IRM Expr6ss #13 - indie rock pas mort : Duster, Japandroids, Being Dead, +/-, A Place to Bury Strangers, Upright Forms

Pour un webzine dont l’ADN "indie rock" perdure pour le moins dans son URL, il faut avouer que le genre qui nous avait réunis sous cette bannière il y a une vingtaine d’années est aujourd’hui réduit à peu de chagrin dans nos colonnes. Faut-il y voir un désamour, ou le signe d’une perte de vitesse qui n’en finit plus depuis le début des années 2010 ? Si l’on vous dit que l’on écoute toujours avec autant de plaisir et de régularité les Pixies, Sonic Youth et autres dEUS de la grande époque, et que l’on continue de vibrer plus ou moins raisonnablement à la sortie d’un nouveau Built to Spill, PJ Harvey ou Yo La Tengo, vous aurez sans doute un début de réponse.

Alors que Warner ou Sony sortent des albums estampillés "indie" via des filiales mastodontiques comme Polydor/Interscope ou RCA et écrasent le marché avec un marketing agressif et des artistes sans personnalité (Lana Del Rey, Boygenius, etc), les anciens labels indé des 90s ont pour beaucoup viré de bord sans avoir l’air d’y toucher. Sub Pop aux US par exemple, toujours emblématique d’une certaine école DIY, n’est pourtant plus à proprement parler indépendant depuis presque 30 ans (49% de capital Warner) et a largement perdu en intérêt ces dernières années, tandis qu’en Angleterre, Mute, 4AD ou XL Recordings, tous rachetés depuis longtemps par des majors ou des maisons de disques à vocation commerciale, donnent désormais dans le racolage à tous les étages. On le répète assez souvent en ces pages : non seulement l’étiquette, exploitée à foison par des labels tout sauf indé ou bouffés par des partenariats nivelant insidieusement leur propension à sortir des clous, est aujourd’hui galvaudée à un degré qui dépasse l’entendement, mais il est surtout devenu difficile de s’emballer pour des tendances plus que jamais dominées d’un côté par un passéisme tiédasse et le recyclage à n’en plus finir de recettes qui ont fait leurs preuves (Bar Italia, Dry Cleaning), de l’autre par les télescopages tape-à-l’oeil et/ou prétentieux de poseurs extravertis jusqu’à la nausée et tout aussi calculateurs en termes d’image et de marketing (la nouvelle "scène" anglaise des Squid, Black Midi, Porridge Radio et compagnie).

Que reste-t-il donc en 2024 de l’indie rock que l’on aimait, atomisé artistiquement côté guitares par la noise, le metal et autres "musiques extrêmes" autrement plus aventureuses et singulières ? Eh bien comme chaque année, quelques petits miracles souvent fortement sous-médiatisés faute de glamour, d’ostentation et de facilité (cf. nos chroniques des derniers opus de The Oscillation, E, Public Service Broadcasting, Elysian Fields ou And Also The Trees notamment), partagés ici entre barouds d’honneur, vétérans sortis de leur préretraite pour en remettre une couche avec la même exigence, et quelques jeunes pousses (trop peu, malheureusement) résolues à jouer, tout simplement, de la bonne musique qui leur ressemble sans faire du pied à leurs aînés ou à la hype du moment.


- Duster - In Dreams (Numero Group, 30/08)

Les slowcoreux californiens Clay Parton et Canaan Dove Amber avaient surpris leur monde en réactivant Duster après 19 ans de hiatus avec un troisième album homonyme en 2019, signant à cette occasion sur Numero Group, label chicagoan spécialisé dans les "reissues" et affilié à Secretly Canadian auquel on doit justement cette année la réédition pour ses 25 ans du superbe The Golden Band des Texans The American Analog Set (autre groupe slowcore dont le hiatus de... 18 ans avait pris fin l’an passé avec la sortie de For Forever, comme quoi tout est lié). Un 4 opus (Together) et une compil de démos inédites (Remote Echoes) plus tard, on retrouve les deux Américains au sommet de leur art à la fois abrasif et ouaté avec cet In Dreams particulièrement texturé, collection de chansons denses et lo-fi dont les nappes de guitares vaporeuses parfois mâtinées d’électronique discrète (voire de beats presque IDM sur Space Trash) nous enveloppent d’un cocon mélancolique et chaleureux sur des titres en apesanteur tels qu’Aqua Tofana ou Anhedonia, entre deux pics d’intensité plus rêches et tendus (No Feel, Cosmotransporter) et autres tendances à la combustion spontanée (Baking Tapes, puis Poltergeist où l’instrument se fait simple nappe de crépitements).



- Japandroids - Fate & Alcohol (Anti, 18/10)

On les avait connus bruts de décoffrage à l’époque de Celebration Rock (12 ans déjà) puis plus ambitieux, presque taillés pour les stades sur un Near to the Wild Heart of Life (2017) aux morceaux trop hymniques pour vraiment emballer, s’éloignant de trop des brûlots à vif façon The Thermals que l’on appréciait tant : les Canadiens Japandroids (soit Brian King à la guitare et au chant, et David Prowse derrière les fûts) ont depuis pris leur temps et leur son s’en ressent en termes d’équilibre sur ce 4e long-format dont la sortie s’est accompagnée d’une annonce de séparation, explicitée par le besoin de Brian King de se concentrer sur sa famille et sa sobriété. On l’aura en effet compris rien qu’à la découverte du titre de ce Fate & Alcohol et des noms de certains morceaux (Upon Sober Reflection en particulier), cette dernière thématique très personnelle domine l’album et permet ici au duo de renouer avec une écriture urgente et irrésistible d’immédiateté, un enchaînement de tubes garage pop certes plus léchés qu’à leurs débuts, parfois même presque héroïques mais de nouveau intimes et à nu comme on aime (mention à Positively 34th Street qui colle au cerveau comme un chewing-gum).



