Mes années 2010, part 7/7 : le top 20 (par Rabbit)
Pas question ici de prétendre au meilleur de quoi que ce soit, ou à cette illusoire universalité qui sert d’excuse au conformisme ambiant : nombre de ces albums ne vous parleront pas mais certains pourraient contribuer à changer votre vie, et si c’est le cas pour ne serait-ce que l’un d’entre eux, l’exercice n’aura pas été vain. Avec un peu de recul, voici donc au gré d’une série de 7 articles mes 250 LPs préférés des années 2010, avec pour seule contrainte un album par artiste ou projet.
A une année près, toute la décennie est représentée dans cet ultime volet qui ne surprendra guère les lecteurs assidus de nos bilans annuels : tout était déjà là dans nos pages, autant de passions immédiates qui se sont inscrites dans la durée, preuve supplémentaire de la grandeur et du génie de ces albums qui pour la plupart n’ont malheureusement pas atterri dans suffisamment de tympans curieux faute de défricheurs passionnés pour les recommander... on compte sur vous pour y remédier un peu !
Précédemment : < Part 1/7 > < Part 2/7 > < Part 3/7 > < Part 4/7 > < Part 5/7 > < Part 6/7 >
Mes albums préférés des 10s - #20 à #1
20. 2kilos &More - Lieux-Dits (2015)
"De mémoire récente, ou de mémoire tout court d’ailleurs, à l’exception des géants Picore et de leur tout aussi démesuré et terrassant Assyrian Vertigo, on en aura peu vu des groupes français capables d’une telle ambition dénuée de toute concession sans pourtant rimer avec l’expé le plus abscons. Et c’est qu’en plus les Parisiens Séverine Krouch et Hugues Villette ont des antécédents, souvenez-vous d’entre3villes qui trempait déjà l’électronica d’emblée bien hypnotique et corrosive de son prédécesseur 8floors Lower dans une solution sulfurique de post-rock, d’électro-indus et d’ambient irradiée, avec les premières apparitions spontanées au micro de Black Sifichi et Phil Von (de Von Magnet). Le cul entre 3 chaises en somme et pareil en mieux sur le génial kurz vor5 trois ans plus tard, des frictions organico-synthético-abstraites qu’habitaient les impros vocales hallucinées des mêmes intervenants entre deux instrus abrasifs et pulsés aux contrastes incandescents. Tout aussi puissant voire meilleur encore, Lieux-Dits offre un boulevard au spoken word rauque et nihiliste du New-Yorkais premier nommé avec trois diamants noirs, bruts et néanmoins affûtés à l’extrême, sur les neuf que compte ce quatrième opus aux progressions ardentes, tantôt planantes, urgentes ou barbelées voire un peu des trois à la fois... ce qu’aurait pu donner s’il fallait se risquer à l’exercice prisé de la comparaison - d’autant plus réducteur ici que l’objet s’avère défricheur - le Death In Vegas circa 1999 revu et corrigé par les compères franco-belges Tzolk’in du même label Ant-Zen avec un Plaster à la production et Black Sifichi dans la peau d’iguane d’Iggy Pop ?"
19. Kreng - Grimoire (2011)
"Grimoire, c’est une thrénodie victorienne remixée par KTL. C’est Erik Satie ensorcelé par Edgar Allan Poe. C’est Zs sonorisant un film de la Hammer. C’est Dracula qui s’invite dans Le festin nu de Burroughs/Cronenberg. C’est le De Natura Sonoris de Penderecki adapté à l’époque du drone doom. C’est Brian Eno hanté par des fantômes d’un autre temps.
Grimoire donc, deuxième opus du Belge Pepijn Caudron, c’est le successeur de L’Autopsie Phénoménale de Dieu, et Dieu n’est pas vraiment ravi d’avoir été percé à jour... deux fois. C’est parfois martial, souvent insidieux mais toujours flippant. C’est un livre qui pourrait vous rendre plus sage mais aussi vous tuer. Ça n’est pas vraiment du cinéma, ni vraiment un cauchemar, mais c’est assurément un album dont vous ne sortirez pas indemne."
