Submerged - Before Fire I Was Against Other People
Avec son titre tiré d’une conversation confuse et inquiétante avec un ex-garde du corps au fin fond de la Russie et sa pochette désolée, Before Fire I Was Against Other People ne trompe pas : pour l’optimisme, il faudra repasser. Au contraire, cet album présente une musique extrêmement sombre et menaçante mais aussi, à de nombreuses reprises, vraiment magnifique.
1. Space Arabs
2. Nowhere To Hide
3. Transport
4. No One
5. Death Sentence
6. Borderguard
7. Rorschach
8. Before Fire
9. Alive
10. Dead
Pour peu que vous soyez attiré(e)s par les musiques inventives, sombres et métissées, vous savez très certainement qui est Kurt Gluck tout comme vous vous doutez que son emploi du temps est du genre bien rempli : big boss opiniâtre du label Ohm Resistance, ce qui représente déjà une activité à temps complet, il a également une vie de musicien plutôt chargée, concepteur et membre du monstre massif et corrosif The Blood Of Heroes par exemple, il a également prêté ses doigts agiles et sa basse profonde au duo Gator Bait Ten cette année le temps de l’aride Harvester, et ce n’est là que pour s’en tenir à ses projets les plus récents. Mais cette fois-ci, il avance seul, réactivant pour l’occasion son alter-ego Submerged et présente Before Fire I Was Against Other People. Enfin, seul, il faut bien évidemment le dire assez vite car fidèle au credo de son label, de nombreux invités viennent prêter leur créativité à la sienne déjà bien débridée : le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a su mobiliser une jolie palette d’artistes sur ce nouvel album, on y retrouve pêle-mêle Scorn, Dr. Israel, Justin K Broadrick, Joel Hamilton, Jason Selden, Hazmat ou encore Ted Parsons, au risque d’y perdre peut-être son identité musicale.
D’ailleurs, quelle est-elle cette identité musicale ? Si l’on devait coller une étiquette – bien sûr réductrice – à sa musique, on la qualifierait de drum’n’bass. Si on voulait être plus précis, on lui accolerait probablement les adjectifs agressive et crépusculaire. Mais si on se fiche des étiquettes, ce qui est un peu notre cas et très certainement celui de Kurt Gluck, on dira que sur Before Fire I Was Against Other People, il continue à mixer son électronique syncopée, parfois proche du dubstep, avec des guitares corrosives et flirte toujours avec le métal extrême. Et ces véritables murs sonores bruitistes n’arrivent pas à masquer les véritables talents de mélodiste déployés sur certains morceaux pour un résultat aussi joyeux qu’un matin gris dans l’U.R.S.S. de Khrouchtchev. Et pour tout dire, non, Submerged n’a pas du tout perdu son identité musicale, ce disque lui correspond totalement et porte en son sein les stigmates d’un parcours musical riche et marqué par sa pugnacité.
Pourtant, l’entame de son nouvel opus est un peu trompeuse sur les quelques secondes très chill-out qui débutent le superbe Space Arabs. Un titre on ne peut plus juste et qui résume parfaitement le morceau : très ample et spatial, il est porté par une mélopée orientale - façon Muezzin cybernétique lançant un appel au grand large - qui flotte sur un lit de rythmes disloqués. Et ce morceau en lui-même représente une introduction idéale à Before Fire I Was Against Other People, un album qui emprunte aux musiques traditionnelles de tous horizons que Submerged est allé pêcher aux quatre coins du globe au cours de ses nombreux voyages, ce qui lui confère une résonance vraiment particulière, terriblement humaine et universelle. En plus de ce Space Arabs introductif, un titre comme Transport permet d’illustrer aisément le propos : à la base, une attaque breakcore jusqu’au-boutiste mais associée à un gimmick rythmique, un bruit de percussion issue probablement d’un pays d’Asie, répété tout du long et qui apporte quelque chose de mystérieux et d’addictif au morceau, le rendant ainsi franchement intéressant. On pourrait également citer les chœurs lointains et mystiques qui parcourent Borderguard et finalement toutes les pistes tant ces injections de petits bouts de musique du monde s’enchevêtrent au corps de l’album, nichées au creux des productions, rehaussant les nappes de leur belle présence ou enrichissant les textures.
