Live Report : Sleaford Mods (Rennes, Ubu, 22 Mai 2017)
Assister à une performance de Sleaford Mods ne constitue pas un privilège tant les Britanniques sont généreux et ne se contentent pas de la Perfide Albion lorsqu’il s’agit de répandre leur venin. Mais assister à un live des Sleaford Mods dans une petite salle telle que l’Ubu constitue une expérience radicalement différente de celle qu’ils avaient proposée l’été dernier à La Route du Rock, où la verve de Jason Williamson parvenait pourtant à méduser l’ensemble de l’auditoire.
Pour ceux qui ne sont pas intimes avec le parcours des deux Britanniques, il convient d’effectuer un petit rappel. Depuis 2007, Jason Williamson prend un malin plaisir à condamner les dérives mondialo-libérales, que ce soit en interne ou à l’international, sur des boucles redondantes mais toujours acérées confectionnées initialement par Simon Parfrement, puis par Andrew Fearn.
Ce dernier a rejoint le projet en 2012 et les Sleaford Mods ont alors pris une autre dimension. D’abord en 2013 avec un Austerity Dogs qui faisait partie de ces disques reconnus trop tardivement pour être acclamé, puis l’année suivante avec le sommet Divide & Exit. La décevante parenthèse Key Markets plus tard, durant laquelle le duo s’est vu trop beau et trop sérieux, celui-ci revenait avec un EP percutant intitulé T.C.R. puis il y a quelques mois, l’excellent English Tapas.
Et voici donc le duo sur scène à l’Ubu, une demi-heure après un Mark Wynn concluant son set par « the joke is over ». La blague comme résonnance avec la prestation que fournissent les Sleaford Mods. La salle affichent évidemment complet et si Jason Williamson se tient au centre de la scène, Andrew Fearn prend place sur le côté, affublé d’un tee-shirt de Run-DMC, une main ne quittant sa poche que pour appuyer sur « play » lorsqu’un morceau débute, l’autre main servant à tenir une bière qui ne cesse de mousser au gré des mouvements du producteur.
Dès les premières notes d’Army Nights, le contraste est saisissant entre les deux artistes. Le chanteur hurle sa rage au micro et semble habité par son propos, tandis que son acolyte est presque admiratif de la performance de Williamson. Il ne serait presque pas exagéré d’affirmer que Fearn est un spectateur parmi les autres. Il pianote sur son portable lors du deuxième titre, l’extraordinaire I Can Tell, percutant à souhait et sur lequel le public accompagne les « Pulled apart and bust / Pulled apart and pushed », siffle sa bière, reste parfois passif et s’anime à l’occasion de quelques refrains sur lesquels il chante, mais sans que la possibilité d’avoir un micro ne lui soit offerte. Andrew Fearn remue les lèvres comme toutes les autres personnes présentes dans la salle. Il n’est qu’un spectateur de plus de la prestation dantesque livrée par Jason Williamson qui reprend les (déjà) standards du dernier album du combo.
A vrai dire, Fearn aime jouer de cette image du type placide et nonchalant. Tout le monde sait pourtant qu’il est le producteur des instrumentations du duo depuis 2013, ce qui correspond – c’est cette fois tout sauf immérité – avec la période qui lui a permis d’obtenir une notoriété plus massive. Chez les Sleaford Mods, le jeu de scène nourrit la richesse des compositions en studio, et vice-versa.
On imagine un spectateur découvrant en live l’univers des Sleaford Mods. Sans doute se dirait-il qu’il s’agit-là de bêtes de scène – le terme « bête » étant à prendre au sérieux s’agissant d’un Jason Williamson prompt à imiter toute l’animalerie, de la chèvre au chien, notamment sur I Can Tell, quand il ne mime pas des pets qui font écho au rot ouvrant la version studio d’un A Little Ditty paru sur Divide & Exit et aujourd’hui ignoré – qui ne peuvent pas tenir la route sur disque.
Tout le monde s’est d’ailleurs déjà posé la question de savoir à partir de quand, avec une recette aussi minimale, les Sleaford Mods commenceraient à tourner en rond. Pas aujourd’hui en tout cas. Jason Williamson s’époumone, apostrophe le public sur lequel il postillonne parfois tellement la fougue est au rendez-vous sur des titres au rythme enlevé tels que Moptop ou T.C.R.
Mais il ne s’agit pas que de déverser sa verve en pleine figure d’un public comblé. Jason Williamson fait ses petits pas en arrière, remue les bras de manière compulsive derrière son oreille, s’agite et propose, sans même s’en rendre compte, une forme de transe, état dans lequel lui comme le public peuvent entrer sur un titre binaire moins immédiat comme Time Sands.
Au final, l’essentiel d‘English Tapas y passe, les déjà cultes Carlton Touts, Drayton Manored en tête et le sommet B.H.S. pour conclure le show avant un rappel puisant dans les œuvres précédentes du groupe. Parmi les titres essentiels de ce dernier disque, seul I Feel So Wrong est boudé, peut-être parce qu’il ne correspondait pas à l’état d’esprit d’un Williamson indiquant que sa promenade rennaise lui a donné un a priori particulièrement positif de la ville – l’inverse aurait été étonnant lors d’une journée si ensoleillée – et qu’il aimerait connaître la prononciation exacte du nom de la ville.
Après une courte disparition, le duo revient pour un rappel débuté par Jobseeker, morceau composé aux débuts du projet alors qu’Andrew Fearn n’en faisait pas partie, et achevé par un Tweet Tweet Tweet hypnotique et à la rythmique déroutante qui finit de mettre le feu à la salle. Une heure tout rond, mais le public a clairement été récompensé par les Sleaford Mods. Ceux-ci ne trichent pas, il n’y a pas de posture dans leur démarche et rien que la performance vocale d’un Jason Williamson qui ne flanchera – très légèrement – que sur la fin de B.H.S. restera longtemps dans les mémoires de chacun des membres de l’assemblée.
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