18. Vertonen & At Jennie Richie - Leaving Ocean For Land (2012)
"Vertonen, c’est Blake Edwards, homonyme du célèbre réalisateur américain de The Party mais en beaucoup, beaucoup moins drôle puisqu’en plus de 20 ans de carrière le Chicagoan aux allures d’informaticien schizophrène s’est surtout évertué à maltraiter le bruit blanc et autres sonorités plus ou moins abrasives tirées de ses machines.
At Jennie Richie, c’est un mystérieux collectif à géométrie variable basé à Seattle et emmené depuis le milieu de la décennie passée par Happiness et Forever, bidouilleurs dadaïstes rompus à l’héritage de la musique concrète qui triturent ou échantillonnent tout ce qui peut bien passer à leur portée pour façonner leurs textures et leurs atmosphères.
Une telle rencontre ne pouvait être le fruit du hasard et Leaving Ocean For Land, pièce unique de 46 minutes, témoigne d’emblée d’un dessein autrement plus ambitieux que celui d’ajouter son grain de silice au grand bac à sable des soundscapes drone/ambient. En quelques boucles de drones fantomatiques et de pulsations infrasoniques rappelant le bruit des machines de réanimation, le décor est planté : tout est joué depuis longtemps et nous sommes déjà morts. L’angoisse monte, nous vrille le cerveau au gré des vagues de bruit statique et de percussions en cascades. Bruits de pas dans les branchages, cris des singes, piaillements des oiseaux et stridulations des insectes sur fond de ronronnement sourd, peut-être celui d’un groupe électrogène, nous sommes dans la jungle par une nuit d’encre, mais tout cela est-il bien réel ? La vision disparaît dans un cut abrupt et la quatrième partie nous replonge dans cette même purée de pois cosmique où temps et espace se confondent. A la différence près que les voix, désormais, ne sont plus qu’un magma informe, bien vite balayées par le souffle intangible de l’infini, lequel finit lui-même, tout à fait paradoxalement, par s’évaporer dans le néant."
17. Demian Johnston & Mink Stolen - Trailed & Kept (2011)
"Quand on parle de drone doom, le label Debacle Records a forcément une carte à jouer et d’autant plus depuis l’arrivée dans ses rangs de Demian Johnston, stakhanoviste de Seattle aux multiples projets tous plus étouffants les uns que les autres (dont le dernier en date, Blsphm, lorgne sur le black metal en compagnie de Kevin Gan Yuen avec lequel il signait déjà le plus grouillant et terrifiant des EPs de l’année). Associé à Chris Negrete aka Mink Stolen, il signe avec l’imposant et flippant Trailed & Kept un petit chef-d’oeuvre de drone doom habité aux troublantes élégies vocales d’un autre temps, un linceul funeste pour s’envelopper corps et âme, unique vestige d’une civilisation antique rayée de la carte par quelque incarnation maléfique."
16. Nadja - Sv (2016)
"L’une de ces progressions sur une quarantaine de minutes dont les droneux sont friands, et où les motifs viennent peu à peu s’empiler dans un crescendo de tension et d’intensité. Horde de damnés échappée des enfers ou bombardement nucléaire, à chacun d’imaginer ce que lui évoque cet Sv mais l’album joue à n’en pas douter dans la cour d’un Yanqui U.X.O. en terme de tsunami sonique à la dimension cinématographique trippante (en québecois dans le texte), larsens et crissements remplaçant les crins de GY !BE en guise de background crépusculaire et mortuaire des riffs dramatiques suintant le danger sans jamais céder aux sirènes de la grandiloquence."
