25 ans de Radiohead en 50 titres
Parmi les groupes qui synthétisent le mieux ce qui pourrait être la ligne éditoriale de notre site - quand bien même en définir une irait à l’encontre de nos passions éclectiques - Radiohead fait partie des premiers noms qui viennent à l’esprit. Dans le cadre de notre Overd00’s qui résumait pour nous le meilleur de la décennie précédente, le quintette d’Oxford plaçait dans les vingt-cinq premières places - avec Kid A à la première - chacun des quatre albums enregistrés durant cette période.
Et justement pour rester sur ce chiffre, le 21 septembre dernier, Creep fêtait ses vingt-cinq ans. S’il a marqué son époque et servi de tremplin au futur succès public et critique des ex On a Friday, il ne s’agit pas pour autant du morceau le plus inoubliable de la formation et il ne figure d’ailleurs pas dans la présente sélection. Mais cet anniversaire constitue pour nous un formidable prétexte puisque nous n’avions jamais eu l’occasion jusqu’ici de nous étendre sur nos morceaux favoris de la désormais pléthorique - si l’on compte EPs et faces-B - discographie des Britanniques.
Nous, c’est en l’occurrence Elnorton et Rabbit, les deux Radiohead addicts de l’équipe qui revenons chacun plus bas sur les circonstances de notre découverte de la bande à Thom Yorke et Jonny Greenwood.
Et comme rien - ou presque - n’est à jeter chez les Anglais, nous n’avons pas su nous arrêter aux vingt-cinq titres qu’imposait tout naturellement ce quart de siècle. Le classement en comptera donc le double, soit, faces-B comprises, près de la moitié du répertoire d’un groupe qui, de Pablo Honey à A Moon Shaped Pool, semble avoir eu neuf vies tout en parvenant toujours à retomber sur ses pattes...
Notre top ten commun
1. Pyramid Song (Amnesiac, 2001)
Elnorton : On connaît la chanson - même si le cas échéant, on n’en fera jamais le tour au regard de sa complexe simplicité, oxymoron devant l’éternel - c’est la structure pyramidale de la composition qui a conduit les musiciens à la baptiser Pyramid Song. Peut-être l’extrait le plus marquant de la formidable phase (crise ?) créative traversée par le groupe au tournant du siècle, le piano ternaire, les ondes Martenot et la voix angélique de Thom Yorke étant chacun à leurs sommets.
Rabbit : Effectivement, que dire qui n’ait déjà été dit sur ce chef-d’œuvre, rêve d’au-delà omniscient que l’on jurera hanté ou presque séraphique, désespéré ou rassurant selon l’humeur ? Pour moi, Pyramid Song c’est avant tout un démarrage de batterie à vous faire dresser les poils, ces ondes Martenot spectrales, la voix de Thom Yorke comme un écran immaculé sur lequel l’auditeur projette ses propres émotions et bien sûr cette mélodie au piano poignante que les arrangements (et notamment ces cordes arabisantes, proprement envoûtantes) enveloppent peu à peu sans jamais l’étouffer. Du grand art, y compris sur le plan de la production, Nigel Godrich s’imposant tout particulièrement sur le diptyque Kid A/Amnesiac comme un orfèvre d’atmosphères élégiaques que se disputeront dans la foulée Beck, Air ou encore The Divine Comedy.
2. Idioteque (Kid A, 2000)
Rabbit : Pour qui a vu le groupe en concert il y a une quinzaine d’années, Idioteque c’est avant tout les psalmodies schizophréniques et la gigue désarticulée d’un Thom Yorke possédé qui habitait sur scène tout particulièrement ce titre incandescent et abstrait à la fois, un choc pour moi au visionnage du fameux concert de Canal + une paire d’années avant de pouvoir vivre l’expérience en direct. Si Kid A s’avère être l’album le plus introspectif et contemplatif du combo, c’est paradoxalement ce morceau aux concassages rythmiques warpiens qui incarne le mieux ce que le l’album doit au label électronique anglais, Autechre en tête - que j’allais justement découvrir dans la foulée, d’abord avec difficulté (car en comparaison de leurs albums de l’époque, Kid A est un disque facile d’accès) puis avec une fascination pour laquelle le passage par Radiohead se sera dans mon cas avéré indispensable.
Elnorton : De mon côté également, c’est avec Idioteque que le rôle de passeur de Radiohead aura été le plus évident. La fascination est un terme bien trop faible pour évoquer mon rapport avec ce titre, qui m’aura poussé à m’intéresser à la musique assistée par ordinateur d’un Paul Lansky dont le Mild Und Leise ô combien difficile d’accès pour l’adolescent que j’étais est samplé sur Idioteque. Et puis, je rejoins Rabbit sur le chant survolté, presque convulsif, de Thom Yorke, que ce soit sur la version studio ou celle, intemporelle, du live pour Canal +.
3. Where I End And You Begin (Hail To The Thief, 2003)
Rabbit : Tout simplement mon titre préféré du groupe, dont le lyrisme désespéré m’arrache des frissons à chaque fois. Il faut dire que Thom Yorke met tout son spleen et son angoisse existentielle dans cette histoire de cannibalisme métaphysique, chant du cygne pour la vie privée et l’espace personnel en plein essor des réseaux sociaux. L’envolée des ondes Martenot de Jonny Greenwood à 2’22 qui fait passer le morceau de fantomatique à bouleversant en conjonction avec la montée déchirante de son leader est décidément l’un des plus beaux moments de musique d’une disco qui n’en manque pas.
Elnorton : Le passage que mon compère évoque, avec les ondes Martenot et la voix survoltée de Thom qui s’entrelacent, est en effet l’un des grands moments de Hail To The Thief. Mais je trouve que tout est déjà présent dès l’introduction de ce titre. Je me rappelle de la première écoute de ce disque qui se tient plutôt en queue de peloton dans mon panthéon personnel, même si je l’adore. Dès les premières secondes, un sentiment d’ivresse m’avait gagné. Je savais déjà que je serais marqué par Where I End And You Begin, sans anticiper la progression d’un titre captivant dont je ne comprenais à l’époque rien des paroles prémonitoires.
