanc sur blanc. "White is white, Dylan is Dylan", chantait l’autre... Eh bien finalement personne à la rédaction n’aura eu le courage de s’attaquer pour de bon à ce monument de l’Histoire "officielle" de la musique... vous savez, celle avec un grand H devant. La liste en compte pourtant bien d’autres, des monuments, nous direz-vous avec raison... Mais celui-là, il faut croire, certains d’entre nous l’aiment trop et d’autres pas assez.
On renverra donc les novices et autres curieux d’anecdotes aux pléthores d’exégèses de la narration dylanienne ou, plus digeste, aux multiples listes commentées de "best albums ever", Blonde On Blonde y a généralement sa place réservée. Quant à ceux qui chercheraient au détour d’un mp3 la motivation pour plonger dans la disco foisonnante du songwriter à la voix de canard par le biais de ce premier double de l’histoire du rock finalement pas si gargantuesque que ça, allez donc jeter une oreille sur quelque borne d’écoute virtuelle ou non à Stuck Inside Of Mobile With The Memphis Blues Again : un brin répétitif comme souvent chez Dylan, mais ce morceau au refrain épique met généralement tout le monde d’accord.
RabbitInYourHeadlights
Au rayon des songwriters maudits, Tim Hardin fut sûrement l’un des plus talentueux, mais assurément pas l’un des mieux lotis. Ainsi, après inventé la folk moderne aux côtés de Jackson C. Frank, Tim Buckley ou Fred Neil, pris part à Woodstock et inspiré une quantité non négligeable de songwriters aux-mêmes des plus novateurs et influents (Nick Drake, Scott Walker...) dont certains, tels Leonard Cohen, Nico ou Colin Blunston des Zombies, iront même jusqu’à reprendre ses chansons de son vivant, l’Américain terminera sa trajectoire déglinguée chez lui à LA, totalement inconnu du grand public et abandonné par femme et enfant. Noyé dans le chagrin et la drogue, remède de toujours à son hypersensibilité d’inadapté et cause de bien des malheurs... jusqu’au dernier d’entre eux, sa mort par overdose à tout juste 39 ans, à l’aube des années 80.
Ce fut donc une bien maigre consolation que de voir sa musique réhabilitée quelques 15 ans plus tard par toute une jeune garde d’héritiers aussi talentueux qu’érudits comptant notamment dans ses rangs les Tindersticks, Stina Nordenstam, Ron Sexsmith ou plus tard Okkervil River, autant d’artistes dont l’écriture fut à jamais marquée par la découverte des deux premiers albums éponymes d’Hardin, justement réédités en 1994 avec le numéro 4 également éponyme - le troisième, un live, ayant judicieusement été omis - ainsi qu’une poignée de démos et de morceaux plus rares au sein de la parfaite compilation Hang On To A Dream : The Verve Recordings dont l’ultime preuve de bon goût aura été de laisser les tracklistings des deux premiers en l’état pour les rassembler tout simplement sur un premier CD en or massif.
