L’avenir du disque (Part 2) - La fin de l’album ?
La parution d’un album, d’une collection de chansons rassemblée dans un bel emballage, est le rendez-vous qui rythme la carrière de tout musicien. Mais si le CD meurt, entraînera-t-il l’album dans la tombe ? Pas si simple....
Il y a un siècle, on pensait que l’an 2000 serait peuplé de voitures volantes et qu’on s’y nourrirait de pilules. Ce mode de pensée futuriste, on a cru pouvoir l’appliquer au format album. Si l’album est né avec les deux faces de vinyle et a été transposé au CD au prix de la généralisation des bonus tracks, et si le CD est à l’agonie, alors... tout devient possible, comme disait l’autre.
Se rend-on compte à quel point la notion d’album conditionne la façon dont on parle de la musique, dont on la partage, dont on s’en souvient ? « Je voudrais découvrir ce groupe, par quel album devrais-je commencer ? » « A... est-il le meilleur album des X... ? » « Les 100 meilleurs albums de tous les temps. » « Un nouvel album de Y..., je ne n’y croyais plus ! » Etc. D’ailleurs, notre sondage donne comme résultat 94% d’achats d’albums pour 5% d’EP et 1% de singles.
Pour autant, à l’ère du tout-numérique, quelle raison aurait-on de vendre les chansons par paquets de douze ? Verra-t-on émerger de nouveaux formats ? On peut se dire que l’album existera toujours parce qu’ Electric Ladyland, Rock Bottom et Kind Of Blue existeront toujours, mais pour les créations futures, si elles se dématérialisent complètement, pourquoi ne verrait-on pas apparaître de nouvelles formes ?
Vente à la découpe
Question passionnante qui suscite cependant des réponses étonnamment conservatrices de la part des artistes et des labels indépendants que nous avons interrogés. Seul Black Francis déclare ouvertement son manque d’attachement au format album. « Je souhaite faire de la musique », nous a-t-il confié. « J’aime l’idée d’album, tout particulièrement quand il s’agit d’un bon album. Mais c’est la musique qui compte. Si le format change, je trouve cela intéressant. »
Réaction plutôt atypique au milieu d’un océan (enfin, restons modestes, d’un lac) de déclarations d’amour à l’album. Même chez un petit label d’électro (terreau a priori favorable aux évolutions technologiques) comme l’Ukrainien Kvitnu, le patron, Dmytro Fedorenko, « ne pense pas que les artistes puissent inventer de nouveaux formats. Tirer parti de la technologie... peut-être, mais de nos jours la technologie évolue bien plus vite que les pratiques artistiques, par exemple dans le domaine des moyens de diffusion. »
Comme le dit le musicien Dan Wallace sur son site internet, « l’idée qu’on se mette à vendre les chansons à l’unité paraît aussi probable que de voir les groupes partir en tournée pour interpréter un seul titre ». Cette idée d’une vente à la découpe de la musique suscite une réaction épidermique de rejet de la part de nos interlocuteurs. Mais un rejet teinté de résignation, bien résumée par ce propos de Dmytro Fedorenko : « En tant qu’auditeur, je ne supporte pas cela. Mais si quelqu’un a envie de n’acheter qu’une seule chanson au lieu d’un album entier, ça ne me dérange pas du tout. »
« Rien ne vaut la beauté d’un album complet »
« Je vois des raisons esthétiques de rester attaché à l’album », développe Cory Brown, du label Absolutely Kosher. « Je pense qu’il est important pour l’artiste de pouvoir présenter sa vision telle qu’il ou elle l’a imaginée, mais le fait est que le format album lui-même est déterminé par les limitations du support physique - autrefois on avait 22 minutes par face de LP, puis 80 minutes par CD. Ce n’est pas un art pur. C’est un business et d’ailleurs un modèle financier merdique. Si les gens veulent acheter un demi-disque, on peut soit les envoyer promener, soit leur donner ce qu’ils veulent. Je ne connais pas grand-monde qui opterait pour la première solution. »
Pour d’autres, comme Greg Werckman, co-créateur d’Ipecac Recordings, le problème ne se pose même pas : « On ne va pas cesser de publier des albums. Rien ne vaut la beauté d’un album complet, d’un cycle de chansons. Peut-être qu’on cherchera un nouveau format. Rien de neuf de ce côté-là. »
« Cependant », ajoute-t-il, « certains artistes gagneraient à ne diffuser qu’une chanson à la fois. » On se demande encore si c’est une profonde analyse du modèle économique actuel ou une simple vacherie.
« Je pense que les artistes continueront de publier des albums, c’est une tradition forte », conclut Fedorenko. « Même si je pense que les artistes les plus populaires, à qui les concerts rapportent désormais plus d’argent que les disques, n’ont plus à se soucier du support physique, les règles du jeu sont pour le moment toujours les mêmes : il faut qu’il y ait un produit nouveau à intervalle régulier. Sans cela, pas de concerts, pas de promotion. »
L’album serait-il donc moins dépendant du format que nous ne le pensions ? Au milieu des années 60, Bob Dylan tentait déjà le double alors que la Motown toute entière fonctionnait toujours au single. A la fin des années 90, tandis que le format EP revenait à la mode, les Magnetic Fields publiaient leurs 69 Love Songs sur trois CD. Dès lors, en mettant momentanément de côté l’aspect commercial à l’heure où un nombre grandissant d’artistes s’émancipe du diktat des maison de disques au profit des licences Creative Commons et autres moyens de libre production et d’auto-distribution, peut-on imaginer que ces musiciens indépendants dans l’âme, que l’on apprécie souvent autant pour la singularité de leur démarche que pour leur musique en elle-même, soient amenés à changer du tout au tout la façon d’envisager leurs propres créations avec la disparition supposée du CD ? Qu’il s’agisse d’un tout indissociable ou d’une simple compilation de chansons, d’un récit scindé en plusieurs « chapitres » ou d’un bon vieux single, la forme de l’œuvre demeure avant tout affaire de choix, tout dépend de ce que l’on veut exprimer et faire partager.
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