4. Airbag (OK Computer, 1997)
Rabbit : Le morceau qui pour moi a tout déclenché, à commencer par ma passion de l’époque pour l’indie rock. Une production presque liquéfiée, à vous faire basculer le shoegaze dans le 21e siècle avec quelques années d’avance, un hymne à la potentielle grandeur de chacun dans un univers d’insécurité et de déshumanisation, la basse de Colin Greenwood qui pour la première fois s’imposait réellement dans une compo du groupe, ces clochettes et cette arrivée de la batterie à vous coller la chair de poule, et puis ces chœurs à la fin qui préfiguraient déjà les libertés vocales que prendrait Thom Yorke sur Kid A au risque d’en irriter certains. En bref, un titre qui symbolise les territoires inexplorés que Radiohead passerait une grosse demi-douzaine d’années à défricher dans la foulée et surtout un gros choc mélodique et sonique dont je ne me suis jamais vraiment remis.
Elnorton : Comme le dit Rabbit, c’est la première fois que la basse de Colin Greenwood est aussi indispensable sur un titre de Radiohead. Et pas la dernière, son influence grandissant au fur et à mesure de l’évolution d’un groupe qui prouva d’abord, avec l’émergence de Jonny Greenwood, que Thom Yorke n’en était pas le seul cerveau, avant que chacun de ses membres - avec une réserve concernant Ed O’Brien - n’ait l’occasion, avec Radiohead ou ailleurs, d’affirmer le génie qui sommeille en lui. Pour revenir à Airbag, je trouve que c’est un exemple typique de "morceau-caméléon", qui peut à la fois dégager quelque chose de terriblement austère et désespéré si on l’écoute dans un moment de tristesse, ou s’avérer presque radieux (pour un fan de Radiohead, entendons-nous bien...) ou au moins comporter une part de lumière. Ces morceaux sont rares, et ce qui est rare est précieux. Surtout quand c’est aussi bien agencé.
5. 2+2=5 (Hail To The Thief, 2003)
Rabbit : Et en voilà une autre de vraie claque de première écoute, un morceau que le groupe assénait à l’époque en concert d’entrée de jeu, et on ne peut que leur donner raison au regard de cette tension à coller le frisson et de ces trémolos de guitare déchirants. Parfaite synthèse de l’énergie rock angoissée qui irriguait encore le quintette et de ses velléités électroniques, l’ouverture d’Hail To The Thief m’avait littéralement terrassé sitôt glissée la rondelle de plastique tant attendue dans ma platine CD. Mais en plus de vous exploser aux tympans dans un déluge de frustration et de confusion propres à l’absurdité de nos sociétés déconnectées, 2+2=5 vous pose une atmosphère en à peine plus de 3 minutes, celle qui sert de liant au faussement éclaté chef-d’œuvre officieux du groupe, album crépusculaire en quête d’humanité.
Elnorton : Je me souviens de ma découverte de la tracklist de Hail To The Thief et de mon énervement, cartésien devant l’éternel que j’étais alors, en découvrant l’intitulé de ce titre introductif. 2+2=5, quelle absurdité. Je n’avais pas compris que le fait de s’approprier le ridicule constituait sans doute le meilleur moyen de le tourner en dérision et le condamner, formule à laquelle Radiohead a pourtant eu bien souvent recours. La rage hypnotique du chant de Thom Yorke et les déluges électriques des guitares font de ce titre l’un des classiques d’un groupe jamais lassé de condamner les conséquences de l’individualisme croissant de nos sociétés actuelles.
6. You And Whose Army ? (Amnesiac, 2001)
Elnorton : Il y a encore quelques années, jamais You And Whose Army n’aurait fait partie de mes premiers choix au moment d’évoquer les sommets de la carrière de Radiohead. Pire, il était le morceau que je ne comprenais pas sur Amnesiac - comme peut toujours l’être House of Cards sur In Rainbows - et qui me gâchait ce chef-d’œuvre. Et puis, j’ai regardé Incendies de Denis Villeneuve, et tout a changé. Est-ce un déficit d’imagination qui faisait que, sans images, la magie n’opérait pas ? Qu’importe. Cette introduction minimaliste qui m’agaçait fait désormais partie d’un décor qui permet à l’explosion finale de prendre tout son sens. Il faut parfois tomber au fond du précipice pour apprécier ensuite les cimes.
Rabbit : Effectivement sans en avoir vraiment besoin ce titre trouve un souffle nouveau au contact des images choc de l’inoubliable ouverture d’Incendies (qui use aussi, brièvement, du fabuleux Like Spinning Plates sur fond de grisaille urbaine et mentale), ces visages d’enfants dépouillés des derniers vestiges de leur individualité pour rentrer dans le moule terroriste. Pourtant, You And Whose Army ? avec son spleen austère virant sans crier gare à l’élan de lyrisme et d’espoir se suffisait déjà à lui même il y a plus de 15 ans pour concurrencer Pyramid Song au titre de ballade crève-cœur d’Amnesiac.
7. How To Disappear Completely (Kid A, 2000)
Elnorton : Je disais plus haut que Pyramid Song était le reflet le plus évident de la créativité du combo durant la période Kid/Amnesiac, mais cette fausse-vérité générale vaut également pour How To Disappear Completely. Là aussi, les ondes Martenot et arrangements divers apportent un inégalable surplus à la tension que font régner la guitare acoustique et le chant de Thom Yorke, aussi stable que possédé par ses propres démons. Sans doute, parmi les morceaux les moins avenants de Kid A, celui qui est le plus fascinant et abouti.