Soit une quasi anthologie de la courte discographie d’Hardin, idéale pour découvrir ses complaintes pudiques d’amoureux bafoué aux arrangements crève-coeur, la mélancolie de ses comptines folk en clair-obscur et ses incursions plus country ou bluesy qui lui permettent notamment de rendre ouvertement hommage à deux de ses maîtres, Hank Williams et Bo Diddley. Tim Hardin 1 sort clairement du lot, rien que pour les bouleversants It’ll Never Happen Again et How Can We Hang On To A Dream ?, la capiteuse ballade Misty Roses ou encore le classique instantané Reason To Believe, mais son successeur vaut également son pesant de pépites, avec notamment les superbes Speak Like A Child et Black Sheep Boy, ce dernier popularisé en 2005 par l’album homonyme d’Okkervil River qui s’ouvre sur la reprise orchestrale du morceau, le fiévreux You Upset The Grace Of Living When You Lie, la touchante berceuse Baby Close It’s Eyes ou encore If I Were A Carpenter, classique certifié celui-là puisque officialisé par les reprises de quantité d’admirateurs transis, de Johnny Cash et June Carter aux Small Faces en passant par Rod Stewart, Joan Baez et Robert Plant :
Toutefois on s’en serait voulu de passer la main sur le chef-d’oeuvre du bonhomme, dont le nom complet, abrégé par l’usage, est en réalité Suite For Susan Moore And Damion : We Are One, One, All in One. De ses relations tumultueuses avec sa femme l’actrice Susan Yardley (née Susan Morss...) avaient déjà pris corps nombre de chansons, mais jamais encore un album entier, reflet à peine voilé de la déliquescence de leur couple dont l’enjeu s’était incarné en la personne de leur fils Damion. Certes moins facile d’accès avec sa construction d’album-concept, ses plages narratives aux questionnements métaphysiques et intimes, ses ballades tourmentées le plus souvent épurées à l’extrême, parfois seulement éclairées par un piano ou un orgue hammond, ou encore son final sur les dix minutes de psyché-blues erratique de One, One, The Perfect Sum, écho d’une folie naissante lorgnant sur le free jazz, Suite For Susan Moore est surtout bien tristement méconnu au regard de sa narration subjective assez visionnaire (un Melody Nelson avant l’heure ?) et de l’émotion à nu qui émane de ces tranches de déchéance amoureuse partagées entre espoir et désillusion, entre ferveur et tristesse mais dont la portée tragique finit par nous submerger totalement lorsque intervient en fin d’album le temps d’une douloureuse introspection la fameuse Susan Moore pour qui et par qui tout ça est arrivé. On l’en remercierait presque.
RabbitInYourHeadlights
19. Nick Cave & The Bad Seeds - Murder Ballads (Australie - 1996)
Avec cet album, Nick Cave nous plonge dans un univers baroque et d’un autre temps, perdu quelque part dans une ruelle étroite et peu éclairée, dans une chambre d’hôtel miteuse ou un saloon sordide, ou peut-être bien même dans cette maison isolée en pleine forêt que l’on peut entrevoir sur la pochette. Et même si ces endroits peuvent paraître sombres et repoussants, on y retourne irrémédiablement pour y trouver un abri à l’intérieur duquel on peut se perdre en compagnie de bouteilles d’alcool et de femmes aguicheuses, loin de tous les regards extérieurs. Mais attention, il y a toujours cette odeur de sang et de mort qui n’est jamais très éloignée car ces ballades ne sont pas si innocentes que ça. Il y est souvent question de meurtre comme sur Song Of Joy en ouverture qui relate l’histoire d’un homme qui découvre sa femme et ses fillettes assassinées.
Ainsi, au travers de ces dix chansons basées sur des mélodies envoûtantes et trébuchantes au piano, et traversées par des riffs de guitares acérées et tranchantes, on peut croiser et découvrir des personnages curieux et étranges, on peut entendre des cris, des pleurs, des bruits inquiétants. Mais surtout on y trouve des femmes des plus charmantes et troublantes comme PJ Harvey (Henry Lee) et Kylie Minogue (Where The Wild Roses Grow, en clip ci-dessous) moins attendue dans ce rôle, toutes les deux accompagnant Nick Cave sur deux magnifiques chansons d’amours passionnelles et mortelles qui lui permettent d’obtenir un succès étonnant (principalement la deuxième) après plus de dix années de carrière. Mais l’Australien est également impressionnant sur le déglingué Stagger Lee ou le quart d’heure ahurissant de O’Malley’s Bar sur lesquels il peut étaler toute sa classe. Ces ballades meurtrières se terminent pour ainsi dire sur une lueur d’espoir avec une reprise de Bob Dylan sur laquelle se retrouvent les deux précédentes demoiselles et Shane McGowan des Pogues. Il s’agit de l’apaisante et lumineuse Death Is Not The End en guise de soulagement, somme toute pas si joyeuse que ça non plus.
