Live Report : Godspeed You ! Black Emperor (TNB Rennes - 18 Octobre 2017)

Mercredi 18 Octobre, les mélomanes bretons avaient nécessairement rendez-vous au mythique Théâtre National de Bretagne à la rencontre des non moins incontournables Canadiens de Godspeed You ! Black Emperor.

Ce concert revêtait un caractère particulier puisqu’il offrait la première collaboration depuis un quart de siècle entre l’association des Transmusicales - qui avait accueilli GY !BE en 1998 dans son festival - et le TNB. La dernière mutualisation des ressources de ces deux entités avait permis de célébrer la venue de Dead Can Dance en Bretagne. A défaut de jongler entre les deux orientations du pseudonyme des Britannico-Australiens, les Canadiens tranchent et en ce 18 Octobre, il sera davantage question d’ambiances funéraires que de danse.

Avant de découvrir pour la première fois le combo sur scène, quelques-unes des légendes l’entourant se mêlaient, rappelant donc les lectures de live reports évoquant un son très fort, des sets dénués de la moindre communication, des prestations dos au public et surtout des envolées endiablées captant immédiatement l’attention de l’assistance pour ne jamais la laisser retomber totalement.

Dans l’enceinte rennaise, Godspeed You ! Black Emperor a été fidèle à sa réputation, tout en assumant quelques nuances. Les légendes contiennent toujours leur lot d’exagérations. Si les Canadiens jouent fort, ils n’explosent jamais le compteur de décibels (et feraient figure de petits joueurs à côté de Swans par exemple). Si la configuration en demi-lune (voire en cercle complet quand une neuvième musicienne rejoint la troupe) oblige certains membres à tourner le dos à une partie du public, il ne s’agit nullement d’une posture.

Quant à l’absence de communication évoquée dans certains live reports, elle est évidente au niveau verbal puisque le combo ne prononce pas le moindre mot pendant une heure et demie, mais elle est clairement erronée si l’on considère la communication dans un sens plus large. Si personne ne parle chez Godspeed, c’est parce qu’il n’y a rien à dire que leur musique ne véhicule pas.

Restent donc ces envolées endiablées qui envoûtent le public. Aucune objection à apporter à ce pan de la légende du combo qui se montre en grande forme. Il faut dire qu’avec Luciferian Tower, leur dernier album en date encensé dans nos colonnes, les Montréalais avaient remis l’église au centre du village : ils furent et restent les tauliers du mouvement post-rock.

Inutile de procéder à une analyse morceau par morceau lorsque l’émotion est à ce point à son comble. Pendant une heure et demie, le spectateur assis dans l’amphithéâtre a l’impression d’être bloqué dans des montagnes russes. Il est parfois enfoui dans les profondeurs pour amorcer une remontée de plus en plus ténue avant de planer pour mieux redescendre et recommencer ce cercle profondément vertueux.

Il convient néanmoins d’évoquer rapidement la setlist, qui s’ouvre comme toujours sur cette tournée avec Hope Drone pour enchaîner avec les quatre titres de Luciferian Tower dans le désordre, Bosses Hang précédant Anthem for No State, Fam/Famine et le sommet Undoing a Luciferian Towers, puis les deux morceaux de l’EP Slow Riot For New Zero Kanada, à savoir l’inoubliable Moya et BBF3.

Durant toute cette prestation, les Canadiens semblent être des fourmis. Comme chez ces dernières, chacun apporte sa contribution à l’édifice et assure sa "part du colibri". Mais le contenu final dépasse la somme des parties. En mutualisant leurs savoir-faire de manière presque autistique, ils accomplissent une oeuvre transcendante qui semblerait inaccessible pour des musiciens refusant toute mise en lumière sans que cela ne nuise au charisme évident de ses membres.

Les visuels, projetés à l’aide d’un rétro-projecteur si "old school" qu’il est parfois audible lorsque le groupe calme le jeu, offrent à la volée le survol d’une ville filmée depuis un tramway (à la manière du Star Guitar des Chemical Brothers dirigé par Michel Gondry), les déambulations de voitures de police, l’inspection de tours (les fameuses Luciferian Tower) ou des éléments naturels oscillant entre fleurs et étendues aquatiques. L’écran est divisé en deux parties, et les visuels de chaque face se répondent, parfois avec un décalage, parfois en association, l’un des visages semblant toujours plus optimiste que l’autre, façon doppelgänger.

Ces illustrations sont tellement obsédantes qu’à la fin du BBF3 final, le regard reste fixé (figé ?) sur celles-ci quand quelques applaudissements obligent l’attention à se rediriger vers la scène. Stupeur, les musiciens viennent de la quitter dans la discrétion la plus totale. Quelques bourdonnements persistent pendant de longues minutes, une partie du public se lève pour offrir une standing ovation méritée à ce groupe qui vient d’administrer non pas une claque, mais un sacré revers dans la face de l’assistance. Et quand les larmes montent à la fin du show, c’est que l’émotion était nécessairement palpable.

Au fond, nous savons pourquoi nous aimons tant Godspeed You ! Black Emperor, mais ce genre d’expérience, avec un son remarquable, permet d’en avoir le cœur net : il n’existe probablement aucune formation musicale assurant avec autant d’aisance le lien entre la mélancolie (traduite par le violon gracile de Sophie Trudeau) et la révolte (que les embardées électriques et les drones incarnent) qui sommeillent en chacun de nous.


Articles - 21.10.2017 par Elnorton
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