Bilan (20)15 Step 1/3
L’allusion dans le titre à l’un de mes titres préférés de Radiohead est certes alambiquée, mais la démarche ne correspond-elle pas, finalement, au contenu de cette année jalonnée par l’horreur, l’incertitude et la puérilité des crêpages de chignon de ceux qui nous gouvernent ? Et sur le plan musical, alors ? Un bon cru, décliné en trois parties, avec au programme 25 LPs, 5 EPs et 5 singles.
Singles
Évidemment, pour la majeure partie des singles ci-dessous, nous aurons l’occasion d’évoquer l’album dont ils sont issus au sein de la catégorie primant les meilleurs LPs de l’année. Les artistes et morceaux mentionnés ci-dessous ne sont absolument pas obscurs. Il n’y a sans doute pas de découverte à faire par ici, mais ce n’est pas l’objectif : ces morceaux ont su s’imposer comme des évidences et seul Alzheimer parviendra à les chasser de ma boîte cérébrale.
5. Jim O’Rourke – Last Year
Un riff répétitif et séquencé, quelques digressions afin de ne pas tourner en rond et une voix qui ne surjoue nulle émotion. Il n’en faut pas beaucoup plus pour proposer l’une des ritournelles pop les plus addictives de l’année.
4. Courtney Barnett – Pedestrian At Best
Avec un riff encore plus efficace que ceux proposés par Pete Doherty au sommet de sa forme, une énergie folle et un soupçon de nonchalance, Courtney Barnett ringardise tous les ersatz de PJ Harvey.
3. Radiohead – Spectre
Radiohead et James Bond, le mariage n’avait rien d’évident et l’on ne se plaindra pas que Spectre n’ait pas été retenu pour le dernier volet de la saga de l’agent secret. Cet « échec » a permis au quintet de retravailler ce morceau sans contrainte extérieure. Le piano binaire à la Pyramid Song, les cordes élégantes et la voix de Thom Yorke au sommet. On connaît la recette, mais lorsque Radiohead revient à un format « chanson » et vers plus de simplicité, c’est tout simplement grandiose.
2. Sufjan Stevens – Fourth of July
Loin s’en faut, Fourth of July n’est pas la seule perle présente sur Carrie & Lowell et il fut difficile de déterminer lequel de ce titre ou d’un Dead With Dignity qui pourrait arracher des larmes à un mort s’inviterait sur ce podium. Si Fourth of July remporte la mise, c’est parce qu’il est peut-être le plus caractéristique de l’album dont sont extraits ces deux morceaux. Un simple piano au rythme downtempo, quelques effets en arrière-plan et une voix inégalable suffisent à Sufjan Stevens pour instaurer une ambiance poignante et éthérée que chacun pourra – et saura – s’approprier. Avec Sufjan Stevens, tristesse rime avec délicatesse plutôt qu’avec détresse.
1. Blur – Thought I Was A Spaceman
Démarrage discret, la voix de Damon Albarn posée sur un filet mélodieux, et puis la machinerie s’emballe dans une progression impeccable, à la fois harmonieuse et pleine de hargne. Thought I Was A Spaceman n’est pas le morceau le plus évident de The Magic Whip, ni même celui qui crève l’écran après une paire d’écoutes. Il est en revanche le plus passionnant et rien ne semble en mesure d’éroder son charme.
EPs
Nombreux sont les EPs de qualité à être sortis cette année. Pour preuve, les efforts que l’on doit à Aphex Twin ou Ed Harcourt restent aux portes de ce classement. Une année riche, en voici la preuve par cinq.
5. Sludge Factorie – Smashed Rats
Vingt minutes, c’est sans doute le format qui me permet d’apprécier au mieux un disque issu du courant hip-hop. Sur Smashed Rats, les ambiances proposées sont apocalyptiques, mêlant un flow ténébreux et les instrumentations abstract du génial Morbidly-O-Beats.
4. Chris Weeks – Thllwnd
Outre deux nouveaux longs formats, Chris Weeks a publié plusieurs EPs cette année. Parmi ceux-ci, Thllwnd est sans doute le plus marquant, mettant en scène de longues nappes contemplatives dénuées de toute rythmique et illustrant à merveille la période trouble que vit actuellement, de son propre aveu, le Britannique.
3. Saul Williams – We Are Riled. We Are Spitting Hot. Money, Money, Green Where The Land Was
En cinq titres, Saul Williams se rappelle à notre bon souvenir en se montrant aussi inventif qu’à l’époque bénie de The Inevitable Rise And Liberation Of Niggy Tardust, alternant ainsi ambiances abrasives et accords de piano chaloupés, clins d’œil au mouvement big beat et défrichage de l’abstract-indus avec, toujours, cette même verve dans ce flow au phrasé inimitable.
2. il:lo – Places
Sur Places, le duo Parisien déploie une singularité trop rare dans ces contrées solaires où dream-pop et chillout se mêlent. Les nappes synthétiques ne se départissent jamais d’une dimension mélodique à la fois ambitieuse et évidente, qui permet à il:lo de rejoindre Beajn ou Koi au sein du cercle très réduit des producteurs méconnus mais tellement habiles qu’ils permettent à l’auditeur de s’évader à des milliers de kilomètres, dans une ambiance flegmatique à la fois maritime et lumineuse.
1. BEAK> & KAEB – Split
Aussi habile et indispensable au sein de chacun des collectifs dans lesquels il s’implique, Geoff Barrow avait bâti le projet BEAK> sous le spectre d’un krautrock décomplexé et assumé, loin du trip-hop des deux premiers Portishead (mais beaucoup plus proche de l’esprit de Third) ou, surtout, du hip-hop de Quakers. Mais comme le Britannique ne sait pas se répéter, il ne s’est pas contenté de ressasser la même formule et s’est donc inventé un double baptisé KAEB avec lequel il partage l’affiche sur cet EP aux allures de split.
Les deux premiers titres puisent bien leur influence dans un registre krautrock mais ne se limitent jamais à cela, en atteste l’ambiance d’un Broken Window qui évolue vers ce qu’aurait pu (dû) donner l’évolution d’un groupe électronique tel que Röyksopp s’il avait choisi d’intégrer des éléments plus « rock » à ses compositions.
Sans rupture abrupte, la face présentée par KAEB propose néanmoins une évolution ou un prolongement des horizons habituellement dessinés par BEAK>. Entre hip-hop et pop mélodique, délicatesse et chaos, le panel de sonorités et d’émotions exploré est extrêmement riche et volumineux, ce qui en fait assez incontestablement l’EP le plus déroutant et le plus abouti de l’année 2015.
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