L’avenir du disque (Part 1) - « Si l’objet venait à disparaître... »
Vous n’avez que trop entendu les discours sur le piratage, l’industrie musicale en chute libre, les disquaires qui ferment et les artistes qui crèvent. Halte-là, indierockmag a finalement décidé de publier un dossier sur l’avenir du disque : quatre articles pour que résonne un autre son de cloche aux oreilles des passionnés. Faites tourner.
Le disque meurt, le disque est mort ! Qui n’a pas entendu cette ritournelle ? Le CD, haï depuis sa conception par les puristes de l’analogique (qui ont quand même sacrément bien résisté à ces 25 dernières années), présenté par l’industrie comme le support musical ultime, inusable et si pratique... le CD serait à l’agonie, terrassé par la concurrence de l’omniprésent mp3.
Indierockmag n’a pas voulu avaler toute crue cette prophétie d’apocalypse. On a gardé la tête froide. On a étudié la question et passé en revue les options. Aujourd’hui, l’amateur de musique se trouve face à une multiplicité de choix pour assouvir sa passion :
les concerts tout d’abord, plusieurs siècles d’histoire et un public toujours plus nombreux ;
les CD, support physique commercialisé depuis 1982. On n’oublie pas l’« inusable » vinyle qui continue de passionner de nombreux amateurs, ainsi que les cassettes audio et autres objets plus marginaux ;
les mp3, terme ici à prendre au sens générique de fichiers informatiques généralement téléchargés via internet ;
le streaming, un système de diffusion informatique qui trouve sa place aux côtés de sa cousine hertzienne : la radio.
Ce que l’on constate donc actuellement, c’est la très grande diversité, voire la multiplication des médias à partir desquels une œuvre musicale peut arriver jusqu’au consommateur. Cela devient même particulièrement complexe, quand un internaute réussit à détourner le système de streaming pour générer un fichier mp3 qu’il gravera plus tard sur un CD. Le monde est fou, mais en écartant l’aspect économique de cette première partie de notre dossier, on peut déjà essayer de cerner les attentes des artistes, du public, des intermédiaires. D’autant plus qu’on ne vient pas les mains vides, puisque nous avons récemment mené l’enquête auprès d’un échantillon représentatif de notre lectorat ainsi composé :
Alors, qui achète encore des CD en 2009 ? D’après notre sondage, il existe encore quelques discothèques pas trop mal garnies :
Simple fétichisme que l’attachement au support physique ? On ne résistera pas au plaisir de citer Dominique A., qui écrivait dans Un Bon Chanteur Mort (éditions La Machine à Cailloux) : « Le moment où j’ai le disque en main est toujours particulier ; j’éprouve une joie calme, qui me laisse un peu désarmé, en même temps que du soulagement : "c"’est là. Je tourne et retourne l’objet qui atteste, pour quelques années supplémentaires, comme un sursis, du fait que je fais ce métier. Si l’objet venait à disparaître, et avec lui la preuve tangible de ce que je fais, aurais-je encore autant envie d’écrire ? »
Est-ce que ce sera suffisant pour calmer les ardeurs de certains, rien n’est moins sûr, puisqu’on a déjà pu lire entre autres sur notre forum des phrases de ce genre : « Encore une fois, la musique ne va pas cesser d’exister avec la mort du CD ! »
On est aussi là pour ça : un message, une prise de conscience de la part des amoureux de la musique est nécessaire. On peut même déjà commencer par cautionner cet extrait d’une lettre ouverte de quelques labels indé français : « Dès 2006, la mort annoncée (pour 2010) du CD, par une presse n’écoutant que les poids lourds de l’industrie musicale, a précipité cette chute du marché et conforté un large public dans la totale dévalorisation du support. Non seulement il n’en est rien, mais encore aujourd’hui, le physique représente près de 90% des ressources des producteurs indépendants. Mais dans un pays qui a laissé détruire son réseau traditionnel de disquaires au profit de chaînes omnipotentes, ces ressources traditionnelles chutent désormais, sans que le numérique vienne à les compenser. Et il y a, malheureusement, fort à parier qu’il n’en sera jamais ainsi. »
