L’avenir du disque (Part 3) - La musique à tout prix
Et si on se trompait de débat ? Si l’agitation autour de la fin du CD ne servait qu’à masquer le véritable problème, celui de la rémunération des artistes ?
Ne nous voilons pas la face : si la musique est un art, la faire parvenir jusqu’à nous est un commerce. Où est passé l’argent qu’il n’y a pas si longtemps, nous étions nombreux à dépenser pour assouvir notre passion du son ? Au moment de s’interroger sur l’évolution des supports, c’est une question dont on ne peut décidément pas faire l’économie...
Quand nous l’avons interrogé sur « la mort du CD », Cory Brown, du label Absolutely Kosher Records, n’a pas hésité à nous dire que nous nous trompions carrément de sujet : « Je pense que le déclin du CD (qui ne disparaîtra probablement jamais complètement, à moins d’être remplacé par un autre support physique numérique) pose moins de problème que le piratage et le manque de compensation reçue par les musiciens pour leur travail. »
Parlons donc du « piratage », du téléchargement illégal. Comme le confirme notre sondage, il est bel est bien entré dans les mœurs :
On se gardera bien de trop interpréter ce premier graphique ; constatons simplement que les plus jeunes d’entre nous ont pris l’habitude d’écouter de la musique acquise illégalement.
Et nous y voilà : l’épineuse question de l’argent devait bien surgir à un moment ou à un autre. Mais ce que pointe Cory Brown, au-delà des problèmes de téléchargement illégal, c’est bien la fragilité de tout un écosystème, remis en cause comme jamais auparavant par la dernière révolution technologique en date.
« Les formats ont toujours fait l’objet d’attentions fétichistes, poursuit-il, et il est dommage que certains disparaissent pendant que les gens téléchargent des MP3 à la compression merdique. Le glissement vers la commodité au détriment de la qualité n’est pas irréversible, bien sûr (voir ce qu’il est advenu des plateaux télé), mais c’est quand même décevant de mettre tout son cœur et son compte en banque dans quelque chose qui sonne sublimement bien, pour que finalement on vous en vole une version de qualité inférieure. Plutôt que de se concentrer sur le CD, je pense que le dialogue devrait porter sur la rétribution des musiciens. Les labels ne vont pas disparaître et nous nous adapterons au marché, mais générer un revenu suffisant pour payer les gens qui font les disques devrait être une priorité pour le public autant que ça l’est pour nous. »
« Où sont les clients ? »
« S’adapter au marché », voilà le vrai défi. Quitte, pour les artistes, à se passer des intermédiaires et à apprendre à se vendre eux-mêmes, en utilisant tous les outils à leur disposition. C’est ce qu’ont compris, à divers degrés, Radiohead, Nine Inch Nails ou encore Kristin Hersh (la liste s’allonge sans cesse). C’est aussi ce que s’efforce de faire Black Francis : « Nous vivons de plus en plus avec des téléphones mobiles, des ordinateurs portables, des iPod, des Blackberry, etc., constate le chanteur des Pixies. En outre, les gens utilisent ces technologies pour faire d’autres choses qu’écouter de la musique. J’ai commencé à proposer de la musique en téléchargement parce qu’en tant que musicien, je pense qu’il faut trouver de nouvelles approches, en plus de la manière traditionnelle qui consiste à sortir un album suivi d’une tournée. Il n’y a plus de disquaires. Où sont les clients ? C’est aux artistes de les retrouver. Et certains de ces clients sont assis devant leur ordinateur. »
L’acheteur serait donc à portée de clic... Le succès des sites de vente en ligne tels qu’Amazon, CDbaby ou même iTunes en est certainement la preuve. Mais tout de même, rien ne vous choque dans ce nouvel extrait de notre sondage ?
Les jeunes, toujours les jeunes qui ne veulent surtout pas faire comme leurs aînés ; voilà qu’ils déclarent acheter en magasin plutôt qu’en ligne. On aurait presque oublié que lorsqu’on est jeune, on traîne en ville, on rôde dans les boutiques, on a un peu d’argent de poche et pas nécessairement de carte de crédit, on ne veut pas attendre 3 jours le facteur pour recevoir un disque... Et qu’a-t-on fait pour eux ? Fermeture des disquaires par centaines dans les années 80 avec le développement des hypermarchés et autres centres commerciaux, fermeture par dizaines dans les années 2000 avec la concurrence d’internet...
Alors « s’adapter au marché », à une clientèle de plus en plus volatile, qui sait si les indés, plus petits donc plus souples, ne seraient pas mieux équipés pour y parvenir que les majors ? Pas si simple : s’il suffisait d’ouvrir boutique sur MySpace pour se constituer une clientèle, les élus seraient aussi nombreux que les appelés. La notoriété reste une donnée à laquelle on échappe difficilement. « Pourrais-je me permettre de publier un album en téléchargement seul ? » se demande tout haut Dan Wallace. « Si j’étais plus célèbre, je tenterais peut-être le coup, mais envoyer les dossiers de presse aux critiques sans y joindre un CD dans un emballage professionnel ne faciliterait pas les choses. Et puis il est absolument nécessaire d’avoir quelque chose à vendre aux concerts. Un jour où l’autre, même cela se fera par un simple transfert de fichiers numériques, mais pour le moment, il est essentiel de disposer d’un CD ou d’un disque vinyle. » La boucle est bouclée.
Le juste prix
Puisqu’on parle d’argent, parlons du nôtre. À l’heure où la musique se dématérialise et devient si facile à faire circuler pour pas un rond, que sommes-nous prêts à débourser pour avoir notre dose ? Réponse de nos sondés :
Revoilà d’un côté les jeunes qui sont prêts à mettre de l’argent sur la table pour de beaux objets, mais qui ne lâcheraient pas trois kopecks pour un album en version mp3 (que le monde entier voudrait bien leur vendre à prix d’or). De l’autre, on a les plus de 26 ans qui, on l’a vu, commandent plus facilement en ligne. À quel prix ? Notre partenaire Amazon a la réponse. Prix moyen d’un CD en euros TTC, hors frais de port, et sur la base des commandes faites par nos lecteurs :
année 2006 : 11.93 €
année 2007 : 10.47 €
année 2008 : 9.50 €
On peut dès lors dresser un constat récapitulatif et, en forçant un peu le trait d’ailleurs, voir se dégager deux générations :
les moins de 26 ans, qui ont un peu d’argent en poche mais dont personne ne veut entendre les désirs, à savoir : mp3 gratuits, de vrais disquaires avec de beaux objets près de chez eux ;
les plus de 26 ans qui veulent des CD au meilleur prix (11 € frais de port inclus, c’est leur dernier mot) et qui sont prêts à patienter, quitte à commander à l’étranger (de plus en plus d’achats chez Amazon se font via le système « Marketplace »).
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