Piano on the beat

Grandeur et décadence obligent, on ne dira plus "piano à queue" mais bien "piano à beat" après un rapide tour d’horizon de ces fusions supposément contre-nature entre piano et musique électronique qui nous réservent chaque année leur lot de bonnes surprises. Après Library Tapes et Bosques de mi Mente en 2008, puis Jon Hopkins ou Aufgang l’an dernier, on citera donc pêle-mêle pour l’année 2010 :


- Chilly Gonzales : outre de régulières collaborations avec Feist, Mocky ou Jamie Lidell, le touche-à-tout déjà connu pour ses méditations à la Satie au piano solo, son hip-hop lascif de dandy décadent ou ses plus récentes aventures du côté de la soft pop des 70’s ( Soft Power, 2008) semble avoir tiré le meilleur de ces aventures successives avec son dernier album en date Ivory Tower produit par l’allemand Boys Noize. Soit la touchante profession de foi d’un misanthrope à la recherche de ses émotions perdues, dont le mélange étonnamment sobre de piano gracile et de beat italo-disco épuré lui permet toutes les audaces, d’envolées bucoliques au lyrisme contenu (Knight Moves) en signatures rythmiques complexes dignes de Dave Brubeck (Never Stop, Pixel Paril, ou Smothered Mate pas loin non plus d’Aufgang) en passant par le romantisme synthétique de Bittersuite (dont la vidéo joliment décalée nous dévoile au côté du trublion canadien son amie Peaches sous un jour inédit) ou Final Fantasy, le clavecin baroque de l’aérien Rococo Chanel, un spoken word aussi cru que poignant sur Crying ou The Grudge dont le traitement vocal du refrain flirte dangereusement avec le r’n’b radiophonique, ou encore quelques hymnes pop candides d’une belle efficacité (You Can Dance, Siren Song) à l’image du single I Am Europe :



- Francesco Tristano : à tout juste 25 ans, le pianiste luxembourgeois tiers d’Aufgang n’a décidément peur de rien, comme enregistrer son troisième album Idiosynkrasia dans les studios de Carl Craig à Detroit ou se produire sur scène quelques mois plus tard à Ibiza pour un set à quatre mains avec le pape de la techno en personne. Il faut dire que le parcours du jeune homme est prestigieux, de sa victoire au Concours International d’Orléans en 2004 aux conservatoires de Luxembourg, Bruxelles et Paris en passant par cinq années d’études à la très select Juillard School de New York, tout ça pour finalement reprendre des titres d’Autechre ou de Jeff Mills sur l’acclamé Not For Piano produit avec moult subtilités ambient par le mexicain Murcof en 2007, en voilà un virage comme on les aime. Et si tout n’est pas aussi réussi sur ce nouvel opus avec notamment des expérimentations dub ou IDM peu convaincantes, demeurent ces plages néo-classiques impressionnistes et de belles incursions plus ou moins efficaces (le hip-hop de Mambo, la house d’Idiosynkrasia et Fragrance De Fraga) ou aventureuses (l’ambient jazz de Wilson, frappant de modernité).



- Akira Kosemura : pour son cinquième album en quatre ans, le japonais protégé de l’australien Lawrence English qui l’avait révélé sur son label Someone Good en 2007 semble vouloir dissocier piano et musique électronique en ménageant d’un côté compos néoclassiques minimalistes dans la continuité de son excellent mais très court Polaroid Piano de l’an dernier, et de l’autre électronica bucolique tentée par un lyrisme à l’islandaise, maculée de claviers jazzy et d’arrangements acoustiques. On regrettera quelques titres d’inspiration plus ouvertement japonaise tels qu’Over The Horizon et sa mélodie piano/guitare plagiée d’un peu trop près sur Joe Hisaishi ou le final Ensemble aux arrangements de synthé un peu cheap, mais dans sa globalité ce lumineux Grassland n’en reste pas moins tout à fait recommandable.



- Nils Frahm & Anne Müller : au côté du Singular Forms (Sometimes Repeated) de Sylvain Chauveau sur lequel on reviendra sûrement à l’occasion des bilans de fin d’année, ce sont les collisions entre IDM épique aux glitchs subtils, piano impressionniste et violoncelle spleenétique qui tiennent le haut du pavé dans ce billet avec le merveilleux 7fingers. Après la réédition en début d’année du superbe The Bells produit par Peter Broderick dans une veine nettement plus dépouillée au piano solo, l’allemand nouvellement résident du label Erased Tapes accoquiné en août avec Machinefabriek sur le poignant Unter / Über EP livre un véritable chef-d’oeuvre d’électro moderne habité par le jeu intense de sa compatriote violoncelliste, de quoi nous autoriser cette petite entorse à la règle puisque le piano bien que prépondérant se fait ici plus discret.


Blog - 20.11.2010 par RabbitInYourHeadlights