Leila - Blood, Looms And Blooms
L’ex-claviériste de Björk, révélée par ses bidouillages de magicienne sur la tournée de Post, revient après huit ans de hiatus avec un troisième chef-d’oeuvre entre pop hybride, électronica onirique et vagues de saturation organiques. Que le voyage commence...
1. Mollie
2. Time To Blow [feat. Terry Hall]
3. Little Acorns [feat. Khemahl & Thaon Richardson]
4. Daisies, Cats And Spacemen [feat. Roya Arab]
5. Mettle
6. Teases Me [feat. Luca Santucci]
7. Carplos
8. The Exotics [feat. Seaming]
9. Deflect [feat. Martina Topley-Bird]
10. Norwegian Wood (The Beatles cover) [feat. Luca Santucci]
11. Lush Dolphins
12. Ur Train [feat. Luca Santucci]
13. Young Ones
14. Why Should I ? [feat. Terry Hall & Martina Topley-Bird]
Si Leila a hérité de Björk cet amour des contrastes entre le chaud et le froid qui irradie plus encore de ce dernier album que de ses deux illustres prédécesseurs, la comparaison s’arrête là. Car notre ensorceleuse préférée n’a rien de l’extravagance ni du glamour de son ancien mentor, et encore moins ce rayonnement solaire qui semble faire tourner autour de l’islandaise tout ce que la pop et l’électro comptent d’artistes passionnants depuis près de 15 ans. Créatrice des plus discrètes au contraire, l’anglaise continue par ailleurs avec cet extraordinaire Blood, Looms And Blooms de tendre vers une radicalité sonique qui ajoute encore au paradoxe d’une musique aussi troublante que fascinante, oscillant sans cesse entre candeur de comptines pop, étrangeté somatique et mélancolie angoissée. Ainsi l’instrumental Mettle (anciennement Leadwonka sur myspace où quatre morceaux de l’album sont toujours en écoute), sans doute le morceau le plus trippant entendu jusqu’ici en 2008, voit des cordes indiennes monter à l’assaut des basses grondantes, beats lourds et autres drones électro de fin de monde dont les pics de saturation apocalyptiques et tentaculaires semblent prêts à tout ensevelir sur leur passage, tels les secousses d’un gigantesque séisme subaquatique dont on entendra les répliques assourdies jusque sur le morceau suivant.
Metteuse en son tirant dans l’ombre les ficelles de son petit royaume des songes aux rêves agités, Leila laisse donc à d’autres, cette fois encore, le soin de prononcer les mots qui la hantent - "Each time I open my mouth I make you regret it" sur Time To Blow par exemple. L’étrange voix d’éphèbe de l’habitué Luca Santucci, celle, toujours aussi juvénile et candide de Terry Hall qui vient à nouveau rappeler, 12 ans après sa participation au Nearly God de Tricky, à quel point les Specials du visionnaire Jerry Dammers furent un groupe important pour tout un pan hybride, aventureux et organique de l’électro moderne (avec les singles Rat Race et Ghost Town notamment mais surtout l’album More Specials sur lequel culminait en 1980 le génie du combo anglais), les minauderies plus charmeuses et vénéneuses que jamais de Martina Topley-Bird qui aura eu tôt fait de rattraper la semi-déception d’un Blue God un peu trop léger et convenu, notamment avec le fracassant single Deflect et ses sombres déflagrations électro-punk (les Stooges remixés par Alec Empire, vous en rêviez ?), la grâce et l’élégance intactes de Roya Arab, grande soeur de Leila qui fut l’âme il y a 11 ans déjà du Londinium d’Archive dont la douloureuse mélancolie reste à jamais gravée dans les coeurs et dans les esprits... le casting est parfait et même miraculeusement à la hauteur de l’évidence des mélodies de l’anglaise comme de la profondeur vertigineuse de ses compositions mouvantes et métissées dont on sait pourtant depuis le génial Mollie en ouverture à la fois anxieuse et planante (Boards Of Canada n’est pas loin) qu’elle sauront parfaitement bien se suffire à elles-mêmes.
Des claviers fantomatiques un peu cheap de Carplos à ces sonorités acoustiques de musique de chambre martienne sur le schizophrène Ur Train en passant par le chant lyrique tombé d’on ne sait trop quel purgatoire sur le bien-nommé The Exotics, les plaintes des cétacés synthétiques de Lush Dolphins, le mélodica jazzy sur piano rétro du nostalgique Young Ones ou même un couplet ragga improvisé par une fillette sur Little Acorns, Leila nous guide à travers le labyrinthe de son imaginaire foisonnant, nous perd parfois en route, surpris par un trou d’eau (Teases Me, dont le dub ne nous lâche que pour mieux nous laisser nous noyer) dont elle viendra nous tirer quelques minutes plus tard pour nous faire apprécier d’autant plus la douceur d’un chemin en apparence évident mais toujours aussi instable et tortueux sous la surface (Norvegian Wood, reprise des Beatles aussi belle que personnelle qui n’aurait pas dépareillé sur l’album précédent de l’anglaise, Courtesy Of Choice , ou encore Why Should I ?, duo final faussement apaisé entre Terry et Martina qui faisaient déjà de même sur le Poem de Nearly God). Voilà bien la profonde générosité de cette musique-là.
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