Rabbit : Pour moi ce morceau c’est un peu l’Exit Music mature de Kid A, la tragédie adolescente laissant place à une dramaturgie plus épurée et métaphysique, l’effacement de soi que viennent transcender les flux et reflux impressionnistes des trémolos de guitare, des violons et des ondes Martenot avec en dépit de cette luxuriance des arrangements évanescents un sens de l’économie qui rend d’autant plus poignant ce passage à 5’24, juste avant la fin, quand tout semble à nouveau s’éclairer un court instant et que l’espoir renaît.
8. Reckoner (In Rainbows, 2007)
Elnorton : Au fil des années, Colin Greenwood m’est devenu de plus en plus sympathique. Il faut dire que l’apport de sa basse devient assez indispensable à partir de In Rainbows. Les mauvaises langues diront que cela permet de dissimuler une hypothétique baisse de régime, théorie à laquelle je ne souscris évidemment pas. Les tourments de Thom Yorke sont évidents sur Reckoner, la grâce opère lorsque basse et piano se lovent autour de percussions granuleuses, mais c’est surtout cette progression en montagne russe qui confère à ce titre un pouvoir émotionnel - atteignant son apogée sur la reprise à 3’20 - qui aurait dû lui permettre d’aller plus haut encore dans ce classement.
Rabbit : Et si vous regrettez qu’il n’y soit pas (plus haut), c’est donc moi qu’il faudra blâmer pour ne l’avoir repêché qu’en tout dernier de ma sélection personnelle, loin de la belle place offerte par mon compère. Il faut dire qu’In Rainbows, passé l’enthousiasme de la sortie et le relatif engouement des premières écoutes pour un lyrisme forcément efficace, ne m’accompagne plus depuis longtemps, la faute à un manque d’audace qui est justement le point faible de ce titre par ailleurs tout à fait remarquable par son crescendo émotionnel sur fond de batterie sèche, et surtout la ferveur des cordes qui en sous-tendent la mélodie vocale dans sa dernière partie. Assurément l’un des morceaux les plus touchants d’un disque qui me semble aujourd’hui très inégal et plus récréatif qu’autre chose pour le groupe, après une série de chefs-d’œuvre autrement plus ardus et tourmentés.
9. 15 Step (In Rainbows, 2007)
Elnorton : Puisque l’on reste sur un extrait de In Rainbows, on repère toujours l’importance prépondérante de la basse de Colin mais si ce morceau est atypique dans la discographie de Radiohead, c’est essentiellement en raison d’un chant et d’une batterie qui me semblent en décalage, jouant sur une notion de faux-rythme que je ressens sans avoir le bagage théorique pour l’expliquer. Je me souviens avoir lu l’une de ces (dispensables) analyses sur Radiohead. Des (pseudos-)scientifiques avaient étudié (sur je ne sais quel fondement) le taux d’optimisme de chacun des morceaux du quintette. Seul 15 Step dépassait la moyenne, et il le faisait de manière assez confortable. Si je suis certain qu’il n’y a aucun optimisme béat sur ce titre, l’habituelle part de mélancolie disparaît peut-être, effectivement, sous les flots d’une hargne assumée.
Rabbit : Je parlais plus haut d’album récréatif, l’étude à laquelle Elnorton fait référence le confirme, le groupe se fait avant tout plaisir sur In Rainbows et pourtant ce titre d’ouverture infiniment plus léger et dynamique que le plombé Videotape par exemple est aussi le plus audacieux du disque, préfigurant les polyrythmies de The King Of Limbs au gré d’un concassage de beats sous le signe d’Autechre, idole électronique de toujours (les clameurs d’enfants évoquant également Boards of Canada), comme d’une certaine tradition de la transe africaine, pour le coup presque afrobeat, tandis qu’en fin de morceau réapparaissent avec une belle science du son (l’album ayant pour lui d’être superbement produit) ces nappes électroniques hantées de la période HTTT, ce qui n’était évidemment pas pour me déplaire.
10. Little By Little (The King Of Limbs, 2011)
Rabbit : Parce qu’il fallait tout de même un morceau de The King Of Limbs, possiblement l’album le plus sous-estimé du combo qui après l’inégal - désolé d’insister ! - In Rainbows reprenait goût aux mutations et aux fascinants métissages de la décennie précédente, polyrythmies organiques et impressionnisme électronique à l’appui. S’il met en avant une guitare aux accents bluesy et une mélodie vocale presque typique du groupe sur fond d’arpèges insidieux comme OK Computer en comptait son lot, Little By Little n’en creuse pas moins cette même voie de l’exploration à coups d’effets reverse discrets et de superpositions de beats abstraits et autres cliquetis chamaniques. Un classique immédiat.
Elnorton : si The King Of Limbs n’est pas tout en haut de mon panthéon du groupe, je rejoins Rabbit sur son caractère sous-estimé, et je lui porte une affection particulière. Il est singulier dans cette discographie et en ce sens essentiel. Comme souvent avec Radiohead, les arpèges évoqués plus haut et la voix bouleversante de Thom Yorke constituent les éléments qui favorisent le coup de foudre immédiat. Mais si la fascination pour un titre tel que Little By Little se poursuit, c’est bien parce qu’il comporte, en plus de cette mélodie efficace, de nombreux détails et arrangements aussi excitants qu’ingénieux.
Les 20 choix supplémentaires d’Elnorton :
C’est simple, de tous les artistes dont nous aimons parler à longueur d’année(s), s’il ne devait en rester qu’un, ce serait assurément Radiohead. Je ne peux utiliser autre chose que la première personne du singulier tant mon rapport au groupe est intime. Comme souvent, dans les histoires d’amour, cela a commencé par une déception.
J’allais sur mes douze ans au moment de la sortie de Kid A et je me souviens avoir épluché quelques magazines rock évoquant un ovni. Pour autant, rien de suffisant pour m’inciter à écouter un groupe qui n’était rien d’autre pour moi que celui du tube Creep. Les titres issus de OK Computer m’agaçaient et ce n’est que quelques années plus tard, me délectant de la complexité d’un Idioteque que je décortiquerai dans tous les sens, que les méandres de Radiohead ont pris un tout autre sens pour moi.
