Tir groupé : ils sont passés sur nos platines (9/9 - 15/9/2019)
Chaque dimanche, une sélection d’albums récents écoutés dans la semaine par un ou plusieurs membres de l’équipe, avec du son et quelques impressions à chaud. Car si l’on a jamais assez de temps ou de motivation pour chroniquer à proprement parler toutes les sorties qu’on ingurgite quotidiennement, nombre d’entre elles n’en méritent pas moins un avis succinct ou une petite mise en avant.
Eluvium - Pianoworks (31/05/2019 - Temporary Residence Ltd)
Rabbit : 15 ans après son premier album entièrement au piano, Matthew Cooper nous délecte de nouvelles compositions néo-classiques épurées. Faute de textures ou de jeu avec le son de l’instrument, Pianoworks pourra sembler un brin monotone en comparaison de l’ambient richement arrangée à laquelle nous habitue le Portlandien depuis quelques années, entre deux incursions pop atmosphériques tout aussi réussies. Mais lorsque ces morceaux sensibles - qui n’ont jamais le mauvais goût de tirer sur la corde idoine - flirtent avec le spleen impressionniste et intrigant de Satie à l’image du parfait Paper Autumnalia, on en redemande et ça tombe bien, un second CD de réinterprétations au piano de morceaux choisis de la disco d’Eluvium complète l’écoute du premier sur Bandcamp, dont la quasi intégralité de ceux du premier solo piano en question, An Accidental Memory in the Case of Death, quelques titres de Copia où des synthés bontempi quelque peu envahissants dominaient (Prelude For Time Feelers s’en trouve ainsi transcendé, pas loin d’un Michael Nyman) et même, plus inattendu, trois relectures dépouillées de l’excellent Nightmare Ending.
Elnorton : En effet, belle réussite que ce Pianoworks, surtout la partie concernant les compositions originales. Comme quoi, même si Eluvium regarde dans le rétroviseur avec cette sortie inattendue, ses plus belles heures ne s’écrivent pas seulement au passé. Difficile de contester l’aspect monotone évoqué par mon compère, mais il fait partie de la démarche. Rares sont les disques aussi resserrés sur un même instrument qui parviennent à éviter cet écueil. Eluvium joue ici pleinement la carte de la mélancolie instrumentale, avec une facilité déconcertante.
Monnik - Bitteroogst - LP (11/10/2019 - Consouling Sounds)
Baron Nicht : Fruit d’un long travail d’expérimentation et d’orfèvrerie, Bitteroogs, nouvel album de Monnik, s’avère aussi captivant qu’hypnotique. L’artiste solo livre ici une tirade de 40 minutes, composée en vérité de plusieurs créations aux atmosphères diverses. L’ensemble s’harmonise par la continuité de rythmiques électroniques minimalistes sur lesquelles s’impriment des nappes de synthétiseurs et de lapsteel graves. Cette lourdeur artificielle s’éclaircit de quelques instruments à cordes entre orientalisme et coldwave. Monnik démontre alors l’essentiel de son bagage musical pour créer une œuvre équivoque.
Rabbit : Désormais signé chez Consouling Sounds, le Belge étoffe son univers à la croisée des chemins où se télescopent mélodies orientales, synthés et voix vocodées à la Kraftwerk du côté obscur, effluves de SF dystopique aux textures denses et ténébreuses, bribes de blues post-apocalyptique, incantations mystiques et boîtes à rythmes rachitiques. Particulièrement évocateur, Bitteroogst distille les derniers vestiges d’une humanité phagocytée par la matrice dans le no man’s land rougeoyant de sa pochette. À découvrir... à sa sortie officielle dans un mois (aha, désolé) !
Portrayal of Guilt - Suffering Is A Gift (19/08/2019 - Closed Casket Activities)
Riton : 6 morceaux pour un peu moins de dix minutes, autant dire que Portrayal of Guilt a décidé avec cet EP, là où l’énorme premier long format Let Pain Be Your Guide sorti l’an dernier prenait la peine d’arrondir les angles de superbes envolées mélodiques, de ne pas faire dans la dentelle. ’’C’est pas marqué post-rock’’, semble dire ce disque bien trop court, dans lequel le cadeau de souffrance se résume à un emballage grossier mais particulièrement grisant de screamo hardcore et dégénéré. Les Texans sont définitivement à suivre, pour qui aurait envie de violence !