- Being Dead - EELS (Bayonet Records, 27/09)

Being Dead, c’est la grosse découverte de cette sélection, qui bénéficie depuis fin septembre d’un bouche-à-oreille à la hauteur des pop songs électriques du trio texan (Juli Keller aka Falcon Bitch et Cody Dosier aka Shmoofy tous deux au chant et aux divers instruments, avec la bassiste Nicole Roman-Johnston en renfort sur scène et quelques titres de l’album). Sur EELS, leur second long-format en deux ans, les Américains partent joyeusement dans tous les sens avec un instinct mélodique assez bluffant et un humour décalé qui fait mouche. Vibe baroque à la Pixies meet Vaselines (Godzilla Rises, Van Goes), dream-pop aux refrains contrastés (Gazing at Footwear, et surtout le superbe Blanket of my Bone), psychédélisme suranné (Problems, Rock n’ Roll Hurts), garage pop aux gimmicks 60s (Firefighters, Nightvision) ou pleine d’une morgue trop surjouée pour être prise au sérieux (Ballerina), folk lo-fi (Dragons II, ou cet I Was a Tunnel qui sonne presque comme du Innocence Mission sous-produit), intermèdes barrés... tout y passe et pourtant, la production aux petits oignons du grand John Congleton aidant, l’album brille au lieu de simplement tenir debout, à la manière d’un petit cousin de Doolittle ou du dernier opus de Big Thief, comme mû par un imaginaire dont la cohérence nous dépasse. Prometteur !



- +/- - Further Afield (Ernest Jenning Record Co., 31/05)

On parlait plus haut des retours improbables de Duster et The American Analog Set après des hiatus de presque 20 ans, en la matière les Plus/Minus n’ont pas grand chose à leur envier puisqu’en dépit d’un EP sorti il y a 5 ans dans l’indifférence générale cela faisait pas moins d’une décennie - et la publication de Jumping the Tracks en 2014 donc - que l’on n’avait plus entendu parler des New-Yorkais, chouchous de notre webmaster Indie il y a pas loin d’une vingtaine d’années. La bonne nouvelle c’est que rien n’a changé : l’indie pop lyrique aux subtils métissages électroniques des anciens pensionnaires d’Absolutely Kosher est toujours aussi charmante de dynamisme et d’immédiateté, des pop songs encadrées ici de deux superbes morceaux à synthés, choeurs et guitares ambient (l’instrumental d’ouverture Intentionally Left Blank et la ballade stellaire Is It Over Now) laissant augurer de belles possibilités pour la suite. Batterie aux emballements presque drum’n’bass (Borrowed Time), dance-rock aux arpeggiators oniriques (Gondolier), glitchs rythmiques (The Pull From Both Sides) et orchestrations chamber-pop (Where I Hope We Get Lost) y côtoient des morceaux plus classiquement électriques mais finalement tout aussi réussis, tirant parfois sur la dream-pop comme ce Redrawn illuminé par la voix du guitariste James Baluyut qui n’avait probablement jamais aussi bien chanté que sur ce disque, même si Further Afield n’égale pas leurs plus belles réussites des années 2000.



- A Place To Bury Strangers - Synthesizer (DedStrange, 4/10)

Discographie en dents de scie ces dernières années pour les New-Yorkais qui après nous avoir à nouveau emballés via l’EP Hologram en 2021 livraient l’année suivante leur disque le plus raté, bourrin et convenu, le bien-nommé See Through You aux transparentes intentions "commerciales" en pleine mode grosses distos "in your face" façon derniers albums de Low. Heureusement, quand on est l’un des groupes de scène les plus abrasifs et radicaux d’un psyché/shoegaze borderline noise, il y a toujours moyen de se relever en laissant parler les décibels et la sauvagerie au détriment de ces velléités pop qui ont toujours irrigué l’univers assez hybride du groupe d’Oliver Ackermann, sorte de MBV à blousons de bikers. C’est un peu le cas ici, l’album en terminant avec les rythmiques en avant et la surproduction bling-bling pour lâcher à nouveau de manière contrastée sur des titres tels que Bad Idea ou Have You Ever Been In Love ses gerbes de guitares papier-de-verre, de larsens et autres tempêtes de crépitements électriques, entre deux brûlots post-punk efficaces à défaut de réinventer l’eau chaude.



- Upright Forms - Blurred Wires (SKiN GRAFT Records, 28/06)

Enfin, avec Blurred Wires, premier opus du nouveau projet de l’ex Dazzling Killmen, Nick Sakes (guitare et chant) accompagné de Noah Paster (Ripper) à la basse et de Shaun Westphal (Mise En Place) à la batterie, on termine sur quelque chose de plus tangent, à l’ADN probablement plus noise rock voire post-hardcore qu’indie rock, ce qui n’empêche pas le trio de Minneapolis de briller dans un songwriting très 90s (Animositine) évoquant par moments d’anciens héros justement présents dans l’actualité de ce dernier mois avec des albums en demi-teinte dont on ne vous reparlera probablement pas, j’ai nommé les Pixies et Thurson Moore (Long Shadow), lorsque qu’il ne lâche pas les chiens sur les véhéments et larsenisants My Lower Self et Biology Of Tim, l’album demeurant le plus souvent dans un entre-deux sans grosses étincelles et néanmoins des plus agréables.


Articles - 25.10.2024 par RabbitInYourHeadlights