Comme souvent, dans une histoire d’amour, le timing est primordial. L’adolescence est probablement l’un des moments de la vie où la passion est la plus intense et la plus irrationnelle. Entre mes quinze et mes dix-huit ans - les années lycée et le début de la fac’ - je crois n’avoir écouté que du Radiohead. Ou presque.
Je me souviens de mes commentaires condescendants à l’écoute d’un autre groupe : "c’est sympa, mais la voix de ce type n’atteindra jamais le quart de la beauté de celle de Thom Yorke". J’en suis forcément revenu. Du moins en partie, car aujourd’hui encore, aucune voix ne m’émeut autant que celle du Britannique.
Une histoire d’amour, c’est aussi les périodes de distance que l’on s’explique moins. Après m’être extasié devant In Rainbows, premier album que je découvrais en tant que fan indécrottable - j’avais raté le train à quelques mois près pour Hail To The Thief - je défendais volontiers le virage plus expérimental et audacieux de The King Of Limbs sans pour autant me lier de passion avec ce disque que j’apprendrais à redécouvrir plus tard.
Et enfin, les vraies histoires d’amour, celles qui nous lient pour la vie, offrent de nouvelles phases passionnelles. Encore une fois, le timing est primordial. A l’inverse de mon compère, je tiens A Moon Shaped Pool en haute estime. Renversant, ce disque a été un camarade de galère durant une phase de vie plus délicate. L’amour, les copains, tout ça... C’est dans les moments pénibles qu’on les apprécie. Il est alors précieux de ne pas les abandonner et de voir que, eux aussi, restent fidèles. Dans mon lien avec Radiohead, j’en suis certain, il reste encore de nombreux chapitres à écrire, et mon premier concert un soir de juillet 2017 au Main Square Festival fait partie des expériences que j’aurais cochées sur ma Bucket List si d’aventure j’avais eu l’idée d’en rédiger une...
You, 1993 (Pablo Honey)
Premier titre figurant sur le premier long-format de Radiohead. Et si ce LP est le seul à être dispensable, You, malgré ses racines adolescentes, s’avère plus profond mais aussi torturé que les titres qui le suivent sur ce disque.
Black Star, 1995 (The Bends)
Si John Leckie s’est chargé de la production de The Bends, son absence durant une session d’enregistrement aura permis à Radiohead de découvrir son assistant, le jeune Nigel Godrich. Sa patte permet de donner une seconde vie à ce Black Star qui devait être une face B.
High And Dry, 1995 (The Bends)
High & Dry ou la synthèse aboutie entre ce qui reste de la rage post-adolescente de Pablo Honey agrémentée des guitares en bois qui, à l’image de Fake Plastic Trees, s’invitent sur The Bends et exposent à la face du monde un potentiel mélodique insoupçonné. Ajoutons à cela une progression ambitieuse qui préfigure celle de OK Computer et l’on obtient un équilibre assez jouissif des influences des trois premiers Radiohead, quand le fruit, encore un peu vert, s’apprêtait à devenir exquis.
Street Spirit, 1995 (The Bends)
Street Spirit fait peut-être partie de ces titres que j’ai trop écoutés et dont le caractère renversant s’est légèrement estompé avec le temps. Mais après une cure de plusieurs mois, la relative virginité auditive permet de retrouver une bonne partie des émotions d’antan avec ce qui reste l’un des titres les plus spleenesques et désespérés de la discographie de Radiohead.
Talk Show Host, 1996 (Romeo + Juliette Soundtrack)
Qu’une formation musicale puisse faire d’un titre tel que Talk Show Host une simple face-B en dit long sur l’incroyable phase de créativité traversée par Radiohead à la fin du siècle dernier. Puisqu’il est absent des LPs du groupe, j’ai moins écouté Talk Show Host. Je ne l’ai pas usé comme d’autres titres. L’envolée contenue et synthétique à 1’26 pré-figure autant le virage de OK Computer que celui, plus tardif, de Kid A. Les machines et arrangements électroniques vont prendre de l’importance chez Radiohead, offrant aux guitares et à la voix, de nouveau emplie d’un spleen majestueux, un partenaire de jeu leur permettant de se sublimer.
Karma Police, 1997 (OK Computer)
S’il sera plus tard à l’oeuvre sur le Rabbit In Your Headlights d’UNKLE auquel Thom Yorke prête sa voix, Jonathan Glazer avait déjà offert un clip dérangeant à base de course-poursuite déséquilibrée et ralentie entre une automobile et un piéton. Si ce clip contribue à la notoriété qui est, aujourd’hui encore, celle de Karma Police, c’est avant tout pour ses qualités musicales - et on ne s’attardera pas sur des paroles parfaitement digérées et inspirées par le génial 1984 de George Orwell - que ce morceau reste encore aujourd’hui parmi les premières places de mon panthéon du groupe. Le titre qui me vient en premier lieu à l’esprit lorsqu’on me demande comment guitare et piano peuvent s’épouser et donner le meilleur d’eux-mêmes.
Paranoid Android, 1997 (OK Computer)
Il fut une époque où je considérais Paranoid Android comme mon morceau préféré de Radiohead. Cela ne dura pas forcément très longtemps, mais le fait que cette période ait existé, à un moment où je n’écoutais que le quintette d’Oxford, témoigne de mon rapport privilégié avec ce titre. Pourtant, j’ai le sentiment de l’avoir trop écouté. Et, au fil des années, j’ai eu l’impression que le mythe autour de l’assemblage de ces trois titres que le groupe n’arrivait pas à conclure a grandement participé - plus que son contenu propre - à l’affection que je lui ai porté. Un amour romanesque et très adolescent en somme. Je croyais donc m’être lassé de Paranoid Android jusqu’à sa re-découverte, au mois de juillet, au Main Square Festival, où l’enrobage du titre plus électrique encore qu’à l’accoutumée, m’a permis de le redécouvrir en me recentrant sur ses évidentes qualités musicales.