Rabbit : Miam, découverte pour ma part et ça crépite bien comme il faut entre deux déluges de riffs martelés au blast beat, mélodies viciées et hurlements glaçants. Atmosphère et brutalité s’y marient à la perfection... très conseillé !
Queimada - Eremocene (8/09/2019 - Gin&Platonic)
Rabbit : C’est grâce à la participation de Sabiwa (et son influence évidente sur l’asiatisant et glitché Loneliness notamment) que l’on découvre ce premier mini-album de l’Italien Queimada, Berlinois d’adoption qui avait produit quelques titres pour la Taïwanaise. Cette dernière lui rend donc la pareille en donnant de la voix (radicalement déformée et hachée menue) sur l’épileptique Why U Cry ?, peut-être même pas le morceau le plus étrange de cette collection d’expérimentations fantasmagoriques navigant entre ambient, bass music aux rythmiques faites de bric et de broc et transe tribale extra-terrestre, capable de passer de la rêverie la plus éthérée (Breath Again), à la bizarrerie la plus bruitiste et déstructurée (N.5). Idéal pour patienter en somme jusqu’à l’arrivée prochaine du très attendu DaBa.
Earthen Sea - Grass And Trees (7/06/2019 - Kranky)
Rabbit : Sur An Act of Love il y a deux ans et demi, première sortie pour le label Kranky, Jacob Long dissociait ambient vaporeuse et ambient-techno aux influences dub encore timides, alternant d’un morceau sur l’autre ces deux dynamiques comme sur la compil d’inédits A Serious Thing publiée concomitamment sur son Bandcamp. Avec Grass And Trees néanmoins, c’est comme si les deux univers avaient fusionné, les sonorités dub se faisant enfin une place de choix sur des compos évanescentes aux titres évoquant l’espace et le vide. Les textures vibrionnent au rythme omniprésent des beats et pulsations particulièrement organiques et surtout beaucoup moins marqués, presque impressionnistes, mêlant électronique, percussions et autres clappements, pour un résultat aussi subtil qu’enivrant.
Sandro Perri - Soft Landing (6/09/2019 - Constellation)
Rabbit : Le plus dur c’est pas la chute, c’est l’atterrissage comme on dit, un atterrissage que le romantisme à toute épreuve de Sandro Perri rend un peu plus doux face au temps qui passe et aux sentiments qui s’effritent (cf. les 16 minutes de folk scintillante et rondelette d’un Time (You Got Me) aux allures de Van Morrison du futur). Enfin de retour sous son propre patronyme 8 ans après le superbe Impossible Spaces et toujours chez Constellation, le songwriter au background électronique remet les guitares feutrées au premier plan non sans subtilités de production, arrangements électriques ou cuivrés (Floriana, Soft Landing), sérénades bercées de pianotages discrets et d’instruments à vent (Back On Love) et autres touches synthétiques moelleuses qui en font un peu ici, les accents soul et une pincée de groove rétro-futuriste aidant, le cousin canadien d’un Cornelius (God Blessed The Fool, Wrong About The Rain). Fameux !
Elnorton : Plutôt pop pour un projet signé chez Constellation, Soft Landing voit Sandro Perri tutoyer habilement l’univers de Siskiyou (Time (You Got Me) ou Wrong About The Rain). Les éléments sonores sont variés, les guitares s’acoquinant avec des bidouilles électroniques et l’apparition soudaine d’instruments plus classiques. Quoi qu’il en soit, cette hétérogénéité n’altère jamais la cohérence d’un ensemble à la fois accessible, profond et toujours inspiré sur le plan mélodique.
