Oikos - Ecotono
Troisième long format du duo madrilène, Ecotono suit les méandres d’un drone très évocateur, délicat et sale à la fois, aux mélodies travaillées. Et l’évidence pointe le bout de son nez dès les premières écoutes : avec Oikos, il faudra désormais compter.
1. Pulsar
2. Ecotono
3. Boreas
4. Deriva
5. Red Forest
6. Threshold
7. Jatavena
Des guitares élégantes et liquides, des mélodies solaires et aériennes, voilà pour résumer ce que réserve l’écoute d’Ecotono, troisième album de l’énigmatique duo espagnol Oikos. Bien sûr, ces quelques mots sont évidemment réducteurs et cachent même probablement l’essentiel car à les lire, comme ça, on pourrait avoir l’impression qu’il s’agit d’un disque pop qui siérait parfaitement à l’atmosphère ensoleillée et fleurie dont ce beau printemps nous fait l’offrande. Et pourtant, non, il ne s’agit pas de pop, c’est même complètement l’inverse : Oikos œuvre plutôt dans l’instrumental pur et dur à base de guitares et de claviers et arpente les chemins singuliers d’un drone délicat qui sait aussi se faire complètement expérimental.
De ce duo, on ne sait pas grand chose, tout au plus qu’Ecotono est paru chez Utech Records, ce qui permet tout de même de cerner plus ou moins le genre musical où fraient ces Espagnols et c’est vrai qu’un titre tout en guitares et claviers spacieux, empilés, développant un drone massif qui occupe toutes les fréquences comme Pulsar en ouverture – suivi de son frère jumeau Ecotono (les deux pistes pourraient très bien n’en faire qu’une et on ne se rend pas vraiment compte quand on passe de l’une à l’autre tant la transition est imperceptible) – rappelle les armes utilisées par d’autres formations signées par l’intransigeant label américain (Ural Umbo, Sum Of R, Lasse Marhaug, Locrian, etc.) si ce n’est quand même que la musique d’Oikos ne partage pas complètement cette atmosphère commune aux sorties estampillées du vénérable bec décharné qu’arbore le logo du label, à savoir une noirceur typique, nichée au creux de la musique des groupes de son catalogue. D’ailleurs, à bien y regarder, outre les drones qui constituent l’ossature principale des deux morceaux, il est bien difficile d’occulter les élégants arpèges qui flottent au-dessus des ondes charriées par les guitares et les claviers. Et même quand le soubassement devient saturé, que les nappes crachotent faisant souffrir les enceintes, que les cordes se montent les unes sur les autres et que les arpèges dégueulent, ne faisant plus qu’un avec la masse sonore et indéfinie ainsi créée, la mélodie solaire subsiste, belle et joliment introspective. L’instrumentation arbore plus d’une fois un visage agressif, intrusif, comme si elle voulait envahir de force l’oreille et frotter le cerveau au papier émeri : le groupe joue fort, tout prêt du micro et la saturation est permanente, presque malaisée et insupportable mais rien n’y fait, les mélodies célestes que font naître ces instrumentaux éthérés provoque une véritable addiction qui fait oublier tout le reste.
