Louis Minus XVI - De Anima
Louis Minus XVI nous avait laissés au beau milieu d’un jardin d’enfants, c’était en 2014 et Kindergarten continuait à injecter dans son jazz nombre d’épines noise et expérimentales comme l’avait fait Birds & Bats trois années auparavant. Nous voici en 2017 et, fidèle à son rythme métronomique, le quartette sort logiquement un nouvel album judicieusement nommé De Anima.
1. Lustig Traurig
2. Violence Gratuite
3. I Want You Lemchaheb
4. Une Certaine Dose De Tendresse
De Anima comme Aristote ? Difficile à dire. Pourtant, De L’Âme, on en trouve à foison, cachée au sein du flot impétueux que constitue le disque. Alors oui, c’est vrai, ça file vite et à peine s’est-on acclimaté que le dernier souffle résonne déjà mais on commence à bien connaître l’animal et on sait d’emblée qu’il faudra multiplier les écoutes. Non pas que la musique soit retorse ou abstraite, c’est même tout l’inverse - les morceaux coulent les uns dans les autres avec une facilité déconcertante - mais on aime simplement passer du temps à en décortiquer les strates. Pour scruter le jeu des deux saxophones par exemple ou celui toujours métamorphe de la basse, voir quand s’immisce la batterie et peut-être comprendre comment tout cela advient. Évidemment, on se fourre le doigt dans l’œil car la belle élégance de Louis Minus XVI prend systématiquement le dessus et très vite on arrête de vouloir comprendre pour simplement écouter. D’ailleurs, on a bien du mal à poser des mots sur le disque : quand il déborde des enceintes, on n’a pas vraiment envie de l’analyser, on préfère laisser aller en s’immisçant dans ses sillons.
C’est que la courte demi-heure renferme son lot habituel de chausses-trappes et de curiosités qui rendent l’écoute vibrante. De Anima se rapproche autant de Kindergarten qu’il s’en détache tout comme ce dernier explorait des horizons absents de Birds & Bats en restant pourtant dans son sillage. Cette fois-ci, le quartette camoufle sa violence pour pousser plus avant la tension. On l’entend dès Lustig Traurig (comme Beethoven ?), long cheminement inquiet qui ouvre le disque. Les cliquetis de la batterie s’agrafent à la basse, l’alto au ténor, les huit minutes enflent et enflent encore, le jeu devient de plus en plus ample et haché et puis subitement la basse s’arrête pour laisser batifoler les trois autres instruments. Et quand enfin elle revient, le morceau, tout en gardant son ossature, n’est plus le même et explose en gerbes acides et stridences mordorées. Ça n’a l’air de rien dit comme ça et pourtant, c’est complètement renversant. À partir de ce moment-là, on devient captif de De Anima et rien n’y fera, on ne s’en détachera plus. Comme à son habitude, Louis Minus XVI fait tout pour que les suivants prennent par surprise. Non seulement, la variété se décline d’un disque à l’autre mais elle prend également racine entre les morceaux même si, partout, le noir domine.
Violence Gratuite abandonne ainsi le long cours pour quelque chose de plus ramassé et de très percussif. La batterie tabasse, la basse aussi et, chevillés l’un à l’autre, les soufflants saccadent avant de se lancer dans un vol que l’on jugerait désorienté. C’est le morceau le plus court de l’album et c’est surtout très fidèle à son titre. I Want You Lemchaheb (comme Lemchaheb ?) creuse encore une autre direction, plus mélodique, plus apaisée, crépusculaire et très ample. Les deux saxophones font feu de tout bois en traçant chacun leur route avant de se réunir dans un motif central obsédant. On voyage loin avant de redescendre avec Une Certaine Dose De Tendresse qui prend au début la forme d’une engueulade ou tout du moins d’une incompréhension. Les instruments dialoguent entre eux, argumentent, s’emportent puis s’enchevêtrent. À la fin, tout se finit bien et chacun repart dans son coin, copain comme cochon avec les trois autres. Bref, on le voit, De Anima n’est pas du tout linéaire et, exceptés quelques motifs répétés ici ou là, tout s’y montre au contraire mouvant. Pourtant, le côté très fragmenté du disque n’empêche nullement d’identifier Louis Minus XVI. Le groupe demeure cette entité incisive qui ouvre ses fenêtres en grand.
Les saxophones alto et ténor d’Adrien Douliez et de Jean-Baptiste Rubin exsudent un souffle vital. Qu’ils s’enchevêtrent, se bastonnent, coopèrent ou s’accompagnent, leur complémentarité sidère. Elle ne serait toutefois pas grand chose sans l’apport de Frédéric L’Homme dont le jeu félin et incisif arbitre souvent les joutes des deux soufflants et épaissit ainsi la densité déjà importante de l’ensemble. Et puis la basse de Maxime Petit, plastique et métamorphe, apporte le liant. Sans elle, rien ne tiendrait debout.
Tous indispensables, tous concourant à la grande singularité de Louis Minus XVI. Dense, varié, offrant des moments magnifiques, d’autres plus débridés mais tout aussi accrocheurs, tout le temps intense et tendu, De Anima permet d’oublier instantanément les trois longues années sans nouvelles et fera patienter probablement les trois suivantes. C’est qu’on ne se détachera pas de sitôt de sa pochette catadioptre où le noir cerne la couleur.
Remarquable.
Photographie par Nico Berlin.
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