Même Black Francis, que l’on est allé interroger, nous fait peur, en répondant à la question « Le CD est-il mort ou mourant ? » : « Tout dépend de ce que vous appelez "vivre". Si votre référence est un commerce en bonne santé comme celui de la musique dans les années 90, alors oui, le CD est vraiment en train de mourir. Mais en tant que support physique (CD, DVD, logiciels, etc.), il est si omniprésent, et encore relativement pratique, que je pense qu’il se passera encore longtemps avant qu’il ne disparaisse totalement. C’est mon intuition de profane. »
D’autres, pourtant, donnent aux partisans du support physique des raisons d’espérer. Les labels indé restent l’affaire de passionnés - des types comme nous, en somme - et leur attachement à l’objet musical est à l’image du nôtre. Un exemple parmi d’autres, peut-être emblématique par le soin qu’il met à la création de ses CD, véritables objets d’art, est présenté par l’Ukrainien Dmytro Fedorenko, alias Kotra, musicien et patron du label de musiques électroniques Kvitnu. « Personnellement, je n’ai pas le sentiment de diffuser de la musique si je me contente de mettre des fichiers en ligne. J’ai besoin d’y ajouter un peu de ma sueur pour insuffler de la vie à chaque nouvelle sortie. C’est une sorte d’alchimie. Pour chaque parution Kvitnu, la fabrication des pochettes, que j’effectue à la main, représente au moins 50 % du travail », nous a-t-il confié. « Je n’ai aucune intention de publier de la musique sous forme uniquement numérique. Même si, pour une raison quelconque, il devenait impossible pour moi de produire des CD ou des vinyles, je publierais peut-être des CD-R à 50 exemplaires, mais la communication ne peut pas se résumer à un simple clic de souris, il faut quelque chose de plus. »
Il n’est apparemment pas le seul à le penser : d’après notre enquête, 77% des sondés n’ont pas le sentiment de posséder un album lorsqu’ils n’ont que sa version mp3.
Plus lapidaire, Greg Werckman, d’Ipecac Recordings, remet le débat en perspective : « Le CD n’est pas mort. Les ventes déclinent, sans aucun doute, mais c’est le cas pour toutes les ventes de musique indépendamment du format. » Sur un plan plus personnel, il regrette « le glissement du LP vers le CD et maintenant du CD vers la dématérialisation. J’aime toujours avoir en main un objet que je puisse admirer et sentir. » Mais quelles que soient ses préférences, un patron de label reste un commerçant et Werckman est bien obligé de l’admettre : il n’exclut pas de publier un jour des albums sous forme uniquement numérique. « C’est plutôt effrayant, mais le futur est toujours effrayant » conclut-il, philosophe.
On aura tôt fait de diaboliser le mp3. Qu’il ait révolutionné le monde de la musique, c’est certain. Qu’il soit la source de tous les maux du secteur : oui, également. On pourrait en parler comme du plus gros virus informatique connu à ce jour, une véritable pandémie mondiale, puisque ce format de fichier est venu se loger dans tous les foyers, les téléphones, les voitures, partout. Et finalement, qui pour contrôler cette invasion sinon quelques businessmen qui voudraient bien en faire leurs affaires ? Ne lui enlevons tout de même pas ses qualités, à savoir une véritable aubaine pour la découverte côté public, pour la promotion côté artistes, et même pour la création de net-labels qui n’auraient jamais vu le jour sans ce format. Mais tout cela reste bien évidemment un autre débat.
On pourrait aussi pointer d’un doigt vengeur les sites de streaming, nouvelles idoles des jeunes, Deezer, Spotify & co., qui sont en train de prendre la relève des radios FM. La radio avait en son temps été vue d’un très mauvais œil par bien des gens [1], le streaming, plus encore lorsqu’il est proposé « à la demande », fait frémir énormément de monde [2]. On ne peut prédire l’avenir de ce média, mais en regard de l’explosion de ces nouveaux services et du succès des sites communautaires tels que MySpace, il faudra forcément fixer des règles du jeu acceptées par tous, pour que la création, l’art soient enfin reconnus et rémunérés à leur juste valeur.
La mort du CD n’est donc pas pour demain, qu’on se réjouisse, mais il reste tout de même une sacrée croisade à mener. Le disque est cerné par des parasites qui sont tout sauf naturels et on le devine déjà dès le début de ce dossier, le véritable support de la musique est au coeur d’un écosystème. L’humanité en a déjà pourri de bien plus importants, pensez-vous qu’il faille répéter ici les mêmes erreurs ?
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