De ce duo on ne sait pas grand chose mais l’on sait tout de même, à l’écoute de ses disques précédents (que l’on peut écouter ici et là, disséminés sur la toile mais dont les chemins d’accès sont heureusement regroupés sur le blog du groupe), que le côté très immersif qui caractérise la musique d’Oikos a toujours été présent même quand l’atmosphère se faisait plus inquiète et tendue (à ce titre, écoutez les extraits de Noviembre 2004, pièces exécutées en compagnie de l’« anarconoise feminista » C-utter et ayant pour thème la bataille de Falloujah en Irak après laquelle l’armée américaine fut accusée, entre autres par le Washington Post, d’utiliser des bombes au phosphore blanc, interdites par les conventions internationales). Et c’est vrai que l’on se dit à plusieurs reprises qu’une telle maîtrise ne peut être fortuite, qu’avant d’arriver à ce mélange subtil et stable de bruit et de beauté, le duo a dû user nombre de cordes et cramer quelques processeurs et claviers, explorer d’autres atmosphères, d’autres visages avant de revêtir celui de l’introspection sur Ecotono. D’ailleurs, quelques titres portent les stigmates des opus précédents, à commencer par Threshold aux ondes en ressac, qui se déposent puis se retirent, comme une douleur tour à tour lancinante et aiguë une seconde sur deux, purement électronique, poursuivant une multitude de fréquences et parcouru de bruits sales et indéterminés. Et pourtant, loin d’être rebutant, le résultat reste tout de même accueillant alors qu’il s’agit sans doute là du morceau le plus expérimental de l’album, quelque chose comme une proto-IDM ultra-cérébrale au groove singulier. Et que dire des guitares saturées d’Ecotono qui montrent leurs crocs et se font abrasives, érigeant un mur de bruit blanc imposant percuté de multiples touches électroniques qui pourtant jamais ne l’entament ? Sans oublier le magnifique Red Forest où cette fois-ci, ce sont les claviers qui prennent le pouvoir, en avant, conduisant et supportant la mélodie, les notes de guitares tout en bas, graves et majestueuses. On le voit et surtout, on l’entend, l’atmosphère est la même dans tous les morceaux mais les moyens utilisés pour la retranscrire et la poser sont complètement différents. Ainsi, l’aspect monolithique d’Ecotono montre paradoxalement une grande variété, que ce soit dans les instrumentations ou les arrangements, preuve que le duo n’est pas né de la dernière pluie et qu’il a probablement expérimenté de multiples formules avant d’arriver à celle, parfaitement équilibrée, que donne à entendre cet opus.
De ce duo, on ne sait pas grand chose si ce n’est qu’il aime les concepts et c’est d’ailleurs là que se trouve probablement l’explication du côté éminemment évocateur, presque littéraire, en tout cas très immersif de la musique d’Oikos. Quand on écoute ce disque, on ne peut qu’avoir des pensées parallèles aux siennes. Le concept sur lequel repose Ecotono est celui de la zone de transition écologique entre deux écosystèmes distincts, l’écotone, celle où les espèces se chevauchent, où les caractéristiques des deux bords se mélangent mais où l’on trouve également des organismes qui lui sont propres, les formes de vies y sont donc plus nombreuses. Je n’aime pas les concepts dans les disques, mais je dois bien avouer que celui-ci est assez bien trouvé avec d’un côté, le monde du bruit et de l’autre celui de l’introspection tranquille et apaisée. Ecotono se trouve pile là, entre les deux. Bruit et apaisement s’interpénètrent, ni complètement l’un, ni complètement l’autre, mais bien entre les deux et offrent une musique saisissante et marquée, hypnotique et envoûtante. On pense de loin à Fennesz, à Tim Hecker aussi, voire au Desert Fires de Noveller pour le goût des guitares élégantes et trafiquées et des instrumentaux magnifiques. On parcourt les titres avec un grand plaisir, impatient d’entendre la petite histoire que nous racontera le suivant et dès que les notes finales du psychédélique et flou Jatavena qui clôt le disque résonnent, il ne reste bien que l’envie de se précipiter pour le remettre immédiatement au début.
C’est vrai que l’entité Oikos est énigmatique et qu’Ecotono débarque un peu sans crier gare mais, on l’aura compris, de cette formation, on sait finalement l’essentiel : sa musique est simplement élégante et plus d’une fois magnifique. Une personnalité forte et un superbe disque qui nous font attendre les prochains avec impatience. Utech ne s’y est pas trompé en offrant à David San Martín et Rafael Femiano la possibilité de sortir Ecotono sous une belle pochette et l’assurance d’une meilleure exposition. Gageons que cet opus singulier touche le plus grand nombre.
Éblouissant.
Il y a une vie après Tim Hecker, surtout quand l’intouchable Canadien truste par automatisme tous les bilans expé de l’année avec l’album le plus ostentatoire et par conséquent dispensable de sa disco pourtant hors-norme jusqu’ici (Roly Porter et Oneohtrix Point Never sortez de ce corps). La preuve en 110 albums et 30 EPs, généralement un par artiste (...)
Des marécages digitaux du fuzzy Ecotono aux fréquences orageuses tout aussi poisseuses quoique plus impressionnistes de Solve Et Coagvla sorti en début d’année chez Land Of Decay (label qui pour le coup portait particulièrement bien son nom), les Espagnols d’Oikos faisaient dans le massif et le délicat à la fois. C’est pourtant ce dernier aspect (...)
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