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15. Fire ! Orchestra - Arrival (2019)
"En terme de chroniques, les grands albums inspirent mais parfois les très grands intimident. Dans le cas du Fire ! Orchestra toutefois, ce compte-rendu d’un concert où la petite troupe emmenée par Mats Gustafsson avait justement interprété le futur disque en intégralité, ainsi qu’une chronique en "album du mois de mai" par mon compère Crapaud avaient déjà bien défriché le terrain. Que dire de plus sur ce chef-d’œuvre bipolaire des Suédois, son équilibre parfait entre lyrisme à deux voix et volutes libertaires à la croisée de l’orchestre de chambre et du big band incandescent ? Un mot peut-être sur la tension presque cinématographique d’un Weekends au groove blaxploitation, la grâce sombrement romantique d’un Blue Crystal Fire qui ne laisserait pas indifférent les admirateurs des grandes heures de Massive Attack s’ils avaient l’idée d’écouter du free jazz en 2019, le labyrinthe mi chaotique mi serein d’un Silver Trees qui jongle avec les mélodies, les dynamiques et l’atonalité, et bien sûr cette reprise piloérectile d’At Last I Am Free où Mariam Wallentin rivalise de tourments spleenétiques avec une Beth Gibbons sur fond de synthés oniriques avant de nous faire décoller pour l’Eden : les 7 minutes les plus délicatement terrassantes de l’année."
14. Sun Thief - Winds (2011)
"Le vent souffle en bourrasques abrasives sur ce projet solo de l’Américain Adam Wetterhan, moitié de Methuselah qui nous offrait avec ce deuxième opus la plus inspirée des traversées du désert, errance cinématique sous les radiations d’un soleil de plomb la gorge pleine de sable, de poussière et de cendres. Un no man’s land dont les friches à perte de vue, abandonnées de toute forme de vie, finissent paradoxalement par devenir le plus claustrophobique des mausolées naturels."
13. Vieo Abiungo - The Dregs (2019)
"En choisissant de revêtir pour la première fois en 7 ans les frusques de Vieo Abiungo, William Ryan Fritch ne semblait pas plus équivoque qu’une pochette où art primitif africain et instrument ethnique ont la part belle sur fond de volcans au gris nuancé. Toutefois, si cette nouvelle sortie Lost Tribe Sound renoue effectivement avec la dimension tribale chère à ce tout premier projet solo de l’ex Skyrider, on y retrouve également le goût du multi-instrumentiste californien pour un lyrisme plus orchestré qui culminait sur The Waiting Room en 2013, voire même les atmosphères plus sombres et fantasmagoriques de l’excellent Ill Tides (The Dregs, A Branch Gave Way, Trembled at Its Feet), évoquant tout autant l’Amérique sauvage des pionniers que les profondeurs de l’Afrique Noire (No Diamonds in These Mines)."
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12. Skúli Sverrisson - Sería II (2011)
"Sería, petit chef-d’oeuvre d’ambient-folk aux litanies cycliques perdues dans les brumes du temps, chaleureux mais tout sauf insouciant, parfois lyrique, souvent crève-coeur mais sans jamais tomber dans le trop-plein, trouve une suite à la mesure avec ce Sería II sobre jusque dans son titre, enveloppé de la même reverb nostalgique et animé du même spleen tragique avec l’appui des mêmes Anthony Burr (clarinette, claviers), Eyvind Kang (violon, trompette), Amedeo Pace (guitare), Hildur Guðnadóttir (violoncelle toujours), ou Ólöf Arnalds cantonnée cette fois au charango et aux choeurs oniriques partagés avec l’ancienne vocaliste de múm, Kristin Anna Valtýsdóttir. D’une richesse musicale au moins égale à celle de son prédécesseur, l’album aurait pu se contenter d’en prendre la continuité, alternant mélopées élégiaques et instrumentaux un peu hantés en prenant soin de ne jamais laisser son opulence en faire déborder l’émotion. Oui mais voilà, pas question pour Skúli Sverrisson de faire dans la facilité et encore moins dans la redite, et c’est à un humble affinage du son et du propos que s’est attelé le musicien islandais, épurant ses compositions pour donner à chaque mélodie le maximum d’effets pour un minimum de moyens. Ce troublant recueil de comptines instrumentales pourra ainsi donner l’illusion à l’oreille passablement distraite de demeurer en net retrait des sommets plus solaires de l’opus précédent, de n’en dégager ni la singularité, ni la beauté funeste et déchirante... tout faux, et il suffira pour s’en convaincre de réécouter ne serait-ce qu’une seule fois le bouleversant Her Looking Back digne des plus belles élégies d’Ennio Morricone ou Instants dans une veine plus dépouillée, parties émergées d’un iceberg dont la fonte tragique aurait lieu sous nos yeux, chaque craquement de la glace laissant écouler une larme salée sur notre coeur à nu."
