Fleuves Noirs - Respecte-Toi
Il y a eu Respecte-Moi , maintenant il y a Respecte-Toi et c’est tout aussi sidérant. Fleuves Noirs est de retour et c’est encore une fois une évidence : carton plein.
1. Certitudes & Probabilités
2. Valentin Full Speed
3. This Is Mike
4. Bouge Le Bus
5. Fesse noire
6. Alerte cobra
7. C’est Pour Ça
8. Omn
Du titre à la pochette jusqu’à la musique qu’elle renferme, on est dans la continuité. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Pour définir ladite continuité, il faudrait pouvoir réussir à identifier des points communs entre les morceaux actuels et ceux d’avant qui, déjà, n’en offraient pas des masses. On est donc dans la continuité... mais de quoi ? Difficile à dire.
Le premier morceau s’intitule Certitudes & Probabilités et on va suivre le leitmotiv. Côté certitudes, on retrouve le chant multiple et chamanique et toute son altérité, la rythmique inébranlable et la guitare métamorphe. Côté probabilités, on est possiblement du côté noise de la mappemonde musicale mais ce n’est pas sûr. Il y a un petit côté funk dans la mixture. Pas mal de psychédélisme aussi versant très très free. Un soupçon de surf et de post-punk. Et même du chant liturgique, du jazz et de l’ambient... Enfin possiblement, hein. Le tout est tellement dosé en quantités infinitésimales recollées selon un dessein tellement obscur qu’essayer de cerner l’ensemble renvoie à quatre-vingt-dix-neuf virgule tout un tas de neuf pour cent d’incertitude.
Et c’est bien ça qui accroche toujours autant. Me concernant, je me contente de suivre le disque, je ne le devance jamais. Ce n’est pas sans queue ni tête, c’est plutôt qu’il y a bien trop de queues et bien trop de têtes. Quand on suit une trajectoire, elle est immédiatement interrompue par une autre qu’on n’avait pas vue débarquer, elle même coupée par une autre qui en interrompt une autre à son tour et ainsi de suite. C’est une science propre à Fleuves Noirs. Celle de l’échantillonnage qui tient debout. Les carrefours ont beau être multiples, on ne se perd jamais dans le disque. Chaque morceau à sa seule ses multiples personnalités et l’on passe de l’un à l’autre sans jamais savoir à quoi ressemblera le suivant ni en étant bien sûr de se rappeler à quoi ressemblait le précédent mais ça reste cohérent tout du long.
Tout se passe comme si Respecte-Toi focalisait sur l’instant présent tout en manipulant le continuum pour ne pas complètement l’effacer : un genre de zoom très très précis mais en plan très très large. Ça n’existe pas mais c’est pourtant un truc comme ça que renferme la musique de Fleuves Noirs : elle nous place très près (on s’accroche en permanence aux détails) mais en même temps très loin (on détaille en permanence l’ensemble). Bref, encore une fois, c’est un beau bordel bien chaotique qui efface nos repères et impose les siens (qui n’ont évidemment rien à voir avec des repères).
En premier lieu, difficile de faire l’impasse sur la voix. Elle est toujours chorale tibétaine mais indienne flippée mais aussi canard azimuté sous anxiolytique, baryton ayant bouffé Jello Biafra et soprano sous perfusion pas claire. On a souvent du mal à saisir les mots (sans doute parce qu’il n’y en a pas tout le temps) mais on comprend ce qu’elle exprime : peur, colère, ironie, sarcasme, revendication... l’éventail est assez large. Idem du côté de la guitare. Une nouvelle fois, elle fait des merveilles et tisse une dentelle proprement métamorphe qui s’adapte au parterre disloqué tout en imposant sa direction. Basse et batterie forment une ossature ample mais resserrée, indispensable au traçage des contours et des multiples chemins que le disque contient.
Exactement les mêmes ingrédients que sur le précédent donc mais la boule à facettes dégénérée arbore tellement de petits catadioptres éclatants que tout se passe comme si on découvrait Fleuves Noirs pour la première fois aujourd’hui. Alors allons-y et tombons en pâmoison devant cette poignée de titres : le bourdon qui ouvre Certitudes & Probabilités trace la ligne principale qui se subdivise immédiatement. C’est tribal et primesautier.
Plus loin, on détecte quelques îlots groovy cernés de coups de boutoir répétitifs et inquiets (Valentin Full Speed), de la tension contenue mais qui enfle tout de même (This Is Mike), un interlude joliment perché (Bouge Le Bus), un genre de post-punk renfrogné bien prenant (Fesse Noire), du psychédélisme labouré et exploratoire qui fait voyager loin (Alerte Cobra), une cavalcade bourrue et divagante qui fait mine d’être crevée à moment donné avant de reprendre de plus belle (C’est Pour Ça) et quatre secondes exactement d’Omn.
Chez Fleuves Noirs, l’injonction reste la même et demande en permanence du respect : pour eux, pour nous, le nôtre pour eux, le leur pour nous, le nôtre pour nous, on ne sait plus trop à force. Mais le mien (et le vôtre très certainement aussi) pour eux, ça, j’en suis sûr.
Parce qu’il est proprement impossible de s’extirper des filets de Respecte-Toi après qu’ils ont jailli des enceintes.
Silence radio depuis notre top de septembre qui a davantage à voir avec le manque de temps qu’avec la sobriété énergétique, mais on ne s’est pas tourné les pouces pour autant, à explorer une actualité des sorties toujours aussi dense pour mieux vous la résumer en une poignée de disques déjà cultes dans les couloirs virtuels de la rédaction. Et à en juger (...)
Cinq titres et pas un de plus. C’est à peu près le temps qu’il faut à Fleuves Noirs pour s’insinuer durablement dans la boite crânienne car Respecte-Moi est vraiment un drôle de truc. Tout à la fois foufou et suprêmement classe.
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