Dewaere - Slot Logic
Slot Logic ? Logique de l’encoche ? Logique des machines à sous ? Logique mercantile ? On ne sait pas très bien mais peu importe. Ce premier album de Dewaere est une belle tuerie, c’est tout ce qui importe.
1. Get Down
2. Budapest
3. Happy Hour
4. Garden
5. The Vase
6. Everybody’s Got To Learn Sometime
7. St-Tropez In Summer
8. Aye Aye
9. October
10. Wot U Lyk
Dewaere débarque de Saint-Brieuc et choisit comme patronyme le nom d’un acteur mort qui fut écorché vif quand il était vivant. À moins bien sûr que la référence renvoie à toute autre chose. On n’en sait rien en fait. Et on s’en fout. Slot Logic est son premier album et il se cache sous une pochette jaune poussin du plus bel effet où transparaît le dessin bizarre et flou d’un visage dont on n’arrive pas très bien à déterminer s’il est de face ou de profil. Hommage facétieux à la pochette verte du Songs About Fucking de Big Black ? On n’en sait rien en fait. Et on s’en fout. Car dès qu’on pose le disque sur la platine, il se suffit à lui-même et on laisse très vite tomber le marronnier des rapprochements et des références. Pour faire vite et évacuer tout ça, on dira que Slot Logic ramène aux ’90s dans ses élans noise rock mais aussi aux ’80s dans son ancrage post-punk. On ajoutera que Dewaere préserve ses mélodies qu’il aime pourtant beaucoup saccager sans jamais y arriver complètement. J’en veux pour preuve sa reprise de la vieille scie des Korgis, Everybody’s Got To Learn Sometime (qui fut aussi très bien revisitée par Beck) que l’on reconnait presque immédiatement malgré l’arrachage qu’elle subit. Bref, ce disque est un drôle de truc : profondément jubilatoire, tangentiellement retors. Le groupe aime emmailloter sa musique d’effets bizarroïdes - essentiellement dus aux variations touchant la distorsion qui habille chaque morceau - qui confèrent un aspect vrillé à son chaos. Et puis il y aussi la voix mise en avant, à certains moments légèrement théâtrale, toujours à la limite de l’emphase sans jamais y tomber et complètement étranglée à d’autres (on pense parfois à Guy McKnight des Eighties Matchbox B-Line Disaster). Pour le reste, c’est saturation à tous les étages et dix titres qui fourmillent d’idées et communiquent joliment le plaisir que prennent les quatre Dewaere à les jouer. La basse caoutchoute en mode conquérant tout du long même si elle s’autorise des incartades moribondes, la guitare agresse, exsude ses giclées abrasives dans toutes les dimensions et balance des riffs-parpaings très efficaces, la batterie tabasse et c’est bien la seule qui au final ne sonne pas altérée. Slot Logic file vite, pas toujours droit et donne l’impression d’être une balle rebondissante coincée dans un tout petit espace très carré.
Aux titres rentre-dedans - The Vase, Aye Aye et quelques autres - répondent des choses légèrement plus larvées - October, Wot U Lyk et quelques autres - mais dans l’ensemble, Dewaere prend plaisir à tout mélanger au sein du même morceau, rendant Slot Logic tout à la fois dynamique et tendu. Dès lors, l’accoutumance pointe dès Get Down, chouette missile qui ouvre le disque : tapis guitaristique monomaniaque/fuselé, rythmique indéboulonnable/martelée et la voix par-dessus, expressive ce qu’il faut pour finir d’achever l’édifice. On peut dire que le décor est posé. La suite sera du même acabit mais avec beaucoup de nuances dans les interventions de chacun. La guitare pilonne bien sûr mais se lance aussi parfois dans des digressions larsenisantes, la basse peut devenir complètement arachnéenne, la voix ne se limite pas à l’invective et la batterie malléable s’adapte aux trois autres (ou les entraîne avec elle, c’est selon). Chez Dewaere, on ne se contente donc pas de foncer droit dans le mur, on sait aussi contourner l’obstacle ou creuser en-dessous. C’est ainsi qu’on retrouve un October plutôt long qui s’amuse à sculpter le bruit, se la joue patraque quand tous les autres avancent pied au plancher. On oppose aussi les aigus corrosifs à des fondations plombées (Happy Hour), on se balade de Budapest (on imagine en hiver) à St-Tropez In Summer, la rage toujours en bandoulière, on laisse un espace pour les mignons petits oiseaux (Garden) et ce faisant, on dessine une chouette carte qui défonce les murs et compile des itinéraires inattendus. C’est bien tout ce qui fait la singularité de Slot Logic, cette envie d’agrandir son pré carré et de ne surtout rien s’interdire tout en conservant une efficacité maximale. C’est bien ce qui fait de Dewaere un nouveau venu déjà incontournable. Il faut dire que ces quatre-là ne sont pas vraiment nés de la dernière pluie et que chacun a déjà un pedigree - de Neige Morte à Veuve S.S. (entre autres) pour Hughes Le Corre (ici à la batterie) - que certains ont même une expérience commune - Rafale pour Julien Henry (ici derrière la guitare) et Marc Aumont (qui tient la basse) - voire s’épanouissent en solo (Maxwell James Farrington, ici au chant). Sans doute faut-il chercher là le moteur du groupe, dans les itinéraires et cheminements différents de chacun se fracassant à grand bruit au sein de ces dix morceaux intenses et grouillants.
En tout cas, avec Slot Logic, Dewaere décoche une première flèche particulièrement assassine et implacable.
Incontournable.
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