Notre rubrique hebdomadaire nous permet aujourd’hui de revenir sur quelques albums hip-hop - parmi lesquels une majorité de disques autodistribués - qui nous ont bien accompagnés ces derniers mois mais ont échappé à nos "avis express" quotidiens. L’inspiration n’est pas toujours au rendez-vous mais ça n’est pas l’envie qui manque, surtout avec une brochette de cette qualité.

 Heems & Lapgan - Lafandar (Veena Sounds, 16/02)

Celui-là avait fait couler assez d’encre pour que l’on se passe de le mettre en avant, et néanmoins l’album de l’ex Das Racist, bien plus intéressant que son groupe de l’époque sous la patte mélangeuse et colorée du producteur indo-américain Lapgan il faut bien l’avouer, m’a suivi depuis février, entre influences orientales au feeling cinématographique, rap décalé irrésistible de dérision, tension insoupçonnée et featurings bien sentis, de Saul Williams à Kool Keith en passant par Open Mike Eagle, Blu & Quelle Chris, l’omniprésent Fatboi Sharif, Your Old Droog dont on reparle plus bas ou encore Sonnyjim sur le très narcotique et british-versant-dark Going for 6.

 Armand Hammer - BLK LBL LP (Autoproduction, 10/02)

Sorti uniquement en vinyle distribué de la main à la main lors de la dernière tournée du duo, BLK LBL pourrait bien être le meilleur album de la paire billy wood/ELUCID depuis Paraffin et enterre en tout cas leur inégal We Buy Diabetic Test Strips de l’an passé, en renouant avec une dimension plus sombre et radicale dont le minimalisme hypnotique parfois presque ambient (Colony, Gripewater, Tar Baby ou encore Ox Blood avec Zeroh) se révèle particulièrement fantasmagorique et insidieux, sans pourtant s’enfermer dans une quelconque opacité comme en témoigne cette efficace triplette finale aux sonorités blaxploitation.

 NightjaR - Mala Leche (Lewis Recordings, 21/06)

On a retrouvé Jimi Goodwin des fabuleux Doves, probablement le meilleur groupe britpop des années 2000, avec un projet qu’on n’attendait pas forcément de la part du Britannique malgré ce goût du sampling qu’on lui connaissait déjà ici par exemple) : un album de collabs hip-hop entrecoupées d’instrus, où donnent notamment de la voix les excellents Homeboy Sandman, Vast Aire de Cannibal Ox (avec son copain Pruven), Pan Amsterdam (qui trompette également ici et là comme il le fait si bien), Guilty Simpson, Sonnyjim & Quelle Chris (encore eux, cf. plus haut) ou encore le compatriote Jason Williamson de Sleaford Mods (déjà moins étonnant). Au programme, un très bel équilibre entre instrumentation psyché/pop, collages, influences jazzy et groove inventif aux atmosphères accaparantes... et plus surtout une paire d’instrus absolument terrassants, Sylvester qui n’est pas sans évoquer Crookram avec en prime des arrangements de chamber music contemporaine et l’ultra-tendu et très Lalo Schifrin The Fuck It Boogaloo. Claque instantanée !

 SCVTTERBRVIN & iLL S.U.G.I. - The Rotten King (Red Lotus Klan, 19/06)

L’EP Blunt Raps 2 produit par Psychopop avait mis la barre très haut quelques semaines auparavant, c’est en s’associant à un autre beatmaker chouchou d’IRM, le Japonais Ill Sugi, que le rappeur de San Diego lui donne suite ici avec 13 titres clairs-obscurs beaucoup plus jazzy et cristallins, tout en cuivres et vents vintage (The Incomplete Guide To Omnicide, Sky Burial), vibraphone (Raphael De La Ghetto, Johnny Rotten) et autres samples rétro élégamment déconstruits (Alien vs. Predator, Racial Profile). Si SCVTTERBRVIN est égal à lui-même avec ce flow intense aux accents légèrement menaçants, le beatmaker de Kanagawa y gagne encore en textures par rapport à ses productions habituelles et signe peut-être là sa plus belle réalisation à ce jour.

 Your Old Droog - Movie (Autoproduction, 21/06)

Le rappeur new-yorkais d’origine ukrainienne, qui bénéficia d’un petit coup de pouce du buzz il y a tout juste 10 ans de par la vague ressemblance de son flow avec celui de Nas avec qui certains allèrent même jusqu’à le confondre, a su rester indépendant jusqu’au bout des ongles. Premier long-format en trois ans après une belle série d’EPs, on pourra reprocher à Movie, hormis son artwork de "jeune entrepreneur" (hihi) tout sauf inspiré, moins de singularité que Yodney Dangerfield ou The Shining, mais l’album a les qualités de ses "défauts" : solide, bien écrit, d’une grande générosité (avec quelques prods passables du surcoté Harry Fraud, à commencer par le Kanye-esque How Do You Do It ? mais c’est tout), sur des rails certes mais des rails élégants qui voient l’Américain rapper avec autant de classe que de conviction, avec de bien jolis tacles à la vanité du rap-jeu, de l’hymne à la "Rocky" Success & Power au guilleret Yodi Dodi en passant par l’immense What Else ?, une poignée de petites merveilles lyriques flirtant avec la pop baroque (I Think I Love Her, ou Your The Sandbox, pas loin d’un Jonwayne), et puis cet irrésistiblement rétro DBZ produit par Madlib (aux manettes également d’un chouette bonus sur lequel on croise son compère Mos Def), avec Denzel Curry et Method Man en guests.

 Blank Thought - Ghost in the Machine (Autoproduction, 28/02)

La présence d’Unsung sur un titre (assez proche dans l’esprit de ses propres productions oniriques) aura suffi à m’encourager à prêter l’oreille à ce Ghost in the Machine, associant le producteur floridien Blank Thought, inconnu au bataillon jusqu’ici, à une grosse quinzaine de rappeurs indé dont l’incontournable Sleep Sinatra. Si le résultat est un chouia inégal du haut de ses 14 titres aux instrus lofi plus ou moins dystopiques ou éthérés, l’atmosphère d’ensemble est assez prenante et on y va de découverte en découverte, citons notamment Zim sur les stellaires Orbit et Fog of War, ou l’étrange flow éraillé de Big Flowers, tel un Tricky qui reprendrait Gravité Zéro dans la langue de Vordul Mega sur un Leeches rétro-futuriste et déstructuré à la Mike Ladd.