Tool - Fear Inoculum (30/08/2019 - Tool Dissectional/Volcano Entertainment)
Rabbit : On s’en foutait tellement qu’on l’a pas mis dans l’agenda, et pourtant ce nouveau Tool 13 ans après, malgré sa durée quelque peu rébarbative, n’est pas aussi raté qu’on pouvait se l’imaginer. Bien sûr, il y a le chant de Maynard James Keenan, vraiment problématique pour le coup, l’Américain n’avait jamais sonné aussi anachronique, surproduit, grandiloquent, prog-lyrique jusqu’à la nausée avec un soupçon d’autotune pour ne rien arranger. Mais musicalement, l’album est plutôt réussi, les morceaux prennent leur temps, gagnent doucement en élan, balancent leurs riffs mécaniques avec parcimonie (flirtant d’ailleurs avec une certaine épure post-metal dans les meilleurs moments du final 7empest) et Fear Inoculum se permet même quelques incursions surprenantes qui relancent l’intérêt du non-fan-transi-qui-n’a-plus-15-ans, du futurisme à synthés dystopiques de Descending à l’électronique percussive de l’instru Chocolate Chip Trip, sommet du disque, forcément, puisque sauvé du naufrage vocal.
Wordburglar - SpaceVerse (27/08/2019 - autoproduction)
Rabbit : Équilibriste du rap nerd pour accros aux amours SF adolescentes, des comics de superhéros à Star Wars en passant par H2G2, Wordburglar a toujours su user de ces références pour mettre en abîme l’égotrip du rap jeu (Force Ghost) et l’idiosyncrasie du Canada profond (cf. ici le délirant
Torontaun), avec un humour décalé combiné tantôt à des instrus aux samples épiques (Cybertronnoiseur, Spectral Mic) ou à des grooves décontractés voire cartoonesques (That Metroplex Life). Sans parvenir à tutoyer les sommets du génial Welcome to Cobra Island, satire militaire dopée aux films de guerre, SpaceVerse continue dans la foulée des précédents opus du MC de Nouvelle-Écosse : on y retrouve les trois morceaux de l’EP The Mos Eisley Rap Show dont les amoureux de la saga de George Lucas apprécieront le name-dropping érudit, on y croise comme toujours les potos du Backburner crew au gré des featurings, des scratches et des instrus (en tête desquels Fresh Kils, More or Les, Uncle Fester ou le toujours parfait Timbuktu qui ouvre notamment le sombre Picard Maneuver, instant Trekkie du disque), et les connaisseurs y décèleront en passant un hommage à peine dissimilé aux séminaux projets Deltron 3030 et Dr. Octagon de Dan the Automator, le gynéco meurtrier de l’espace aka Kool Keith en personne faisant même une apparition remarquée sur l’onirique et classieux Space Defense Team remixé par l’excellent Bix.
Cloud Rat - Pollinator (13/09/2019 - Artoffact Records)
Riton : Secousses sur la planète grindcore américaine et internationale ! Cloud Rat est de retour 5 ans après l’excellent Qliphoth, plus remonté que jamais. Ça sent littéralement l’urgence, la rage mais aussi l’émotion. Violence et frissons sont les maîtres-mots. On pense au Voices de Wormrot, au Amer de Fuck The Facts, notamment, dans cette faculté de pousser le genre dans ses retranchements, sans jamais tourner en rond. Et non content de délivrer ici son meilleur album, si ce n’est l’un des meilleurs albums de grind de cette année, le trio accompagne la sortie d’un EP bonus, Do Not Let Me off the Cliff, qui, aussi étrange que cela puisse paraître, se présente comme un magnifique disque de synth-pop shoegaze. Surprenant !
Rabbit : Tempête sous un crâne et dans les enceintes avec le trio michiganais qui ne nous laisse jamais sortir la tête de l’eau bien longtemps au gré de ce nouvel album sous le signe du sacro-saint blast beat. Vous avez dit bourrin ? Pas tant que ça finalement tant on sent poindre les mélodies désespérées sous le déluge rythmique et la hargne vocale comme sur le superbe Wonder, quelques digressions plus atmosphériques venant même interrompre la tannée à l’occasion d’une ou deux transitions éthérées (le final de Blome, ou l’entame méditative du sludgy et plus insidieux que violent Luminescent Cellar). Quant à Do Not Let Me off the Cliff, entre dream-pop tourmentée, acoustique tristounette, shoegaze et indus, il s’agit en effet d’une toute autre facette non moins attachante et magnétique d’un groupe plus métamorphe qu’on ne l’imaginait !
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