11. Aidan Baker - Lost In The Rat Maze (2011)
"Même pour un fan de la première heure de son projet Nadja (cf. quelques places plus haut), le Canadien Aidan Baker peut être décourageant. Du doom le plus poisseux aux impros de guitare les plus lumineuses, d’une folk hors format à un jazz moderne réorganisé en boucles abstraites en passant par des jams noisy voire carrément psychédéliques, la soif d’exploration du bonhomme en solo comme au gré de ses différents projets collaboratifs semble ne souffrir aucune limite et n’avoir d’égale que la qualité de ses réalisations et leur fréquence de parution proprement insensée.
Le patron de Broken Spine Productions nous aura ainsi livré en cette année 2011 rien de moins que son meilleur album à ce jour dans la limite de la connaissance que l’on peut raisonnablement avoir de sa discographie, l’angoissé Lost In The Rat Maze aux errances instrumentales impressionnistes et foisonnantes, un manifeste claustrophobe, labyrinthique et tout en tension éthérée."
10. Valgeir Sigurðsson - Dissonance (2017)
"Délaissant ici les secousses digitales plus avant-gardistes de l’impressionniste et impressionnant Architecture of Loss pour se concentrer sur le travail d’orchestration, Valgeir Sigurðsson découpe les sessions instrumentales de l’ensemble Reykjavik Sinfonia et en réorganise les sections en couches démultipliées, inventant en quelque sorte l’orchestre virtuel pour démontrer que l’on n’a pas forcément besoin d’incursions électroniques marquées pour signer une symphonie saisissante sans verser dans le passéisme au 21e siècle. Que de chemin parcouru par le producteur islandais entre l’électronica de son Ekvílibríum initial et les 22 minutes de crescendo massif et incandescent du morceau-titre - et pièce maîtresse - ouvrant ce Dissonance, tourbillon de lignes de viole de gambe frottée, frappée, malmenée, brûlée au chalumeau qui sait, dont les harmonies tourmentées et autres drones orageux au second plan pulvérisent tout sur leur passage, à commencer par nos tympans sidérés par tant d’intensité."
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9. Black To Comm - Seven Horses For Seven Kings (2019)
"À chaque nouvel album de Marc Richter, le chroniqueur est soumis à rude épreuve. De l’éponyme, je n’avais su dire plus de quelques mots succincts, de peur d’échouer à rendre justice à ce disque-monde en m’aventurant plus avant à tenter d’évoquer ses indescriptibles méandres soniques auxquelles les fantasmagories de ce Seven Horses For Seven Kings font suite sans pour autant leur ressembler. De complaintes gothiques pour chœurs de goules suppliciées (Ten Tons of Rain in a Plastic Cup) en cavalcades hypnagogiques (Semirechye), des freejazzeries hantées et martelées de Licking the Fig Tree aux liturgies dronesques en déréliction d’Angel Investor, il n’y aura guère eu que le Coil de la grande époque ou le Third Eye Foundation des chefs-d’œuvre Ghosts et You Guys Kill Me pour avoir su préfigurer pareil abîme de visions livides et cauchemardées, véritable géhenne musicale dont les hallucinations culminent notamment sur l’épique Fly on You ou sur la tension horrifique du court mais saisissant Rameses II."
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8. Fog - For Good (2016)
"Pas mal de piano et de contrastes forts (le tourneboulant For Good, l’évanescent Father Popcorn), de scratches étranges et de mélodies romantiques (Made To Follow), de lyrisme vocal échevelé et d’emballements rythmiques fiévreux (Cory, Jim) sur ce nouvel album d’Andrew Broder et de sa bande qui fut peut-être bien l’objet le plus difficilement identifiable de 2016, même pour les inconditionnels d’un groupe que je n’avais pas hésité à surnommer il y a 10 ans le Radiohead américain, avec tout ce que cela peut avoir de réducteur connaissant le parcours de Fog depuis l’abstract folky de l’éponyme (2000) jusqu’à la mixture d’americana alambiquée, de krautrock et d’emphase 70s de Ditherer.
