Cyrod, pour ceux qui suivent

Avant de le retrouver le mois prochain sur Bandcamp et via le label Linge Records qui héberge désormais le Parisien, Cyrod nous offre la primeur de son nouvel EP Follower, commentaires à l’appui. L’occasion également de poser quelques questions à cet adepte du Do It Yourself en passe de redonner ses lettres de noblesse à un rock lo-fi irréductible et sans complexe.


1. Aleas

Cyrod : Ce morceau a tout d’un morceau d’ouverture. Pour un EP, ça peut paraître abusé. Si je me souviens bien, le plan d’origine contient juste la basse et la guitare. Construit pour un éventuel morceau avec Biscuit, puis jeté aux oubliettes. J’aime bien recycler mes bouts de morceaux. J’ai ajouté une batterie synthétique qui ne part jamais, bien frustrante. Et des cordes samplées sur un morceau de Max Richter, On the Nature Of Daylight je crois. Voilà, ce sont les aléas de la vie...

IRM : Effectivement c’est assez frustrant mais parfait pour une intro. Ce morceau de Richter méconnaissable ici était dans la BO de Shutter Island tiens. Conçois-tu tes enregistrements comme des récits d’une certaine manière, toi qui signais par ailleurs les bandes-son des courts-métrages Des Rats ou Le cri du papillon  ? Et si oui les images mentales viennent-elles avant l’écriture (ou le choix des morceaux dans le cas d’un recyclage comme celui-ci) ?

Cyrod : Je dois t’avouer que quand je m’attable pour bosser (je joue assis devant mon écran), je n’ai pas nécessairement en tête ce qui va se passer, ce que je vais provoquer. Plusieurs envies mènent à la création d’un morceau. Parfois celle de chanter plusieurs mélodies qui s’entrelacent - du coup je fabrique rapidement un squelette rythmique, parfois l’envie de jouer, de taper le jam avec moi-même. On va appeler ça l’auto-jam.
J’ai pris un vrai plaisir à bosser sur des musiques de films, ça m’a fait du bien aussi. Il y avait une ambiance à illustrer, un timing à respecter. La contrainte peut vraiment te faire avancer. Du coup, j’ai dû apprendre à faire plus propre aussi.
Finalement, les images visuelles ont peu d’influence consciente sur ma façon de faire. Je suis plutôt lecteur et auditeur, que spectateur. Ceci-dit, quand tu parles d’image mentale, on peut imaginer aisément qu’un désir, une envie est avant tout une image mentale à définir. Ou en définition.
Mais je n’ai pas de règles : parfois je cherche quelque chose, parfois rien. C’est rare mais il m’arrive d’avoir un morceau en tête. Mais je n’arrive jamais à le reproduire...


2. He Has

Cyrod : Certainement le morceau le plus pop du EP. Même si la deuxième partie casse un peu le trip "chansonnette".
J’aime bien construire des parties plutôt que des couplets-refrains, même si ça m’arrive aussi.
J’ai pas mal épuré ce morceau, qui était au départ un bordel sans nom, très noisy.

IRM : C’est vrai qu’on pourrait vraiment parler de noisy-pop ici, un parfait compromis en somme. Selon toi cette appellation signifie encore quelque chose aujourd’hui ? Avec Red Space Cyrod comme en solo, le son de tes enregistrements donne souvent cette impression un peu anachronique et tâtonnante, comme échappé d’une cage restée fermée depuis 20 ans et soudain confronté à tout ce bouillonnement actuel sans y avoir été vraiment préparé. L’impression d’avoir raté ton époque quelque part ?

Cyrod : Je continue de trouver des traces de Psychocandy dans les shoegazers actuels. Donc oui, l’organe "noisy-pop" continue de palpiter. C’est vrai que dans ce qu’on fait avec Jay, il y a un côté artisanal plutôt assumé.
Tu sais, l’un des albums qui m’a le plus marqué est le mythique Lou Barlow And His Sentridoh sorti quand j’avais 20 ans. Je pense que les séquelles ne se sont pas encore toutes résorbées... Le côté lo-fi de la musique, c’est quelque chose qui me touche à chaque fois. D’ailleurs, j’ai le sentiment que ça va bientôt revenir en force, et du coup je serai en avance.
Ceci dit, le son de mes enregistrements est aussi marqué par mon incompétence en la matière. Cela rejoint peut-être ce que tu dis : il fut un temps où celui qui enregistrait avec les pieds trouvait ses auditeurs. Ce temps a peut-être disparu, mais il reviendra.


3. Invisible Man

Cyrod : Tout part de ces deux parties de guitare, très cold-wave 80’s. La basse s’est ajoutée dessus très naturellement, avec ce petit groove plutôt agréable.
Pour la voix, j’aime bien pousser ce côté "fond de gorge", à la façon de Scott McCloud (Girls Against Boys).
Comme souvent chez moi, la dernière partie devient répétitive, hypnotique quand ça marche, jusqu’à épuisement.

IRM : La cold wave, le post-punk, même si tes influences brassent large on sent que toute cette période est particulièrement importante pour toi, ne serait-ce que pour ce côté jusqu’au-boutiste et cette parfaite combinaison de frontalité et d’atmosphère qui ne s’embarrasse par pour autant de concession au confort d’écoute. Y a-t-il quelques-uns de tes musiciens de chevet là-dedans ?

