Le Gras - #3
Le Gras balance sept morceaux dont on ne sait pas grand chose. Improvisation et free-rock rituel au menu. C’est bon.
1. Le Single
2. Souffler Sur Les Braises
3. Une Odeur De Grillé
4. Menthe À l’Eau
5. Ma Kalach
6. L’Helpe Mineure
7. Black Oak Cheddar
Quelques Berline0.33, quelques Drive With A Dead Girl, un peu d’électronique (Niels Mori) et une autre batterie (Sophie W.) pour faire tenir le tout et entre eux, des morceaux improvisés et incantatoires qui multiplient les minutes - jusqu’à quarante-six pour Ma Kalach - et donnent lieu à un premier document sobrement intitulé #3. Oui, on parle de document bien plus que d’album car en fait, on ne sait pas trop de quoi il retourne. Il semblerait que ces sept morceaux aient été enregistrés sur trois jours au mois d’avril. Pas très loin d’une rivière, devant une cheminée, tout près de la cuisine car « pendant que les plats mijotent tendrement, nous jouons ». D’où peut-être aussi l’impression d’entendre quelque chose qui se lie, s’épaissit, prend forme. Une mixture pas totalement aboutie sans doute mais qui dégage déjà des effluves très intéressants. C’est très free bien sûr, pas vraiment tendre en revanche, assez flou dans la forme mais ça tient étonnamment debout. On ne sait pas quel statut Le Gras confère à ses morceaux. Sont-ils en devenir ou sont-ils advenus une bonne fois pour toutes ? Sont-ils appelés à renaître ou au contraire à disparaître après avoir été capturés ? On n’est pas sûr du tout qu’il y aura une suite pour ces sept-là, pas sûr non plus que Le Gras puisse les rejouer à l’identique. Improvisées, les grandes lignes directrices apparaissent puis disparaissent, elles sont répétées mais cela suffit-il à les fixer dans les doigts ?
Ce que l’on sait en revanche, c’est que même ersatz, ces pièces ont déjà du poids. Elles font preuve d’un pouvoir de séduction indubitable et tout a beau être de guingois et mal délimité, on reconnaît sans peine ce qui nous a tant attiré chez Berline0.33 et Drive With A Dead Girl : le goût pour la répétition cinglante, les lignes arachnéennes, le post-punk (écorché pour les uns, plus feutré pour les autres), le psycho-kraut et surtout, la grande élégance. Sans pour autant que les pièces du groupe relèvent des uns ou des autres. Ça vibre et ça s’échappe dans le cortex, ça dessine des cercles concentriques dont on sait bien qu’ils finiront par nous enfermer et on est bien content de voir tout ça grandir dans les oreilles. L’approximation devient mise au point et la mise au point se transforme en morceaux. Qu’importe alors qu’il faille dix, vingt ou quarante minutes pour que le mouvement se crée, il advient et c’est tout. Le groupe ne craint pas de prendre son temps. On n’est pas si éloigné - dans le souffle et les textures tout du moins - du Hex Induction Hour de The Fall par exemple, cette même impression de surprendre le groupe dans l’arrière-cuisine, de capter son élan créatif et du coup, on pense beaucoup à l’album que ça pourrait donner tout en étant bloqué sur ce qu’il est. Alors bien sûr, étant en grande partie improvisé, il arrive que les sept intervenants ne coïncident pas (un Menthe À l’Eau un poil poussif dans son entame, par exemple) mais la plupart du temps, ce qu’ils font ensemble fonctionne et coule. Y compris les trois-quarts d’heure de Ma Kalach, sombre mouvement ambient au départ, rivé sur son drone qui imite le ressac. Ça pouvait être n’importe quoi, ça ne l’est pas. Incantatoire, rituel, l’improvisation amène Le Gras à croiser les eaux profondes de Sylvester Anfang II ou d’YRSEL. Le groupe ne sait peut-être pas trop où il veut aller mais il nous y emmène sûrement et le morceau se déploie sans en avoir l’air.
Du coup, présenté un peu comme un projet récréatif, on se dit tout de même qu’il se joue là-dedans des choses importantes. Berline0.33 n’est plus, Drive With A Dead Girl existe encore, Le Gras est appelé à ne pas disparaître. En témoignent Souffler Sur Les Braises, L’Helpe Mineure ou encore Menthe À l’Eau, un peu plus resserrés dans le temps (rarement moins de dix minutes toutefois) mais pas moins possédés, montrant chacun une facette de Le Gras. Et si l’on ne sait pas trop quels sont les plats qui mijotent pendant que le groupe joue, leur goût est sans doute basé sur la subtilité, l’amertume et un peu tout ce que l’on retrouve dans #3. De prime abord, il n’était pas question d’en faire une chronique mais les mots ont pourtant pris le dessus. Comme la musique. On sent bien que tout ce petit monde prend ses improvisations au sérieux, il s’agirait donc en retour de faire de même. En attendant impatiemment la suite.
Au cœur de L’Avesnois, sûrement. Au cœur du (Le) Gras, exactement.
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