Climbing Up The Walls, 1997 (OK Computer)
De tous les morceaux absents de notre top 10 commun, c’est celui-ci que je suis le plus étonné de ne pas voir cité par mon compère. L’un de mes morceaux de Radiohead préférés. Parfois, selon les humeurs, il peut même truster la toute première place. Croisement entre le combo d’Oxford et les Bristoliens de Massive Attack, inspiré (mais pas trop pour conserver son identité) par le trip-hop du milieu des années 90, labyrinthique voire même schizophrénique à souhait, tant la voix de Thom Yorke semble ne plus même former d’unité avec le reste de sa personne, ce morceau fourmillant de détails fait partie des plus profonds et complexes de la discographie de Radiohead.
Let Down, 1997 (OK Computer)
Longtemps renié par le groupe sur scène sans que j’en comprenne réellement les raisons, Let Down est sans doute l’un des titres les plus accessibles - avec No Surprises - de OK Computer mais, s’il présente quelques relents des tourments post-adolescents des disques précédents, il n’en assume pas moins une opacité qui s’accommode tout à fait, de manière peut-être paradoxale, de sa relative immédiateté. Sa place sur ce disque se justifie en tout cas absolument, les arrangements de Nigel Godrich lui permettant d’être incorporé dans un ensemble au sein duquel il dénote toutefois. Brillant.
Meeting In The Aisle, 1997 (OK Computer b-side)
Sans réellement savoir pourquoi, lorsque j’ai pour la première fois inséré l’EP Airbag / How Am I Driving ? dans la chaîne hi-fi de l’époque, c’est Meeting In The Aisle qui m’a le plus intrigué. Une hérésie à l’époque tant j’étais sous le charme, de manière exclusive, de la voix de Thom Yorke. Un morceau instrumental de Radiohead est une rareté, et ces boucles hypnotiques à la froideur mécanique justifient néanmoins ce caractère. Quand les instruments se mettent à parler, on imagine mal la plus-value que pourrait apporter une voix. Même celle de Thom Yorke...
Everything In Its Right Place, 2000 (Kid A)
Un classique instantané. Là aussi, un morceau qui compte parmi mes préférés du groupe et qui a contribué à me faire aimer l’électronique pour ces arrangements qui gagnent petit à petit le gimmick initial au piano. C’est aussi l’un des titres qui incarne le mieux la folie interne qui gagne Thom Yorke au moment où il compose Kid A, dont Everything In Its Right Place est à la fois le morceau d’ouverture mais aussi le premier à avoir été écrit. Les paroles entêtantes, confrontant une vision pessimiste globale à l’usure personnelle, ajoutent à l’atmosphère à la fois libertaire et oppressante.
The National Anthem, 2000 (Kid A)
Sur The National Anthem, les ondes Martenot et arrangements électroniques divers s’accommodent parfaitement de la basse chimique de Colin Greenwood. Dynamisme général, tumultes spectraux et méandres vocaux, tout est présent pour contribuer à une atmosphère dérangeante et jouissive à la fois.
Packt Like Sardines In A Crushd Tin Box, 2001 (Amnesiac)
Le morceau qui ouvre Amnesiac en est également l’un des éléments le plus abstrait, profond et envoûtant. Les effets spectraux sur la voix de Thom Yorke recèlent un caractère hypnotique qui rend les nappes instrumentales encore plus sombres, oppressantes et coupablement jouissives.
Nude, 2007 (In Rainbows)
Ils ont mis du temps à le coucher sur disque, ce Nude. Joué en concert depuis plus de dix ans au moment de la sortie d’In Rainbows, ce titre faisait figure de classique secret, à l’instar d’un Lift ou d’un True Love Waits dont la version enregistrée pour A Moon Shaped Pool constitue peut-être le seul échec de ce disque. Pas de déception avec l’apparat donné par le groupe à Nude sur In Rainbows : la délicatesse est prégnante et les harmonies sont à leur apogée. Une pépite.
Up On The Ladder, 2007 (In Rainbows b-side)
Les faces-B d’In Rainbows valaient leur pesant d’or. Last Flowers, Down Is The New Up, Slowly... Tous ces titres méritent d’être (re)découverts. Basse inquiétante, batterie martiale, effets électroniques et claviers austères, ce morceau hésitant entre calme et entrain est l’un des plus sombres de ce deuxième CD, mais également l’un de ceux qui résistent le mieux à l’épreuve du temps.
Burn The Witch, 2016 (A Moon Shaped Pool)
Premier single de A Moon Shaped Pool à avoir été dévoilé, Burn The Witch m’avait d’emblée rassuré. Les arrangements de cordes frottées en ouverture dégageaient quelque chose d’à la fois relativement inédit dans la discographie du groupe, tout en renouant avec un aspect plus mélodique que le néanmoins convaincant The King Of Limbs précédent. Et la voix de Thom Yorke - on y revient toujours - est particulièrement désarmante au moment d’entonner le très efficace refrain.
Decks Dark, 2016 (A Moon Shaped Pool)
Typiquement le genre de titre composé par Radiohead qui gagne en épaisseur au fil des écoutes, dévoilant petit à petit un caractère hanté dont on ne peut que se délecter, s’appuyant notamment sur la basse ronde d’un Colin Greenwood plus essentiel que jamais et le chant sur le fil - à un tel point qu’il ne parvient pas à le reproduire en live - de Thom Yorke. A coup sûr un compagnon de vie pour l’éternité.
The Numbers, 2016 (A Moon Shaped Pool)
Chez Radiohead, lorsqu’une guitare ouverte aux quatre vents est associée à des éléments synthétiques, que l’osmose est prégnante sans empiéter sur les mélodies, et que les méandres vocaux de Thom Yorke surplombent l’ensemble avec autant de bienveillance que d’autorité, on obtient assurément un grand morceau, peut-être celui qui se distingue le plus, se rapprochant parfois des tonalités de In Rainbows, sur ce milieu d’album aussi homogène que bouleversant.