De la folktronica pour dancefloor cafardeux de Kid Kuma à la techno-pop organique et mutante de Trying en passant par l’immense Sister Still dont je chantais déjà les louanges par ici, l’album pourrait bien s’avérer le tout meilleur de ses auteurs avec 10th Avenue Freakout, un truc à nu, intimiste, fébrile et passionnant, toujours sur le fil du trop-plein (on l’avait dit, ça flirte volontiers avec Elton John ou Peter Gabriel, fallait oser) mais c’est bien souvent ce genre de prise de risque et de sincérité sans garde-fou qui font les disques de chevet, ceux qui s’insinuent dans vos ventricules pour ne plus jamais les lâcher."
7. The Fucked Up Beat - Europa (2015)
"Le goût du duo new-yorkais - qui officie désormais sous le nom de Cloudwarmer - pour un rétro-futurisme hallucinogène se scinde en groove hypnagogique d’un autre temps aux beats suaves et subconscients. Enregistré à New-York entre 2013, l’album voit Eddie Palmer (aka Studio Noir) et son compère Brett Zehner prendre chacun à leur tour l’ascendant sur une musique dont le premier assure comme à l’accoutumée l’instrumentation et la production, laissant au second le soin de s’atteler aux rythmiques et à l’agencement de field recordings. Moins jazzy que son prédécesseur Investigates Strange Weather Patterns And The UFO Cults Of Cold War Nevada, Europa premier du nom en systématise ainsi les abstractions quasi tribales sur fond de volutes surannés paranoïaques et enivrants, dont les sonorités cristallines esquissent les mystères de quelque chronique martienne à l’ère psychédélique."
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6. Autechre - Oversteps (2010)
"2011, une grosse année pour l’IDM, et pourtant ce sont bien les vétérans du label Warp qui emportent la palme avec ce nouveau chef-d’œuvre, paradoxalement l’un des albums les plus accessibles et sereins d’une discographie parsemée d’abstractions chaotiques à la mélancolie malaisante, mais loin d’être de tout repos pour autant puisqu’on y aura parcouru sur plus de 70 minutes toutes les strates mentales que les deux super-cerveaux de Rochdale sont capables de faire naître de leurs machines angoissées."
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5. The Third Eye Foundation - Wake the Dead (2018)
"Du haut de ses 13 minutes 45, le morceau-titre donne le ton : entre une drum machine liquéfiée et une batterie désarticulée s’opposent saturations viciées et cuivres mythologiques, chœurs sacrés et vocalises aliénées de goules sardoniques, ces dernières prenant finalement le dessus à mesure que ce Wake the Dead sombre dans un chaos de bruissements dépravés. Quelque part entre la narration sensorielle foisonnante de The Dark, la mélancolie erratique et hantée de Little Lost Soul, les abysses tourmentés de Ghost et les hybridations ambivalentes de You Guys Kill Me, Wake the Dead est pourtant loin d’un album-somme. Cousin des cauchemars électro-indus d’un JK Broadrick qui aurait pris goût au classique contemporain, ce sixième opus en tant que 3EF de l’auteur de The Mess We Made est un nouveau chapitre - certainement l’un des plus beaux et dérangeants - dans la confrontation de son auteur avec ses cauchemars, ses angoisses et les affres du subconscient, dont on espère qu’il sortira vainqueur assez longtemps pour accoucher de cinq ou six autres joyaux noirs de cet acabit."
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4. Chris Weeks & The Sadmachine Orchestra - Conductor (2014)
"Nouveau chef-d’œuvre de drone radiant aux harmonies touchées du doigt par le divin, Conductor est une ode à la fin du règne de l’électricité, usant du bruit statique et autres buzz produits par divers équipements électriques pour donner vie à une symphonie de forces invisibles. En célébrant l’imperfection des vibrations presque organiques qui respirent entre les circuits et que les musiciens électroniques prennent habituellement soin d’éradiquer en post-production, en anticipant leur fin prochaine, l’auteur de The Lost Cosmonaut anticipe également les derniers instants de la civilisation dont la fulgurante évolution depuis deux siècles doit tant à cette énergie naturelle dont on sait désormais qu’elle a créé la vie à partir de rien, ou si peu.