Mais l’intérêt de Before Fire I Was Against Other People ne se situe pas uniquement dans sa façon d’être ouvert à tous les vents, qu’ils soient issus de l’Asie, de l’Afrique ou de n’importe quel autre continent. Car il faut aussi se rendre à l’évidence : les invités, nombreux, ne sont pas venus faire de la simple figuration et les collaborations fonctionnent parfaitement. Ainsi, les guitares massives de Jason Selden se marient parfaitement aux beats fracassés de Submerged sur No One, un titre d’une violence incroyable ; Nowhere To Hide quant à lui voit les effets incisifs de Scorn se mêler aux diatribes dancehall immédiatement reconnaissables de Dr. Israël pour une sorte de ragga apocalyptique sombre et flippant, un titre qui aurait pu parfaitement se retrouver sur l’éponyme de The Blood Of Heroes. Et que dire de Dead, si ce n’est qu’il s’agit probablement du sommet de l’album. Judicieusement placé à sa toute fin et qui mêle sur plus de huit minutes les guitares de Justin K. Broadrick et Jason Selden aux feedbacks de Joel Hamilton et aux sons divers d’Hazmat, le tout épaulé par Ted Parsons et Balázs Pandi derrière les fûts. Excusez du peu ! Et pourtant, ça ne sonne absolument pas comme un assemblage hétéroclite mais bien comme un titre qui trouve parfaitement sa place dans cet album, tabassant consciencieusement l’auditeur, parcouru de cris rageurs et dévastateurs : incroyablement massif et cohérent. Bref, malgré ces multiples interventions extérieures, Before Fire I Was Against Other People reste incontestablement un album de Submerged.
Outre cette palette impressionnante d’invités, l’album montre également une grande variété rythmique et ne se contente pas d’œuvrer dans l’attaque systématique, Submerged se montrant aussi à l’aise dans les tempi léthargiques que dans ceux bien plus incisifs et percutants. Quelle que soit leur orientation, ces soubassements rythmiques s’avèrent de toute façon parfaitement hypnotiques comme en attestent Alive ou encore Rorschach, de prime abord monomaniaques mais dont la répétition capture l’auditeur dans leurs filets. Enchevêtrement de bruits divers et de distorsions provoquant nombre d’images désespérées dans le cerveau, convoquant nos idées les plus noires, superposant textures, détails infimes mais marquants, mélodies et variations rythmiques omniprésentes, Before Fire I Was Against Other People fait ainsi preuve d’une grande diversité qui emmène la drum’n’bass dans de nouveaux territoires bardés d’usines et de barres d’immeubles grises, sous un ciel lourd et menaçant, bien loin de l’électronique confortable des dancefloors.
Kurt Gluck nous avait déjà offert de superbes galettes (les déjà impressionnants Stars Lights The End en 2007 et Violence As First Nature en 2008 par exemple) où les influences industrielles étaient une véritable invitation à la dépression nerveuse. Sur ce nouvel album, il pousse encore plus loin les expérimentations, les amalgames improbables. Un peu plus violent, un peu plus métissé, un peu plus empreint de ses multiples expériences, un disque-somme en quelque sorte, parfaitement représentatif du visage actuel d’Ohm Resistance, que l’on a plus que jamais envie de suivre loin et de très près. Before Fire I Was Against Other People est une véritable réussite dans le genre, une expérience glaciale proche de celle de l’animal de laboratoire, une vivisection en atmosphère aseptisée. Impossible de revenir indemne de l’écoute de cet album sans concession.
Vous trouverez sur cette page des tracks supplémentaires dont un remix de Dead par The Project_Pale (le groupe de Jason Selden).
La page soundcloud de Submerged où il est possible d’écouter de larges extraits de l’album.
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