Identikit, 2016 (A Moon Shaped Pool)
Identikit, qui précède The Numbers sur A Moon Shaped Pool, est à l’inverse ce que certains appelaient encore, croyant être "in", un "grower". Il se fond tout à fait dans une mêlée aussi cohérente que déchirante aux premières écoutes avant de se singulariser en crevant tout sur son passage, du plancher au plafond, en passant par la matière grise d’un auditeur forcément bouleversé par ce dédale d’arrangements synthético-électriques et une voix en marge, calée sur un rythme à part, qui hésite presque entre le spoken word et le chant, sans pour autant que cela ne vienne atténuer la grâce qui en émane.
Lift, 2017 (OKNOTOK)
Il aura fallu une réédition effectuée à l’occasion des 20 ans de OK Computer pour qu’une version studio de Lift soit partagée par les musiciens. La légende raconte que l’euphorie du public lorsqu’ils jouaient Lift sur scène à l’époque les a convaincus de ne pas inclure le morceau sur OK Computer, de peur de revivre les excès du phénomène Creep. Qu’importe que cela soit ou non exact. L’histoire ne se réécrit pas, et il est aujourd’hui impossible d’imaginer une autre tracklist pour OK Computer. Sans regret, donc. Toujours est-il que Lift possède, aujourd’hui encore, tous les atouts d’une "pop song" parfaite. Et que l’on ne s’en lassera sans doute jamais.
Les 20 choix supplémentaires de Rabbit :
Pour moi, Radiohead, c’est la découverte d’OK Computer comme un déclencheur de mes passions à venir grâce à un copain de fac, la claque d’Airbag sur chaîne hi-fi avec ce son extra-terrestre et cette compo d’une puissance dévastatrice qui n’évoquait encore rien au puceau que j’étais, vierge de toute connaissance musicale à l’époque, puis le clip de No Surprises et sa bouffée d’air et d’espoir.
Ensuite, dans la foulée, l’exploration de Kid A au moment même où Aphex Twin, sur recommandation de Björk et d’un autre compère des bancs de l’université, m’ouvrait les portes du label Warp. Enfin, une fascination pour Amnesiac acheté en édition limitée le jour de sa sortie - le fameux petit livret rouge - puis surtout pour Hail To The Thief dont je ne m’explique toujours pas le relatif désamour auprès des fans.
C’est cette même année 2003 aux Arènes de Nîmes que je découvrais enfin le combo en concert, avec des performances de 2+2=5, Where I End and You Begin ou encore Sit Down Stand Up (sans parler du désarmant I Will) qui allaient entériner mon admiration pour ce qui demeure aujourd’hui, après une paire de déceptions (A Moon Shaped Pool en tête, effectivement), mon album préféré du groupe (cf. ici).
Ah et évidemment, au regard de mes obsessions musicales actuelles, ce sont les face-B expérimentales et angoissées du quintette période Amnesiac et HTTT qui ont mes faveurs depuis quelques années, comme en témoigne la présence de 5 d’entre elles dans ce classement.
Killer Cars, 1994 (The Bends b-side)
Le sommet de la période pop du groupe qui compte bien sûr d’autres pépites telles que Pop Is Dead, Thinking About You ou évidemment dans une veine moins enflammée les High And Dry ou Fake Plastic Trees de The Bends. Une mélodie imparable, une bonne dose, déjà, d’absurdité existentielle et de paranoïa, des guitares qui rugissent et dissonent gentiment, ce morceau d’abord publié en live sur l’EP Itch avant d’apparaître en bonus de l’édition japonaise de The Bends justement hissait alors le combo britannique à un niveau qu’un Pablo Honey en demi-teinte n’avait pas vraiment laissé entrevoir avant ça.
(Nice Dream), 1995 (The Bends)
On lui préfère souvent le lyrisme désespéré de Street Spirit mais étant un peu revenu des synthés pas si élégants du classique officiel de The Bends, ce petit bijou mêlant orchestrations léchées et saillies d’électricité, humble mélancolie et science aiguë du crescendo dramaturgique a plus que jamais mes faveurs aujourd’hui, en ce qu’il préfigure également mieux qu’aucun autre titre de ce deuxième opus l’équilibre entre ambition/exploration et sincérité/spontanéité du chef-d’œuvre à venir, OK Computer.
Just, 1995 (The Bends)
Just c’est bien sûr la claque absurde et philosophique du clip de Jamie Thraves que des tas d’ados des 90s allaient considérer un temps comme l’un des objets visuels les plus cool de la décennie, mais c’est aussi les accents de frustration dans la voix d’un Thom Yorke déjà caméléon sur les bords, et puis le fameux solo final de Jonny Greenwood qui contribue à en faire tout à la fois l’un des tubes indie rock les plus efficaces et déglingués de l’époque.
Exit Music (For A Film), 1997 (OK Computer)
Avec sa guitare moriconienne, ses chœurs synthétiques extraterrestres et autres effets de samples anxiogènes, cette ballade funeste suintant la tragédie par tous les pores a en commun avec Airbag un extraordinaire démarrage de batterie et le fait de ne pas avoir pris une ride en 20 ans. Mes deux morceaux favoris d’OK computer aujourd’hui et toujours.
Electioneering, 1997 (OK Computer)
Comme le soulignait mon compère, je me suis surpris moi-même en n’incluant pas le radiant Climbing Up The Walls dans ce classement, mais finalement à l’heure des playlists indie rock c’est toujours cet hymne politique aux tromperies d’un système avide et profiteur qui revient en premier dans mes choix, pour rester l’un des titres les plus électrisants et addictifs du groupe.
Palo Alto, 1997 (OK Computer b-side)
Riffs fuzzy, larsens incandescents, dissonances mélodiques alambiquées et futurisme de la production, Palo Alto fut la première face-B qui m’a poussé à collectionner les singles du combo, preuve évidente que les chutes de studio de Radiohead valaient parfois bien des discographies de groupes lambda.