Sur Electric Field puis Amber, le champ électrique semble ainsi incarner à lui seul l’univers tangible, prêt à replonger dans le néant des origines si cette tension vectrice d’une pâleur vacillante dont le cœur irradie doucement la pénombre venait à cesser de battre. Et pourtant, si l’électricité fait désormais partie de nos vies et contribue souvent à ses instants de féérie (Ions), c’est aussi elle qui nous consume comme en témoignent les déferlements harsh des fabuleux Phase Shift et Strange Oscillations ou le titre de l’épopée finale qui vous attend en bonus digital, point d’orgue d’un album dont la majestueuse et austère démesure n’incarne finalement rien d’autre que l’ambiguïté du rêve éternel de l’humanité : aller toujours plus loin dans la conquête des ténèbres, au risque de s’y brûler les ailes, l’âme et le reste."
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3. Crookram - Butterflies (2017)
"Il y a tant à dire sur ce chef-d’œuvre d’abstract foisonnante et mélancolique qu’une chronique n’avait pas suffi. Attendu pendant 7 longues années, ce second long-format du beatmaker néerlandais - auquel il a déjà donné suite dans la foulée avec le très beau mais plus succinct et léger Clouds Are Free - n’a cessé de me faire voleter des papillons dans le ventre tout au long de 2017 et il s’agit sans doute du disque que j’ai le plus souvent et régulièrement écouté depuis son prédécesseur Through Windows, vibrant sans cesse comme à la première heure pour la mise en musique cinématographique et introspective à la fois des états d’âme de son auteur, des élans d’assurance et d’espoir de Taby Strut au romantisme étoilé de Starfield en passant par l’introspection solitaire d’Island ou surtout du moriconnien My Forest avec sa flûte de pan au spleen crève-cœur, la candeur cristalline du désarmant Puppy Love ou les déclarations d’amour félines au groove baroque de Little Marcos et Like A Cat. De miniatures épiques (Bum Bum) en méditations philosophiques (In the Future), de collages ludiques et rétro (Peapod the Pocket Squirrel, Un Canard) en aveux d’impuissance face à un société d’injustice et d’exclusion (American Dream), Butterflies est avant tout la bulle de réconfort d’un musicien à la sensibilité exacerbée, qui face au manque d’empathie de ses contemprains a choisi de se repilier dans son univers de nostalgie de l’innocence et d’y ouvrir la porte à tous les mélomanes laissés pour compte du cynisme ambiant."
2. Funki Porcini - Conservative Apocalypse (2016)
"A chaque sortie, Funki Porcini impressionne un peu plus par sa maîtrise de l’espace et son sens de la narration désincarnée. Ça commence par des nappes de synthés et pulsations vibrionnantes, vacillantes, vives et fragiles à la fois, un drone irrigué de mélancolie, quelques battements liquéfiés et l’environnement sonore augmenté qui naît de cette percée du voile de la réalité se nourrit déjà de tout ce que nos rêves ont su filtrer du quotidien, lançant sur les rails de notre subconscient le train de l’introspection sur une progression de friture statique étonnamment dramaturgique. Forcément, le voyage prendra d’emblée un tour freudien aux tournoiements dronesques assez ambivalents (Oh Daddy et ses réverbérations insidieuses) avant d’entrer en sommeil paradoxal le temps d’une paire de splendeurs aurales (Bleepsleep 1 et 2)."
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1. Phoenecia - Demissions (2011)
"Troisième album en dix ans et troisième chef-d’œuvre sous le nom de Phoenecia pour les ex Soul Oddity dont les collaborations aussi sporadiques qu’essentielles semblent pousser à chaque fois davantage le dark ambient et l’IDM dans leurs retranchements les plus singuliers, Demissions ne déroge pas à cette règle qui consiste, justement, à n’en avoir aucune. Labyrinthiques et abstraites, en apparence austères mais fourmillant de sautes d’humeurs et de subtiles dérèglements, les compos mutantes et mouvantes du duo de Miami stimulent aussi bien le corps que le cerveau, à la croisée de la densité organique de l’immersif Echelon Mail et de la virtuosité mathématique du plus cérébral Brownout pour rivaliser avec les meilleurs albums d’ Autechre, rien de moins. Inépuisable."
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