Darko
Les Tindersticks, c’est avant tout cette voix, celle de Stuart A. Staples au timbre suave et profond, une voix chargée émotionnellement, à la fois rassurante et tremblotante. Il est difficile de résister à ce charme délicat et presque irréel. Les chansons des Tindersticks sont simples et tellement belles qu’elles donnent envie de pleurer et de faire l’amour. Ce n’est pas rien, les mots semblent vouloir accompagner les simples battements de cœur, les mélodies lascives semblent remplir le moindre espace de la pièce et des alentours. Car il ne faut pas oublier la bande de Nottingham qui se cache derrière son leader, elle est capable de merveilles élégantes et surannées d’une agréable et langoureuse mélancolie. La musique baroque et racée des Tindersticks touche immédiatement avec ces cordes et ces cuivres tandis que les guitares se cachent subtilement et se font plus discrètes que sur le précédent album.
D’ailleurs pourquoi choisir ce Tindersticks II par rapport au premier tout aussi superbe ou bien même un autre parmi le reste de leur remarquable discographie ? Parce qu’il fallait bien en choisir un et que celui-là est peut-être le plus abouti et atteint des sommets d’émotion et de romantisme sombre d’un classicisme immédiat et intemporel que l’on avait peu vu depuis ses illustres aînés Lee Hazlewood, Scott Walker ou même encore Tim Hardin. En pleine période brit-pop, ce groupe se trouve être en quelque sorte une anomalie musicale avec ces influences que l’on croyait perdues et oubliées. Cette formation est un peu le pendant de Lambchop qui s’évertue de l’autre côté de l’Atlantique à écrire et composer des chansons d’un autre temps avec ce même sens de la minutie et du raffinement mélodique. Et puis s’il fallait encore justifier ce choix, cet album contient une des plus magnifiques chansons du groupe à savoir A Night In tout comme ces deux autres ballades à l’atmosphère enfumée et fiévreuse que sont Tiny Tears et No More Affairs. Et enfin on pourrait parler aussi de Travelling Light qui voit Stuart A. Stapples rendre la pareille à sa complice d’un jour Carla Torgerson des Walkabouts, un duo d’un magnétisme intense. De toute façon, à chaque fois que le monsieur croise une belle femme, il se passe toujours quelque chose de magique, que ce soit Lhasa de Sela sur Sometimes It Hurts de Waiting For The Moon, ou bien sa femme qui sur All The Love du dernier album The Hungry Saw reçoit la plus belle déclaration d’amour qui soit.
Darko
18. Massive Attack - Mezzanine (UK - 1998)
Rénovateur majeur de la soul, de l’électro et du hip-hop dès le début des années 90 avec une fusion inédite de beats downtempo, de dub cinématique et de spleen urbain qu’on allait bientôt dénommer trip-hop faute de pouvoir la ranger quelque part, le trio de Bristol prenait déjà ses suiveurs de vitesse avec cet abyssal album au lucane bercé d’effluves hallucinogènes, qui parvient à englober les pics d’intensité évanescents et l’ampleur de cathédrale sonore du Talk Talk période Spirit Of Eden et Laughing Stock, les murs de guitares du shoegazing et l’impressionnisme synthétique et spacieux de The Blue Nile ou des Cocteau Twins.
Liz Fraser officie d’ailleurs au chant sur trois morceaux avec la grâce qu’on lui connaît, notamment l’hypnotique Group Four, véritable tsunami sonique surtout en concert, et le single Teardrop (cf. le clip ci-dessous), épure de purgatoire d’où son chant parvient à s’extirper pour rejoindre un eden à coller le frisson, tandis que l’habitué Horace Andy fait à nouveau merveille en rasta virginal sur Angel et Man Next Door.