Cyrod : Tu tombes juste : la période mi-70 mi-80 est vraiment fascinante. Tu prends un groupe comme A Certain Ratio, il avait ce son Factory c’est sûr, mais leur froideur je n’arrive pas à me l’expliquer. C’est le groove blanc, comme on parle de bruit blanc.
Je ne dis pas que je cherche à reproduire ça, d’ailleurs je ne pense pas ressembler à ces groupes qui continuent de nourrir mon quotidien : ça me fait penser, je lisais une interview de Mogwai dans un Noise, ils plaisantaient du fait que leurs auditeurs sont toujours surpris quand ils découvrent que ces gars-là n’écoutent pas de post-rock. Un musicien ne joue pas nécessairement ce qu’il écoute, loin s’en faut.
Pour répondre précisément à ta question, j’écoute trop de musique. Je découvre tout le temps de nouveaux groupes, j’essaie de suivre aussi ce qui se fait en ce moment : j’aime beaucoup le dernier Faust et le Kurt Vile. Comme tout le monde je pense, j’ai mes périodes. Steve Reich m’a passionné un temps, Glenn Branca un autre... Je ne ferai pas de liste, ça serait sans fin.


4. The Follower

Cyrod : Les structures noisy qui s’agencent, c’est de là qu’est partie la construction du morceau.
Le refrain est arrivé bien après, d’ailleurs ce morceau devait être instrumental au départ. Je lui trouvais un côté Magazine à ce refrain, du coup j’ai gardé l’idée. C’est le premier morceau construit pour le EP.
Je pensais continuer dans cette voie-là, des structures noisy agencées en chansons rock classiques, mais je m’éparpille vite...

IRM : Finalement ça reste un peu ce qui ressort de cette EP et d’un certain nombre de tes enregistrements, une impression de vouloir dompter le chaos plutôt que d’en générer. Ce chaos, c’est quelque chose qui t’est naturel dans ton approche de l’instrumentation ? Quelle est la part d’instinct et d’improvisation dans la genèse de tes morceaux par rapport à une écriture plus cadrée ou pensée ?

Cyrod : Je pense que le fait de travailler seul depuis une dizaine d’années a enclenché un processus. Je n’ai pas la prétention d’être un compositeur. J’essaie plutôt de poser des ambiances, puis de les travailler. J’admire le travail de Hood, qui fonctionne par collages sonores. J’aimerais savoir faire ça. Mais j’ai plutôt tendance à favoriser l’improvisation contrôlée, dirons-nous. Quand je construis un morceau, j’aime rejouer par dessus, effacer, déplacer, etc. 80% part dans la corbeille.
Après, il m’arrive de contrôler ce chaos dont tu parles, comme pour ce long morceau de 20 minutes, Transverse. Il s’est alimenté de lui-même, par couches successives. J’aurais d’ailleurs pu le faire durer beaucoup plus longtemps que ça... Et là, on est totalement dans du chaos (aucune ligne de conduite dès le départ) contrôlé (les lignes mélodiques sont respectées).


5. Swallow

Cyrod : La structure sonore a été construite pour un court-métrage, puis abandonnée. Je lui trouvais cet air de narration plutôt étrange. J’ai ajouté la voix, en une prise. Et voilà.
Ambiance idéale pour terminer un EP, je trouve.

IRM : Effectivement c’est le titre où l’atmosphère bascule dans le doom et prend le dessus après une progression plus insidieuse au fil des morceaux précédents. On parlait de dompter le chaos, un disque doit-il quelque part mettre l’auditeur mal à l’aise avant d’être apprivoisé selon toi ? Quelle est la dernière expérience d’écoute qui t’aie marqué dans cet esprit ?

Cyrod : Quand j’étais adolescent et que j’enregistrais des morceaux sur cassette avec mon poste, j’avais dans l’idée de créer des morceaux que j’avais envie d’écouter. Inévitablement quand tu débutes, ce que tu écoutes a une influence directe sur ce que tu tentes de faire. Maintenant, je pense être passé à autre chose. Mais j’essaie d’aller là où l’on m’attend le moins. Sans vraiment y arriver, puisque les quelques personnes qui m’écoutent retrouvent, disent-ils, ma patte.
Mettre mal à l’aise l’auditeur ne sera jamais une fin en soi. Les auditeurs sont tous différents, certains sont à l’aise dans les ambiances macabres, d’autres pas. A vrai dire, je ne pense pas trop à ça.
Dernièrement, l’album éponyme de The Soft Moon m’a laissé sans voix. Profondément aride, mais majestueux dans son style.
Plus on écoute de musiques différentes, plus on est prêt à aller loin dans l’écoute. Il m’arrive d’écouter du Black Metal, comme cet album de Dødsengel, Mirium Occultum, qui tourne pas mal chez moi en ce moment. Il fut un temps où j’aurais haï ce disque. Maintenant je sais l’apprécier.
Quand on fait une musique un peu différente, il faut toujours garder en tête qu’il y a nécessairement quelque part quelqu’un qui saura l’apprécier. Enfin, j’espère...

News - 23.02.2011 par RabbitInYourHeadlights
 


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