Conger ! Conger ! - IV
Pas de nouvelles depuis 2017 et d’un coup, presque sans prévenir, voilà IV, nouvel album de Conger ! Conger ! et, sans suspense, nouvel incontournable.
1. BACKGATE
2. FORTRESS
3. ANOTHER DAY
4. THE RIVER
5. UPSIDE WORLD
6. HANDZMANN
7. GHOST
8. WAIT AND SIT
9. 2+2=4
10. I AM A CLOWN
Conger ! Conger ! nous avait laissé.e.s perdu.e.s quelque part dans les méandres de This Is A White Album, double album magnifique et long en bouche de dix-huit morceaux fureteurs faisant le grand écart entre tout un tas de styles et tout un tas d’époques mais miraculeusement cohérents. Cette pâte métamorphe, à la fois sombre et solaire, rageuse et apaisée, patiemment équilibrée et malaxée depuis 2009 constitue précisément leur patte. On peut prendre n’importe quelle occurrence par n’importe quel bout, enchaîner At The Corner Of The World et ZAAD ou détailler les EP, c’est toujours différent mais encore plus toujours pareil. C’est sec, économe mais ça provoque beaucoup, en permanence, tout le temps. Et aujourd’hui, IV ne rompt pas le paradigme.
Pourtant, le trio s’est enrichi d’un membre supplémentaire (derrière la batterie, la deuxième du coup) pour l’occasion (mais est depuis redevenu trio) - d’où sans doute son titre (ce n’est pas seulement le quatrième album) - et de prime abord, ça s’entend. Alors il ne s’agit nullement d’un changement drastique, le groupe n’a pas abandonné sa sécheresse au profit de chromes rutilants mais incontestablement, le son s’est épaissi. Et je ne parle pas d’embonpoint, je parle plutôt de densité et de profondeur, de strates supplémentaires qui se rajoutent mais vers le bas, tout au fond de l’enfoui. Ça s’entend donc mais au fond ça ne change pas grand chose. Une impression imputable sans doute à Backgate qui ouvre le disque et que mon cerveau ramène sans que je ne lui demande quoi que ce soit à l’éponyme de Killing Joke de 2003. Une vibration qui évidemment s’évapore assez rapidement.
D’autant plus que Fortress, juste après, explore une autre voie, plus ténue, plus mélodique mais pas moins émotionnelle. Bref, on retrouve finalement tout ce qui fait l’ordinaire de Conger ! Conger ! : les changements constants d’azimut, l’absence totale de fioritures mais la capacité à faire naître au creux du ventre une nuée de papillons bariolés qui provoquent beaucoup. On passe d’une mer d’huile à de grosses déferlantes, le ciel reste imperturbablement grisé, menaçant mais percé de quelques rais de lumière et on se retrouve, comme à chaque fois, complètement acquis à cette musique qui, en multipliant les langages, ne semble parler qu’à soi.
Un drôle de truc superbement construit, pensé jusqu’au bout de sa tracklist et qui enchaîne les merveilles : de l’urgence et du nerveux, en veux-tu en voilà (The River, Ghost, Wait & Sit et beaucoup d’autres), des mélodies ombrageuses en pagaille (Fortress, le très long et très beau Upside World, Handzmann et beaucoup d’autres), du blues déviant (mais très réussi le temps de l’ultime I Am A Clown), du qui touche en plein cœur permanent, du qui montre les crocs, du qui retient son souffle et ainsi de suite jusqu’au bout et jusqu’au prochain.
Conger ! Conger ! maîtrise ses gestes et ses envies, semble même les avoir complètement automatisés et comme tout est réflexe, ça laisse beaucoup de ressources mentales disponibles pour aller là où bon lui semble sans jamais rien s’interdire. Le tout en sonnant complètement frais. Parce qu’au final, ce qu’exsude IV à grandes eaux, c’est la fluidité. La musique coule et contourne les obstacles ou les submerge. On passe du noise-rock au post-hardcore, du post-punk à l’indie-rock et ainsi de suite sans à-coup, d’une pichenette et toujours l’air de rien.
Le groupe écrit ses morceaux en lettres capitales, on comprend bien pourquoi. Parfaitement capté, mixé et masterisé par Nicolas Dick, IV s’en va rejoindre tranquillement ses aînés tout en allant un tout petit peu plus loin. Cette fois-ci, il resserre le temps (par rapport au précédent), explore quelques voies/voix nouvelles et empaquette le tout sous une belle pochette qui semble figurer la mue d’un serpent dont il ne reste que la peau morte mais superbe.
Quoi de mieux pour résumer ce groupe et ce disque ?
Sur This Is A White Album, on a vraiment l’impression que Conger ! Conger ! a laissé aller sa musique là où elle le menait. Toujours sans calcul et cette fois-ci sans concept, le groupe y consigne soigneusement toutes ses facettes. Passionnant.
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