Un diamant noir qu’on pourrait aujourd’hui qualifier d’arbre cachant la forêt des visionnaires bristoliens de l’époque (de l’élégant duo Alpha, double héritier mélancolique et équilibriste de Michel Legrand et Brian Eno découvert par Massive Attack justement, au génial Matt Elliott inventeur d’une drum’n’bass atmosphérique, dépressive et torturée avec You Guys Kill Me, sommet déliquescent de son projet solo The Third Eye Foundation, en passant par Dave Pearce aka Flying Saucer Attack, assassin du shoegaze à la discographie aussi prodigieuse que méconnue) si cet arbre n’était lui-même la plus inextricable des jungles, avec ses recoins sombres (Risingson, sommet de tension anxiogène interprété par les futurs deux tiers restants du groupe 3D et Daddy G), ses sous-bois inquiétants (Mezzanine) et même ses clairières salvatrices (l’instrumental Exchange, construit sur un sample de l’une des plus belles chansons d’Isaac Hayes, Our Day Will Come), toujours pas complètement explorés dix ans après. Le tubesque Inertia Creeps préfigurant même, avec des guitares en lieu et place du futur labyrinthe de programmations électro, les dédales mentaux schizophrènes du vertigineux 100th Window, signé cinq ans plus tard par le seul 3D (épaulé par son ami et producteur Neil Davidge déjà aux manettes sur Mezzanine, et par Sinéad O’Connor et comme toujours Horace Andy au chant) : un chef-d’oeuvre sans doute trop en avance sur son temps qu’on espère voir un jour reconsidéré à sa juste valeur, qui sait peut-être à la lumière du nouvel album du groupe prévu pour février ?
RabbitInYourHeadlights
Entre le franc-tireur Otis Redding, héritier transcendant de Sam Cooke, et l’aventurier romantique qui nous occupe ici, le label Stax aura sans doute accouché dans les années 60 des deux musiciens soul à avoir eu la plus grande influence en dehors de ce genre musical : tandis que le premier, lui-même habitué des reprises rock (comme le Satisfaction des Rolling Stones pour citer l’une des plus connues), inspirera des artistes d’horizons aussi divers que les Doors, les Tindersticks ou Kanye West, le second (co-producteur justement de plusieurs albums d’Otis Redding avant ses propres débuts discographiques) contribuera avec Bobby Womack ou Curtis Mayfield notamment aux plus heures de la blaxploitation et signera entre 1969 et le milieu de la décennie suivante une demi-douzaine de chef-d’oeuvres dont les crescendos épiques et les arrangements lyriques marqueront durablement la musique moderne, du Gainsbourg de Melody Nelson au trip-hop (Massive Attack, Portishead et Tricky ont tous trois samplé Isaac Hayes) en passant par le hip-hop de Public Enemy (Chuck D, admirateur inconditionnel, lui rendra hommage à plusieurs reprises), des Stereo MC’s ou encore du Wu-Tang Clan, qui l’invitera même à poser de nouveau sa voix sur le sample de l’un de ses propres morceaux pour l’album The W.
Il fallait tout de même être visionnaire pour influencer autant d’artistes eux-mêmes précurseurs, et il n’y a qu’à écouter la reprise anthologique du Walk On By de Burt Bacharach (popularisé par Dionne Warwick et Aretha Franklin quelques années auparavant) qui ouvre cet immense Hot Buttered Soul - quatre chansons à peine de plus de 10 minutes de moyenne - pour se retrouver convaincu qu’Isaac Hayes ne jouait pas dans la même catégorie, qu’il avait, comme Al Green dans un tout autre style, quelque chose de plus qui rend sa musique bien plus actuelle aujourd’hui que le What’s Going On de Marvin Gaye, aussi poignant puisse-t-il demeurer, ou même les hybridations du génial Norman Whitfield dans ses productions pour les Temptations : un sens de la progression narrative unique, un talent sans pareil pour trousser des arrangements lyriques, amples et vibrants comme rarement entendus ailleurs que chez Ennio Morricone, une voix de baryton profonde et veloutée à faire passer Barry White pour un eunuque, un brin de démesure aussi mais rien à faire, le souffle puissant et la sensibilité désarmante de cette musique-là emportent corps, âme et sens critique.
