Sophia - As We Make Our Way (Unknown Harbours)
Il faut parfois sentir s’échapper quelque chose qui nous appartient pour se rendre compte à quel point elle nous était indispensable. Et si c’était le cas de cette année 2016 ? Sale millésime dans de multiples domaines, il se pourrait pourtant qu’au niveau musical, ce cru soit l’un des plus fameux de la décennie actuelle.
1. Unknown Harbours
2. Resisting
3. The Drifter
4. Don’t Ask
5. Blame
6. California
7. St. Tropez / The Hustle
8. You Say It’s Alright
9. Baby, Hold On
10. It’s Easy To Be Lonely
Et les nouvelles modalités d’écoute ne nous permettent pas toujours de nous en rendre compte. Car l’offre est abondante et accessible. De fait, la tendance au zapping est forte, et il est difficile d’apprécier autant qu’avant des disques auxquels on n’attribue même pas le quart des écoutes de ceux qui nous ont jadis marqués.
Alors que 2016 s’apprête à nous échapper, voilà que certains disques sortis en début d’année sonnent différemment. C’est notamment le cas de la dernière cuvée de Sophia qui fait suite à un hiatus discographique de sept ans après There Are No Goodbyes, si l’on excepte les versions alternatives acoustiques compilées en 2011 sur At Home With Sophia... The Acoustic Sessions.
Mais du neuf, les fans de Sophia n’en avaient pas eu depuis le début de la décennie. Car il existe des fans du combo londonien. Un certain nombre, même. La bande menée par Robin Proper-Sheppard n’a certes jamais réussi à s’affirmer – l’ont-ils seulement cherché – comme dignes d’intérêt auprès des majors, mais le public indé ne s’y est pas trompé.
Forts de leurs deux chefs-d’œuvre initiaux, en l’occurrence Fixed Water en 1996 et The Infinite Circle deux ans plus tard, les Britanniques font partie des formations qui, telles The Apartments, disposent d’une fidèle fanbase au sein de l’hexagone, qui ne s’est jamais délitée.
La progression de ce disque est en soi une réussite particulière, et il aura fallu revenir près de six mois après les premières écoutes sur ce As We Make Our Way (Unknown Harbours) pour le mesurer. Après une ouverture instrumentale de deux minutes, Robin Proper-Sheppard offre de nouveau de la matière vocale inédite sur un Resisting puissant au niveau rythmique et globalement désespérant qui nous assure d’une chose : Sophia ne s’adresse toujours pas aux gai-lurons. Ou alors à ceux qui cherchent ponctuellement, et en toute connaissance de cause, leur dose de garmonbozia.
Le clou semble enfoncé avec les sommets de spleen vocaux de The Drifter ou la mélancolie sur fond downtempo de Don’t Ask. Pourtant, petit à petit, les envolées vocales et les arpèges sonnent de manière moins pessimiste. Un rai de lumière apparaît et, dans l’esprit, on n’est finalement pas si loin de l’univers d’un Mark Oliver Everett, Robin Proper-Sheppard aimant, comme l’auteur de Daisies of the Galaxy, associer des paroles relatant des propos sombres à un contenu musical qui l’est moins.
L’ancien membre de The God Machine et ses acolytes déclinent ici un slowcore efficace qui suit donc une trame narrative que l’on imagine parfaitement réfléchie. Après la parenthèse plus optimiste, les deux derniers titres, le dépouillé Baby, Hold On ainsi qu’un It’s Easy To Be Lonely aux accents post-rock, renvoient à une humeur plus sombre, mais jamais désespérée, à l’image du titre final hésitant entre Coil et Arcade Fire.
Même s’il peut paraître vain – ou même franchement inadapté – d’évoquer des comparaisons lorsqu’il s’agit d’un groupe qui fête ses vingt ans d’existence, la mélancolie, la clarté des accords et le caractère addictif des arpèges évoqueront tantôt Pinback, The Apartments ou Grandaddy (ceci est prégnant sur You Say It’s Alright) mais également des artistes plus récents tel que Water Music.
En quarante-trois minutes, Sophia dessine dix pièces assurément sensibles tutoyant parfois même le génie et l’allégresse, tant émerge un savoureux paradoxe entre la spontanéité et l’évident labeur qui a permis d’accoucher d’une progression aussi à même d’éveiller les émotions de l’auditeur.
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