Melodica Deathship - The Sunken Path EP

Cinq titres, c’est peu et en sus, ils ne sont pas très longs. Mais cette poignée de minutes suffit à Melodica Deathship pour construire son intense épopée. Cartographie.

1. Standing On The Hill
2. Sea Beyond The Sea
3. All Horizon
4. Thirteen
5. Asenath

date de sortie : 03-05-2012 Label : Cooler Than Cucumbers

D’accord, celui-ci est un peu court. D’un autre côté, c’est un peu normal : c’est un EP. Mais qu’importe, il mérite quand même une chronique. C’est qu’à peine lancé, il vous enferme dans ses filets et c’est terminé, vous en devenez captif. Tout en restant consentant. Car le duo n’a pas son pareil pour extirper des sons glauques de son mélodica, toujours parfaitement déliquescent, et injecter force gravité et turpitude dans le folklore irlandais qui est une nouvelle fois joliment défiguré et remodelé au grès des idées grises qui vont et viennent le temps de ces cinq trop courts morceaux. D’ailleurs, c’est bien là que se situe la grande originalité de Melodica Deathship : délocaliser la Lande verdoyante et les banshees de l’Irlande directement au cœur d’une quelconque mégalopole bétonnée et stressée. Un choc culturel qui modifie le paysage et n’épargne pas les tympans. Le vent mauvais qui s’extirpe des bas-fonds et des parkings souterrains fait vibrer les cordes de la harpe celtique, caresse les trèfles à contre-poil et le résultat ne ressemble à rien de connu : à la fois bucolique et aéré pour ce goût des grands espaces fouettés par les vagues et dans le même temps, assailli de sons urbains, grouillants et anxiogènes, d’un flow terrible qui prend le temps de consciencieusement désosser ses diatribes, rappelant sans équivoque les jungles de béton. On ne sait plus trop si on prend l’air ou si l’on en manque, la moindre bouffée d’oxygène prend le goût du dernier souffle. La respiration de The Sunken Path est donc des plus surprenantes, tout comme l’était déjà celle de Doom Your Cities, Doom Your Towns en 2010.

Mais on y trouve toutefois une différence, de celles que permet le très court format : sur celui-ci, pas de risque de redite. C’est que le précédent finissait par perdre son éclat sur la longueur, les morceaux semblaient alors répéter les mêmes formules et passé l’effet de surprise, la dynamique de l’ensemble, fatalement, s’estompait. Attention, il était quand même franchement réussi et on y revient d’ailleurs souvent encore mais il était aussi un brin inégal. Bien évidemment aucun risque de ce côté-là avec The Sunken Path, on regrette juste cette fois-ci ses si courtes minutes, une vingtaine en tout et pour tout. Parfaitement équilibré, il file à la vitesse de la lumière. À peine la scansion martiale de Standing On The Hill s’installe-t-elle que l’on arrive au mélodica mélancolique d’Asenath, qui, doucement bercé des ondes d’un thérémine, vient parfaitement clore l’EP. Mais entre les deux, il se passe tellement de choses qu’on ne s’y ennuie jamais et pourtant, on en connait des maxis pénibles qui prennent la poussière, un ou deux titres bien troussés pour quelques autres venant remplir les vides. Ça ne sera pas le cas pour celui-là : trop dense, trop varié dans ses attaques même si l’atmosphère, passablement inquiète et oppressante une fois installée, ne varie pas d’un iota. Le mélodica, parfois décharné, lointain ou au contraire bien devant et le flow didactique d’Exile Eye, toujours proche de celui de Crescent Moon de Kill The Vultures dans sa façon très particulière de détacher les syllabes et d’articuler les phonèmes, se fraie un chemin au milieu des beats implacables habillés d’effets électroniques et des basses compactes et souvent agressives de Deep Burial.

Ainsi, dès Standing On The Hill, c’est parti pour un voyage en Atlantique Nord sous pavillon noir et sur les vagues déchaînées, l’entame anxieuse est vite rejointe par le chant exalté de Sinead Pierce qui laisse la place au mélodica le temps du refrain avant de reprendre de plus belle puis de se taire définitivement alors que ne subsiste qu’un long bourdonnement habité d’un vent marin. Un morceau qui évoque une autre Sinead - celle-ci avec un accent aigu sur le e mais tout autant irlandaise - mais qui balancerait ses vocalises sur un tapis de drones inquiets. Le tout amène tranquillement l’ossature strictement synthétique de Sea Beyond The Sea qui précède le premier titre rappé, All Horizon, accumulant beaucoup de tensions sans jamais exploser, laissant le soin à Thirteen de signifier qu’il s’agit avant tout ici d’une musique protestataire, contre une économie carnivore et un avenir sans issue. Le morceau est agressif et massif, sec comme un coup de trique ou de canon, c’est selon et n’est pas sans rappeler les visions sépulcrales d’un Dälek même si le duo reste avant tout lui-même. Ce qui frappe également, c’est la production claire, ciselée et détaillée qui s’oppose à celle, bien plus souffreteuse et lo-fi, de Doom Your Cities, Doom Your Towns mais même en laissant ainsi ses guenilles de côté pour se vêtir d’étoffes plus fines et mieux ajustées, le duo reste belliqueux et conserve son souffle lugubre. Un souffle traversant Asenath et ses ondes qui ne pouvait mieux achever The Sunken Path.

Bref, on l’aura compris, cet EP ne laisse pas indifférent : court mais dense, oppressant mais aéré, vert mais gris, les deux corsaires de Melodica Deathship fracassent les contraires. Et si sa mixture est bien difficile à cerner, hip-hop certes mais pas que, drone aussi, doom un peu, son groove particulier aux accents gaéliques prononcés attire énormément. Tirées à seulement 300 exemplaires par le formidable Cooler Than Cucumbers, vous savez ce qu’il vous reste à faire car on imagine sans peine que les copies devraient rapidement disparaître devant l’excellence de l’ensemble.

C’est bien la première fois qu’un mélodica ne m’aura pas fait mourir de rire mais plutôt de froid et d’effroi et rien que pour cela, un grand merci...

Formidable.


Chroniques - 05.05.2012 par leoluce
 


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