Acteur à ses heures depuis le milieu des 70’s, le père du célèbre thème de Shaft, récompensé à l’époque par un oscar de la meilleure chanson, s’était refait une notoriété ces dernières années en prêtant sa voix au Chef de South Park et en interprétant ses fameuses chansons à connotation sexuelle, jusqu’à ce qu’un différend ne l’oppose aux deux auteurs de la série Trey Parker et Matt Stone à propos de leur prétendu acharnement sur l’Eglise de Scientologie dont Isaac Hayes était devenu membre une douzaine d’années auparavant.
Affaibli par une attaque cardiaque début 2006, ce géant de la soul s’est éteint le 10 août dernier chez lui à Memphis, berceau du label Stax, alors même qu’il venait de mettre en chantier un nouvel album, son premier depuis 1995. Il avait 65 ans.
RabbitInYourHeadlights
17. Air - 10,000 Hz Legend (France - 2001)
C’est aujourd’hui une belle revanche pour ce 10,000 Hz Legend de se retrouver en dix-septième position de notre top. Car cet album à la beauté étrange dont on découvre jour après jour les recoins encore inexplorés avec une fascination croissante, fut dans un premier temps rejeté par une critique et un public déroutés par tant d’avant-gardisme et de génie déviant. En effet, pour ce disque qui avait la lourde responsabilité de succéder au spatial Moon Safari et au psychédélisme naissant et évanescent de The Virgin Suicides, le duo versaillais aurait pu choisir le chemin placide et tranquille qui se dessinait devant lui. Il n’en fut rien. La route que choisirent Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin en réponse insolente au succès qui s’offrait à eux, fut épineuse, semée d’embuches et sinueuse. A mi-chemin entre lyrisme fiévreux et ambiances lourdes et plombantes, le titre inaugural, Electronic Performers, sûrement le meilleur jamais composé par le duo, contient et condense l’ensemble de ce disque sibyllin. Quelques notes de piano qui font écho au The Eternal de Joy Division répondent à un beat schizophrène échappé d’un album d’Autechre. Aujourd’hui l’ensemble sonne comme un himalaya hybride, formidable synthèse entre pop orchestrale et électro expérimentale. Grandiose.
Ailleurs, Air est hilarant en parodiant la médiocrité de la radio moderne (Radio #1) ou en jouant les dandys vulgaires échappées d’un western futuriste (l’irrésistible comptine Wonder Milky Bitch et ses gimmicks de guimbarde à la Morricone), juste génial avec le pink-floydien How Does It Make You Feel ? ou l’indépassable Sex Born Poison, envolée spatiale et vénéneuse interprétée par le trio électro-pop japonais Buffalo Daughter, et se paye même deux featurings classieux avec Beck Hansen himself sur le formidable The Vagabond d’abord, quelque part entre folk élégant et funk post- Midnite Vultures, puis avec Don’t Be Light, échappée psychédélique et lyrique à coller le frisson. En condensant les rêves éveillés et les ballades éthérées des deux premiers albums et l’insolence de l’exquis Talkie Walkie, Air rejoint avec cet album unique la réputation des plus grands, réputation à peine entachée par la semi-déception du comateux Pocket Symphony paru l’an dernier (lire notre chronique).
Casablancas
Génie visionnaire au rayonnement international pour les uns, plagieur talentueux à l’inspiration inégale pour les autres, Gainsbourg fut sans doute un peu des deux selon les périodes et les pics de forme de sa foisonnante carrière. Les médias français, malheureusement, en ont surtout retenu outre Gainsbarre et ses transgressions facétieuses, le Gainsbourg auteur, signataire de quelques-uns des tubes de variété les plus déviants et sexuellement implicites que le pays ait connus. Quant à ses détracteurs, ils se concentreront surtout sur sa période 80’s horriblement datée, ses nombreuses fautes de goût ou ses emprunts à la musique classique, au reggae ou au jazz souvent à la limite du pillage mais qui auront toujours eu le double mérite de plier ces courants à la variété ou à la pop et de les démocratiser un peu auprès du grand public.
