Il y a parfois des collaborations qui nous amènent précisément là où on l’attendait, sans pour autant décevoir. Même s’il n’atteint les sommets ni du combo londonien de Jake Ferguson et Malcom Catto désormais signé sur le label de Madlib (on citera notamment tout en haut le séminal et indépassable Out There ou l’enivrant 13 Degrees of Reality), ni du beatmaker californien ancien pilier de l’écurie Brainfeeder de Flying Lotus, LEGNA en fait assurément partie.

Les liens entre les deux projets remontent au début des années 2000, et se poursuivent de mixtapes en tournées communes (en passant par un EP en 2013), jusqu’à ce disque qui aura nécessité plusieurs années pour voir le jour. D’emblée, sur She’s Coming, on retrouve les cordes capiteuses et la fluidité du groove des Britanniques, puis le sombre Punks tire vers le baroque et le psychédélisme aux beats plus rêches et syncopés chers à l’auteur du fabuleux Heart Math de 2020. Ici, c’est la lofi mystique et crépusculaire du second qui domine (Star Strangled Banner), habillée par les premiers de leur luxuriance de petite troupe d’instrumentistes (Divine Retribution) ; là, place à l’abstract cinématographique des Heliocentrics dont les arrangements respirent l’influence de David Axelrod (Machine Dub, Legna) et que The Gaslamp Killer pervertit de son sens du break inquiétant (Rumble In The Jungle) ; ailleurs enfin, sur le narcotique 5 Boroughs ou l’électrique Manic Panic, ce sont le clavier moog et les effets de Raven Bush ou les guitares de ses compères qui s’incrustent chez l’Angelino, avant que tout ce beau monde ne se retrouve enfin au diapason sur un Tensione à la croisée de Lalo Schifrin et de Morricone, wah-wahs et violons insidieux à l’appui, ou sur le mélancolique Brain Cell Holocaust entre beat haché, rétrofuturisme et orchestrations poignantes.

On est quelque part en terrain(s) connu(s), du moins jusqu’à ce que Witches Whisper, merveilleux morceau pas loin de flirter avec le Tortoise de Standards ou de TNT, en vienne enfin à dépasser la somme des parties. C’est probablement là le seul reproche que pourront faire à cet album magnétique et somme toute parfaitement réussi les amateurs de beatmaking post-jazz immersif et racé : capitaliser sur le savoir-faire et l’inspiration de ses intervenants, plutôt que de chercher une troisième voie à explorer. N’en demandons pas trop toutefois, LEGNA n’en est pas moins l’un des grands albums de cette fin de printemps.