Motion Picture Soundtrack, 2000 (Kid A)
Avec sa mélodie d’orgue partagée entre espoir et mélancolie, le final de Kid A est l’un des sommets de réconfort d’une disco qui à l’image de celle de l’idole Nick Drake aura plus d’une fois tenté de réenchanter un monde éteint entre deux lamentations plombées. Ici, c’est une harpe électroniquement modifiée et des chœurs presque aussi féériques qui s’en chargent avec la grâce que l’on sait.
Like Spinning Plates, 2001 (Amnesiac)
La façon dont ce morceau fantomatique à souhait se désentrelace et s’éclaire peu à peu en fait l’un des ovnis de la discographie du groupe et l’un de leurs titres qui me fascinent le plus, cette atmopshère à la fois organique et désincarnée préfigurant par ailleurs des faces-B qui allaient, suite au diptyque Kid A/Amnesiac, faire basculer le groupe dans l’expérimentation la plus décomplexée. Sur mon podium personnel ou pas loin.
Fast-Track, 2001 (Amnesiac b-side)
Ma face-B - et donc l’un de mes morceaux - préférée du groupe, une bizarrerie dark, hypnotique et abstraite où les quelques chœurs insidieux de Thom Yorke et une batterie chamanique viennent renforcer l’impression d’une litanie hallucinée projetée dans notre cerveau par le subconscient tourmenté de quelque entité non-humaine, comme un appel à l’aide via un mystérieux substitut de code morse : chom.chom.chom.chom.chom.chom.chom.chom.chom.chom-chom !
The Amazing Sounds Of Orgy, 2001 (Amnesiac b-side)
... ou surtout les sons d’un cauchemar éveillé pour un morceau au groove tribal qui à deux ans près aurait très bien pu être l’un des sommets d’un Hail To The Thief dont il préfigure les ondulations de nappes hantées. Possiblement ce que Radiohead a produit de plus intrigant et flippant au format chanson - la performance live ci-dessous, plus épurée, ne rendant pas vraiment justice à la production anxiogène de la version studio :
Worrywort, 2001 (Amnesiac b-side)
Morceau liquéfié s’il en est, Worrywort préfigure par son beatbox discret certaines expérimentations à venir de Thom Yorke sur The Eraser, et sa production électronique à base de synthés analogiques se frotte aux kicks de la batterie de Phil Selway et à quelques cascades de cordes cristallines pour se transformer en véritable rêverie organique dont la douceur prend un bon coup de désespoir dans l’aile à 3’38 pour une petite dizaine de secondes d’un spleen à coller le frisson, sorti d’on ne sait trop où au détour d’une intonation.
Sail to the Moon, 2003 (Hail To The Thief)
Encore une ballade lugubre, bien dans l’esprit fantomatique et déliquescent du grand Hail To The Thief. Ce qui vaut en particulier à celle-ci une place de choix dans mon classement, ce sont ces arrangements électroniques irridescents et bien sûr ce final exsangue qui vous hante longtemps lorsque le piano s’efface peu à peu et disparaît dans le néant.
We Suck Young Blood, 2003 (Hail To The Thief)
Suite directe du génial Where I End And You Begin, cette messe sépulcrale suinte du même fatalisme désespéré, celui pourquoi pas des vampires modernes du Trouble Every Day de Claire Denis forcés de pallier à une condition qui les plonge dans le dégoût de soi et la neurasthénie... du moins jusqu’à cette brève orgie de sang à 2’58 qui réveille les irrépressibles instincts de ces goules milléniales.
Paperbag Writer, 2003 (Hail To The Thief b-side)
Sample capiteux, basse au groove assassin et un beat qui évoque une autre face-B monstre de ce cru 2003, le I Against I de Massive Attack featuring Mos Def, Paperbag Writer est encore l’une de ces "chutes de studio" de l’époque 2001-2003 hantées jusqu’à la moelle qui auraient mérité au même titre que Fast Track, The Amazing Sounds Of Orgy, Worrywort ou Where Bluebirds Fly de figurer sur un album à part entière plutôt que de se trouver disséminées au fil des ans sur divers singles et EPs (Com Lag dans le cas présent). 10 morceaux de ce calibre et je tenais peut-être bien mon album préféré du groupe.
Where Bluebirds Fly, 2003 (Hail To The Thief b-side)
Autre face-B sublime de l’époque HTTT également présente sur le single There There, quasi instrumentale cette fois à l’exception des imprécations fantomatiques d’un Thom Yorke à la voix noyée sous les effets. Beat déstructuré façon label Warp canal historique et arpeggiators de purgatoire, l’atmosphère est au minimalisme électronique mortifère, sorte de relecture cybernétique de quelque BO anachronique de film de vampires gothique. Claque.
Weird Fishes (Arpeggi), 2007 (In Rainbows)
Étrangement mal-aimé des défenseurs d’In Rainbows dont d’autres morceaux m’ennuient sec (House Of Cards) voire m’insupportent au plus haut point (Nude), cette polyphonie aux cascades d’arpèges spleenétiques et à la rythmique fervente est pourtant un enchantement de tous les instants dans sa progression qui s’étoffe jusqu’au dénuement magique d’un break électronique semblant convoquer sur quelques instants suspendus, avant que ne surgisse la mélodie poignante d’une coda enflammée, la grâce évanescente du Vespertine de Björk (dont l’émouvant duo avec Thom Yorke extrait de la BO de Dancer in the Dark, I’ve Seen It All, méritait d’ailleurs une mention dans cet article... c’est donc chose faite !).
Down is the New Up, 2007 (In Rainbows b-side)
Malgré quelques accents plus lumineux sur les ponts, la quintessence des faces-B malaisantes et plombées du groupe avec son piano funèbre, sa batterie martiale, ses cordes dramatiques fortement marquées par Morricone sur les refrains et puis ce chant bipolaire qui embrasse les tourments de changements d’humeur irrépressibles.