Toutefois, si l’héritage de celui qui aura réussi par sa personnalité et sa poésie crue à décomplexer des générations de musiciens français et paroliers francophones bien éloignés de notre soupe FM nationale (de Bashung à Biolay en passant pour Miossec ou Daniel Darc) est parvenu à transcender les genres et les époques, c’est avant tout grâce à un chef-d’oeuvre qui lui n’a pas pris une ride : Histoire de Melody Nelson, concept album épique et littéraire en forme de récit douloureux de la rencontre sans issue entre un dandy d’âge mur et une jeune fille de quatorze ans incarnée par son égérie de l’époque Jane Birkin, qui se terminera sur une métaphore tragique et un Cargo Culte qui porte son nom comme un gant. Il faut dire aussi que l’homme à la tête de choux n’est pas seul sur le coup, et que son complice Jean-Claude Vannier fait merveille à la production et aux arrangements d’une modernité bluffante qui inspirera bien des années plus tard les Stereo MC’s, David Holmes (tous deux ayant réussi à l’exploit de sampler Cargo Culte sans démériter), Air (qui offrira à Charlotte Gainsbourg un écrin pop à la hauteur des plus belles réussites de son père avec 5:55 en 2006), Bang Gang, Jarvis Cocker ou le superbe Sea Change de Beck (écoutez donc l’album de Gainbourg puis Paper Tiger), tandis que les basses de l’anthologique Melody d’ouverture deviendront une influence majeure pour le trip-hop, samplées notamment par Leila sur Like Weather et avant ça par Portishead pour un remix du Karmacoma de Massive Attack devenu culte.
Gainsbourg, quant à lui, réitérerait à plusieurs reprises l’expérience de l’album-concept et notamment 5 ans plus tard avec L’homme à tête de chou, récit avant-gardiste sombre et désabusé plus épuré musicalement mais au moins égal sur les plans du songwriting et de la narration.
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16. David Bowie - The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars (UK - 1972)
The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars est un album concept sorti en 1972 marquant l’avènement du Glam, à l’intérieur duquel David Bowie incarne Ziggy Stardust, personnage androgyne au look excentrique. Il sera accompagné autant en studio que sur scène par les Spiders from Mars, soit Mick Ronson (guitare / piano / chant), Trevor Bolder (basse), et Mick Woodmansey (batterie). Le nom de Stardust se réfère à Norman Carl Odam connu sous le nom de The Legendary Stardust Cowboy, inventeur du style psychobilly (mélange de punk, rock et rockabilly) dans les années 60.
L’album débute avec Five Years, où un homme annonce qu’il ne reste que cinq ans avant la destruction de la Terre. Dans l’avant-dernier couplet, Bowie met en scène l’auditeur lui-même : "I think I saw you in an ice-cream parlour, drinking milk shakes cold and long, smiling and waving and looking so fine, don’t think you knew you were in this song…" comme pour l’inclure et le faire réagir immédiatement à l’histoire qui va suivre.
Moonage Daydream introduit dès la 3ème chanson le personnage de Ziggy Stardust, venant sur Terre pour nous sauver (de l’apocalypse évoquée dans Five Years) et prôner l’amour. Ziggy Stardust se définit aussi comme étant une rock star venue spécialement pour nous, le personnage est posé. En terme de production la voix parait lointaine (comme provenant de Mars), tout comme sur Soul Love, dont tout laisse à croire qu’il s’agit déjà de paroles prononcées par Ziggy Stardust, qui nous déclare à travers cette deuxième chanson son amour de l’amour.
Starman sera le 1er single issu de The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. Plus ancrée dans la tradition pop-rock que Soul Love et Moonage Daydream, la chanson raconte l’histoire d’un jeune qui aurait entendu à la radio un message annonçant qu’un ’homme des étoiles’ souhaite venir sur Terre pour les sauver. Contrairement aux idées reçues, Ziggy Stardust ne serait pas ce Starman, mais seulement son messager.
Ain’t Easy est la seule chanson de l’album à ne pas avoir été écrite par David Bowie, il s’agit d’une reprise d’un blues de 1970, qui ne sera plus interprétée sur scène après la sortie de l’album.
Les quatre chansons suivantes s’intéressent quant à elles à la vie et à la carrière de Ziggy Stardust, en insistant d’abord sur le côté androgyne de Ziggy sur le doux air du piano de Lady Stardust. Suivi des rythmes entraînants de Star qui s’atténuent à la fin comme pour mettre en parallèle les deux facettes de la vie d’un artiste. Les rythmes se poursuivent sur Hang On To Yourself ou comment Ziggy Stardust voit les groupies à travers des paroles assez explicites. Et enfin Ziggy Stardust, qui pourrait définir à elle seule le style glam, d’abord dans la composition de la chanson (retour au rock pur marquant la rupture avec le psychédélisme, appuyé ici par la voix particulière de Bowie), mais aussi à travers la présentation de Ziggy Stardust tant dans son approche de la musique, que dans son apparence excessive et provocante.
Suffragette City, avant-dernier morceau de l’album, sortira aussi en single. On retrouve ici encore toutes les caractéristiques glam, le rythme étant soutenu par les instruments habituels (guitares, basse, batterie) mais aussi par un saxophone et un piano.
L’album se termine avec Rock’n’Roll Suicide, sublime chanson qui précèdera le suicide de Ziggy Stardust par David Bowie lors d’un concert à Hammerfield en juin 1973. Le début des paroles "Time takes a cigarette" s’inspire du poème de Manuel Machado ’Chants Andalous’ ("La vida es un cigarillo"), Bowie citera aussi Charles Baudelaire comme source d’inspiration, tout comme Jacques Brel, auquel il fait un clin d’oeil à travers "Oh love, you’re no alone" rappelant les paroles de Jef ("Non Jef, t’es pas tout seul").
The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars sera l’un des tournants dans la carrière de David Bowie, et fait incontestablement partie des albums ayant marqué le début des années 70. S’incluant dans le mouvement glam rock également représenté par T. Rex, Roxy Music et bien d’autres, la notoriété qui accompagne cet album permettra à David Bowie de produire le deuxième album solo de Lou Reed, Transformer, dont il était fan depuis le Velvet Underground.
Pix
Premier album du canadien Hawksley Workman, For Him And The Girls sort en 1999. Ce premier essai présenté au public (son label sortira en 2004 une série d’enregistrements datant de 1998 sous le titre : Before We Were Security Guards ) est considéré par beaucoup comme étant son plus réussi. La variété et la qualité des compositions prédisent un avenir radieux à ce touche-à-touche qui a écrit, composé, interprété et produit l’intégralité de cet album.
Mélange de rythmes binaires coupés par une partie plus douce toutes deux soutenues par la puissante voix du canadien, Maniacs ouvre l’album. Il est suivi par No Sissies, morceau pop au refrain entraînant qui parle d’amour, comme l’essentiel de l’album, dont le nom ne trahit pas, il s’adresse à Lui (Dieu) et les filles.
Sad House Daddy nous plonge directement dans l’univers cabaret du dandy, il fallait le voir sur scène à l’époque avec son solo de bâtons, encore plus impressionnant qu’un danseur de claquettes. Là encore Hawksley Workman donne de la voix, varie le tempo, s’amuse dans un duel batterie / piano dont seul l’auditeur sort vainqueur à la fin de la chanson.
Tarantulove se montre quant à elle sinon sexuelle, très sensuelle, tant dans l’interprétation évocatrice du chanteur que dans les rythmes donnés par la guitare et le trombone.
Contraste garanti avec la chanson suivante, Sweet Hallelujah, ballade au piano / banjo appuyée par des chœurs, sans grand intérêt pour ma part, et bien vite oubliée grâce à Bullets où la pop reprend le dessus. La chanson évoque la stupidité de la guerre et la retenue dont doivent faire preuve les soldats quant à leur peur : "But don’t fear, It’s just the bullets, Boucing off my helmet". Air enjoué sur une réalité qui l’est beaucoup moins, et dont la gravité ressort lors des deux premiers vers de la chanson.