Last Flowers, 2007 (In Rainbows b-side)
Si elle ne m’avait pas spécialement fait d’effet à sa sortie en face-B d’In Rainbows (sur le fameux second CD où l’on retrouve également Down Is The New Up), cette ballade piano/guitare sur le crépuscule d’une relation m’apparaît aujourd’hui comme l’une des mélodies les plus troublantes et touchantes de Thom Yorke, au point que Last Flowers aurait désormais mes faveurs en comparaison d’un Codex ou d’un Karma Police.
Codex, 2011 (The King Of Limbs)
Un morceau qui n’a l’air de rien avec son beat cotonneux et le minimalisme solennel de son piano majeur, mais une fois que vient s’y greffer la mélodie vocale on tient un chef-d’œuvre d’épure ou pas loin, qui sans le moindre excès d’emphase ou sans lyrisme exacerbé parvient à toucher au plus profond de l’âme, culminant à 3’35 quand les ondes Martenot font discrètement surface le temps d’un break impressionniste d’une subtilité à tomber.
Daydreaming, 2016 (A Moon Shaped Pool)
Oasis de magnificence au sein d’un album-somme qui recycle beaucoup sans faire preuve à mon sens d’une grande inspiration (l’ajout en conclusion du passable et daté True Love Waits en témoigne d’ailleurs), Daydreaming n’est lui-même pas exempt d’emprunts un peu trop évidents, notamment à Kid A (de la mélodie de Motion Picture Soundtrack aux arrangements évanescents d’How to Disappear Completely) mais son ambition inversement proportionnelle à celle du reste de l’album (hormis peut-être Decks Dark, plébiscité par mon compère plus haut), sa paradoxale humilité ("We are just happy to serve... you"), ses textures oniriques et les cordes d’un Jonny Greenwood décomplexé par son parcours désormais célébré de compositeur contemporain (cf. plus bas) font toute la différence et emplissent ce morceau d’une grâce assez irrésistible, transcendée par le labyrinthe visuel aussi étourdissant que claustrophobe de Paul Thomas Anderson :
5 bonus (side projects)
Thom Yorke - Analyse (The Eraser, 2006)
Avec The Eraser, Thom Yorke accomplissait ce qui reste probablement l’oeuvre parallèle la plus aboutie d’un membre du combo. Et sur cet album, après le titre homonyme vient un Analyse qui prolonge l’angle de tir d’un Hail To The Thief mariant des circonvolutions électroniques glaciales à des mélodies plus immédiates. Et si la version originale s’appuie sur des arrangements fournis, c’est durant les concerts où Thom joue ce titre seul au piano que l’on apprécie le mieux le pouvoir mélodique aussi évident que fondamentalement beau d’Analyse.
(Elnorton)
Johnny Greenwood - Open Spaces (There Will Be Blood OST, 2007)
On avait pu déceler depuis l’époque Kid A les envies d’évasion du guitariste et benjamin de Radiohead, multi-instrumentiste au background de musicien classique (il joua dans plusieurs orchestres au lycée), passionné de programmation informatique durant ses jeunes années et fan des compositeurs contemporains Messiaen, Penderecki ou encore Ligeti, entre autres influences jazz, électroniques ou krautrock. On retrouvait un peu tout ça mais de façon trop décousue sur la BO du documentaire Bodysong en 2003, et c’est 4 ans plus tard sous la houlette du cinéaste Paul Thomas Anderson (qu’il n’a cessé d’accompagner depuis) que le talent de compositeur du Britannique éclate véritablement avec le score du fabuleux There Will Be Blood et ses atmosphères de fin de monde aux troublantes orchestrations microtonales.
(Rabbit)
One Little Plane - She Was Out In The Water feat. Colin Greenwood (Into The Trees, 2012)
En ouverture d’un Into The Trees dont on attend depuis cinq ans le successeur, Kathryn Bint - croisée au chant sur le Melody Day de Caribou - s’est adjoint les services de Lucy Jamieson aux percussions et de Henry Scowcroft sur une guitare additionnelle, mais c’est bien la présence de Colin Greenwood à la basse qui constitue l’étincelle permettant à She Was Out In The Water de décoller véritablement.
Aussi ronde qu’à l’accoutumée, la quatre-cordes de Colin semble battre la mesure de manière pulsative sur un titre évidemment plus avenant, lumineux et suave que ceux du répertoire de Radiohead, équilibrant ainsi autant qu’il lie les différents éléments d’un morceau qu’il contribue à rendre dévastateur.
(Elnorton)
Atoms for Peace - Default (AMOK, 2013)
Sommet d’un AMOK aux allures de véritable suite de l’excellent The Eraser, cet hymne électronique à la fois fébrile dans sa rythmique et contemplatif dans ses nappes analogiques (le chant de Thom Yorke faisant le pont entre ces deux humeurs, légèrement angoissé sur les couplets et plus apaisé sur le refrain) ne trompe pas sur l’identité du véritable auteur des compos de ce supposé "super-groupe". C’est simple, sur Default on n’entend que le leader de Radiohead, et finalement c’est tant mieux.
(Rabbit)
Phil Selway - Let Me Go (Let Me Go, 2017)
Avant qu’il ne se lance dans une escapade en solitaire, qui aurait pensé que le batteur Phil Selway pourrait composer d’aussi majestueuses mélodies ? A l’image de Let Me Go, titre prêtant son nom au dernier album de l’artiste, les accords plombés au piano, arrangements de cordes inquiétantes et batterie forcément renversante convoquent une émotion clairement palpable à laquelle s’ajoute une voix relativement quelconque qui parvient néanmoins à bouleverser par son authenticité.
(Elnorton)
- Sulfure Session #1 : Aidan Baker (Canada) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Sulfure Session #2 : The Eye of Time (France) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Aidan Baker + The Eye of Time (concert IRM / Dcalc - intro du Sulfure Festival) - Le Vent Se Lève (Paris)
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