Suit Don’t Be Crushed, où Hawksley Workman dévoile sans pudeur sa sensibilité à travers un piano, une batterie et sa voix, et quelle voix ! Stop Joking Around efface aussi les faux semblants, et le canadien annonce tout de suite la couleur : "Stop joking around for one minute, I’d rather cry right now"... encore une chanson sur une fille évidemment, mais enrobée cette fois-ci par les accords joyeux d’un piano, d’une batterie et d’un banjo.
Retour à des mélodies moins traditionnelles avec All Of Us Kids, dont le thème n’est pas sans rappeler celui de End Of A Century de Blur, le côté pop en moins. Ici outre la voix limite monocorde du chanteur, c’est le son de la guitare qui attire l’oreille, nous révélant son talent sur une six cordes, et sa capacité à faire ressortir des sonorités directement venues des années 70.
Safe And Sound pourrait rappeler une soirée autour d’un feu de camp, calme et tranquille, à l’inverse de Paper Shoes, où l’extravagance du songwriter reprend le dessus. On renoue ici avec le caractère glam du personnage tant dans l’attitude et les paroles que dans la musique, et on se surprend à penser à David Bowie, notamment sur les paroles "I still like to feel the wind on all my soft places" où résonne la voix de Ziggy Stardust. Mais l’identité de Workman se fait vite ressentir, et il laisse libre court à son excentricité autant musicale que vocale.
Baby This Night calme le jeu à travers une mélodie et des paroles beaucoup plus pures. Une ballade encore, mais dont la particularité est d’être rythmée de main de maître par la batterie sur la seconde partie. Chanson d’amour sous forme de prière, pour ne pas dire supplication, elle précède No More Named Johnny, à l’atmosphère si particulière. D’abord une voix brute et claire en même temps, une simple guitare, et puis s’ajoute une clarinette accompagnée de la batterie et c’est l’envol.
La dernière chanson de l’album, Beautiful And Natural, sera appréhendée pour ma part comme issue de la curiosité et des expérimentions du canadien tellement elle est spéciale et se détache du reste de l’album.
Ce premier album marque les débuts d’Hawksley Workman, encore peu connu en France avant son quatrième album Lover/Fighter bien plus commercial. Entre temps il aura laissé deux autres pépites, (Last Night We Were) The Delicious Wolves et Almost A Full Moon toutes deux sorties en 2001, et produit (entre autres) le premier album de Tegan And Sara.
Pix
Un dossier en 10 épisodes : part. 1 - part. 2 - part. 3 - part. 4 - part. 5 - part. 6 - part. 7 - part. 8 - part. 9 - part. 10
Air sur IRM - Site Officiel - Myspace
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Hawksley Workman sur IRM - Site Officiel - Myspace
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Tim Hardin sur IRM
Massive Attack - Teardrop
- Sulfure Session #1 : Aidan Baker (Canada) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Sulfure Session #2 : The Eye of Time (France) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Aidan Baker + The Eye of Time (concert IRM / Dcalc - intro du Sulfure Festival) - Le Vent Se Lève (Paris)
- Sacco & Vanzetti - BEHEMOTH
- Ari Balouzian - Ren Faire OST
- Robin Guthrie - Astoria EP
- Maxence Cyrin - Passenger
- Le Crapaud et La Morue - La Roupette
- Nappy Nina & Swarvy - Out the Park
- Greg Cypher - Hello, I Must Be Going
- Hugo Monster feat. Paavo (prod. LMT. Break) - Checks In The Mail
- Bruno Duplant - du silence des anges
- Roland Dahinden performed by Gareth Davis - Theatre Of The Mind
- Sacco & Vanzetti - BEHEMOTH
- Ari Balouzian - Ren Faire OST
- Roland Dahinden performed by Gareth Davis - Theatre Of The Mind
- Garciaphone - Ghost Fire
- Tarwater - Nuts of Ay